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Entretien avec Jacques Gamblin
 
Jacques Gamblin est � l'affiche au cin�ma avec Holy Lola, il a fini le 18 d�cembre des repr�sentations, seul sur sc�ne, d'Entre courir et voler il n'y a qu'un pas, papa, l'adaptation de son dernier roman paru au Dilettante en septembre 2003. On a l'impression qu'il est partout et pourtant, on ne l'entend pas. Zone Litt�raire a voulu savoir qui se cachait derri�re cet acteur �nergique mais discret, aux multiples activit�s. On n'est pas d��u : un homme passionn�, sinc�re, et d'abord �mouvant. Rare.
Qu'est-ce qui pr�c�de chez vous, l'�criture ou la mise en sc�ne ?
C'est avant tout l'�criture. Au d�part c'est un livre. Une fois �crit, c'est en le lisant, refroidi, que je vois s'il y a l'urgence du th��tre dedans, s'il y a une adaptation possible. En g�n�ral, �a s'impose. Je ne peux pas penser � l'exploitation du texte si je ne l'ai pas �crit.
Il y a environ six ans entre chaque livre, est-ce parce que vous prenez le temps de la r�flexion avant d'�crire ?
Non, c'est cinq ans d'�criture. Avec des indisponibilit�s dues aux tournages ou autres. Mais j'essaie d'�crire tout le temps. C'est curieux parce que �a donne des livres qui ont l'air d'avoir �t� �crit d'un seul jet, alors qu'il m'a fallu beaucoup de temps pour organiser tout ce d�sordre.
Le Toucher de la hanche p�n�trait l'univers de la danse, dans Entre courir et voler, c'est la course. Pourquoi ces th�mes auxquels on pense peu ?
Pour ces deux livres, j'aimais bien l'id�e de mettre le narrateur dans une situation de d�r�glement, dans l'urgence physique. C'est une �criture de la sensation. Bien que le livre en soit p�tri, ce n'est pas de la psychologie. Je ne souhaite pas qu'elle arrive en premier plan.
Moi, je veux mettre le personnage dans un �tat o� il peut parler, dire des chose qu'il ne dirait pas s'il �tait confortablement install� dans son canap�. Du coup, la violence peut sortir. Pour Entre courir et voler, le cerveau du narrateur est � hyper-oxyg�n� � par cette course : s'il avait le temps de r�fl�chir, il n'aurait pas tout dit, et surtout pas de la m�me mani�re, abandonn�e, naturelle, sans logique. C'est pour �a que j'aime la mise en situation physique.
Le mouvement perp�tuel dans l'�criture et donc sur sc�ne est une sorte de ma�eutique de l'esprit ?
L'�criture prend ce nerf-l�. Ce n'est pas une �criture en repos. Tout peut surgir, l'humour, l'angoisse. Dans mon premier livre, Quincailleries, le personnage est dans une comptabilit�. Il compte les bouchons. C'est absurde, du moins on n'en voit pas le bout. Du coup, tout y passe de la vie, la vie en pi�ces d�tach�es. Le suspense vient du suspens. On ne sait pas o� on va atterrir et quand on ne sait pas, on peut aller tr�s loin.
La filiation, la paternit�, sont des �l�ments tr�s pr�sents dans Entre courir et voler. On les retrouve �galement dans Holy Lola, le film de Bertrand Tavernier dans lequel vous jouez. C'est un point important pour vous ?
Ce sujet-l� m'int�resse, m�me si c'est un hasard que je le joue au m�me moment au th��tre et au cin�ma. Chacun a un rapport particulier � la filiation. Je suis un type banal, donc la paternit� m'attire. Maintenant je ne traite pas que de �a. Dans Quincailleries, j'avais mis sur la quatri�me de couverture : � ce livre parle de tout, de rien, et surtout de rien �. C'est ce rien qui brasse plein de choses... Cela vaut pour tous mes livres. A vrai dire, Entre courir et voler est � irr�sumable � !
Il y a �videmment une diff�rence de rapports entre des lecteurs et des spectateurs. Pour vous qui �tes confront� aux deux, qu'en retirez-vous ?
C'est assez curieux car au th��tre, on a les r�actions en direct. Dans l'art, on ne mesure pas ce qu'on donne, ce n'est pas chiffrable, et ce m�me quand les gens sont devant vous ! La salle rit, �a s'entend, bon, et alors ? Certains viennent ensuite se faire signer le livre et vous utilisent des adjectifs bienveillants � votre �gard. Cela fait plaisir, bien s�r mais au fond, tout �a reste du secret. On ne sait pas. Quand des gens lisent un livre entre deux oreillers, on ignore ce qu'ils gardent. Quand ils vont au th��tre, on ne sait pas ce qu'ils en retiennent. J'aimerais savoir mais en fait, il ne faut pas.
