17 Décembre 2002  
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Sugar Babies

Il y en a qui saisiront l�objet et le rejetteront presque avec horreur : ce livre sent le souffre des fantasmes confess�s avec trop de d�sinvolture. D�rangeantes, ces photos de Romain Slocombe1 d��coli�res tum�fi�es ou qui jouent la carte sexy! Carr�ment tendancieux, ces propos de Roland Jaccard2 souriant comme un diable, tels que � le sexe est aussi barbant que tout le reste �et peut-�tre m�me un peu plus. Un stage obligatoire dans les bordels pour les jeunes filles seraient une excellente prop�deutique � l�amour �.
Si ce sont les Lolita qui int�ressent les auteurs de Sugar Babies ? On dirait qu�il s�agit plut�t d�un instant de vie de la nymphette. Celui, irrattrapable, de l�innocence sur le quai d�une gare et sur un pied de guerre ; Miss candeur valises aux menottes. Elle ne s�duit pas, la Sugar Baby, elle regarde le monde avec gourmandise et indiff�rence tout en pourl�chant ses babines teint�es de Chuppachups. Jupe pliss�e, couettes, les yeux � demi-clos sur ses socquettes. Emane d�elle une saveur tendre et sucr�e, qui laisse pr�sager l�arri�re-go�t m�tallique de la d�ception et de l�inachev�. Pourquoi son visage est-il tour � tour doucement cruel ou couvert de bleus ? Que v�hicule l�image de cette jeunesse arrogante, et par quelles voies r�unit-elle deux artistes comme Jaccard et Slocombe ?

Roland Jaccard : �crivain, longtemps chroniqueur au Monde, �diteur. S�il s��tait r�sign� � se marier, il aurait sans doute �lu Louise Brooks pour �pouse. Mais les noces, tout comme l�enfantement et la vieillesse, sont des choses qu�il tient pour vulgaires. Les coquets papillons qui retiennent son c�ur ne le gardent donc que le temps d�un flirt d�hiver... et c�est � son ami Slocombe, peintre, illustrateur, affichiste et exp�rimentateur de toutes sortes de techniques graphiques, que Jaccard pr�f�re se lier pour cr�er.
Leur rencontre ? l�un des ces rares moments o� deux sensibilit�s se rejoignent et s�entendent imm�diatement. Premier point commun entre les deux hommes : le soucis de l�image et de l�apparence. C�est ainsi qu�au mois de juin 2002, ce dr�le de couple publie chez Zulma L�homme �l�gant, un album d�aphorismes illustr�s de croquis, concentr� de nihilisme et de cin�philie. Leur engouement pour le Japon les rapproche encore. L�un est incollable sur le cin�ma nippon, ne jure que par Sakaguchi, Mishima et le nato3 ; l�autre s�enthousiasme sur son art de vivre, sait tout du furuchki4, de l��rotisme et des estampes japonaises. Slocombe s�attaque alors � la repr�sentation de nymphettes pl�tr�es ou ecchymos�es ; tandis que Jaccard d�crit entre les pages de son Journal les r�veries que lui inspirent ces ces jeunes femmes venues d�ailleurs. Si l�on ne tient pas l� les �l�ments propices � l�expression d�un fantasme et d�une pens�e similaires�

De ces textes intimes de Jaccard, on retiendra le r�cit de quelques unes de ses exp�riences litt�raires et sentimentales, empreintes de sa coutumi�re et nonchalante curiosit�. Pour � occuper sa paresse le moins mal possible �, il y aura Shade, M�lanine, Swann et Asako� Cioran, Dazai, Schnitzler, Nietzsche et Schoppenhauer... Autant de figures floues et tristes �voqu�es par cet inlassable arpenteur du boulevard Saint-Germain, qui s�incarnent puis se noient sous l�objectif d�un photographe de renomm�e.
L�une des th�ories de Roland Jaccard, emprunt�e � l'�cole de Montaigne, veut que l�on montre de soi ce qui peut �tre le moins flatteur� ce que lui et Slocombe paraissent faire dans Sugar Babies. Au risque de passer pour les adeptes d�une esth�tique de la douleur et de la perversit� qu�ils ne sont pas. S�ils aiment � � distiller du venin dans les cervelles candides �, ils raffolent aussi des barrettes, des rires de gorge et des pommettes hautes en couleurs. Chercher � r�v�ler la beaut� de la blessure n�a rien de contradictoire. C�est le lisse et la r�gularit� des �tres que Jaccard semble r�cuser ; tandis que Slocombe met en sc�ne, � travers les pansements et les fractures, d�autres signes de Vie. Rien de morbide dans tout cela. La vie n�est-elle pas contin�ment plac�e dans une situation de pr�carit� ? Ces photos sont la repr�sentation m�me des dangers