Le th��tre est un instant non prot�g�, sans filet. J'explore jour apr�s jour, maintenant que ce spectacle devient plus rassurant pour moi, la mani�re dont les mots sortent de moi, la libert� que je vais prendre avec eux, avec mes �motions aussi. Bien sur, j'ai des rep�res sur sc�ne mais � l'int�rieur de ces rep�res, je me permets de me perdre. La technique et l'exp�rience sont l� pour se mettre au service de l'instant improbable. Et il y en a, heureusement...
Cin�ma, th��tre, �criture : avez-vous l'impression d'avoir �volu� dans votre pratique artistique ?
Je ne me camoufle plus. On peut se camoufler de plusieurs fa�ons, en �crivant des livres par exemple : on peut se r�fugier derri�re l'humour, derri�re des phrases dites � d'auteur � qui poussent � l'autosatisfaction. On se cache derri�re un costume �triqu�. Maintenant tout �a est diff�rent, aujourd'hui, le costume a chang�, il pourrait �tre le mien. C'est moi sur sc�ne. J'ai rarement eu la sensation d'atteindre cet �tat.
Et au cin�ma ?
Au cin�ma, c'est diff�rent. Un film apprend toujours quelque chose. Un film de Tavernier apprend encore plus de choses, ce sont toujours des sujets de soci�t�. Le cin�ma de Bertrand Tavernie constitue un engagement qui va plus loin que celui d'un acteur. Il vous entra�ne dans une oeuvre, dans un sillon. Il faut r�agir � tout ce que vous traversez, vivez. Il y a souvent un d�bat sur les films de Tavernier, est-ce du cin�ma, est-ce du documentaire ? Je m'en fous. Dans ces situations, on est � la fois un acteur et une personne. Ce sont nos vraies r�actions qui sont film�es. Il faut beaucoup de spontan�it�. Dans Holy Lola, je me souviens par exemple de la sc�ne dans le mus�e du g�nocide : il y a des choses que je devais dire et je n'�tais pas s�r que ce soit n�cessaire, je l'avais d'ailleurs dit � Bertrand. Sur place, j'ai �t� vraiment boulevers� par ce que je voyais. Je n'ai pas pu parler et c'�tait tr�s bien comme �a. Il ne fallait pas que je fasse semblant, que je reconstitue l'�motion. Il faut �tre sinc�re.
Sur sc�ne, ce soir, vous aurez la m�me d�marche ?
Si quelque chose me traverse, je le l�che. Hier, en jouant la sc�ne du p�re, j'ai reconnu le rire de quelqu'un que je connaissais. J'ai pens� � lui et � son p�re. L'�motion m'a gagn�, mais elle a �t� contredite par l'instant d'apr�s. C'est la particularit� du th��tre, toujours en mouvement. De toute fa�on, je suis prot�g� par le r�cit et par l'�criture qui n'est pas r�aliste. Il ne faut jamais oublier qu'on raconte quelque chose. C'est un calcul entre le � jusqu'o� on va vers � et le � jusqu'o� on laisse venir �. Il ne faut pas forcer l'�coute.
Est-ce pour cela que vous avez des moments de silence sur sc�ne ?
Pour moi le silence, c'est plus le suspens, l'�cho de la pens�e. Il reste en l'air avant que la pens�e ne reparte. Le silence n'est pas une pause. C'est la r�sonance de ce qu'on vient de dire. Ce sont des moments sur sc�ne qui sont ind�termin�s. Il ne s'agit pas de blanc. Du coup, � chaque repr�sentation, mes silences ne sont jamais les m�mes.
Est-ce que vous vous adressez toujours au public apr�s la pi�ce ?
Oui, c'est li� � plusieurs choses. Au d�but je les invitais � la signature du livre. Maintenant je me rends compte que s'il n'y avait pas de d�dicaces, je ferais toujours ce retour au r�el qui n'en est pas un. Par moment je suis moins inspir� qu'� d'autres. Mais j'ai toujours un peu peur que �a casse la magie du spectacle. Ce risque, c'est aussi le th��tre, un exercice sans filets.
Est-ce que vous �crivez en ce moment ?
Je n'�cris pas. L'�criture ne supporte pas d'avoir des programmes trop charg�s, de cin�ma ou de th��tre. Je n'ai pas une �criture qui s'enracine dans l'aventure professionnelle de l'acteur. Je ne puise rien dans mes rencontres d'acteur. C'est d'ailleurs pour cela que je mets des ann�es � �crire un livre. Je ne peux m'inspirer que de l'anonyme. Il faut que j'aille � la rencontre des gens, ceux qu'on ne questionne jamais. Il faut �couter. Je puise tout de l'impossibilit� � dire. Mon travail d'�criture , c'est �a. Essayer d'extirper d'un marathonien le plaisir qu'il a eu dans sa souffrance. C'est impossible � d�crire. Et c'est cette impossibilit� qui m'int�resse. C'est �a qui me touche profond�ment...
Propos recueillis par Charles Patin O'Coohoon et Ma�a Gabily. Propos recueillis par Ma�a Gabily
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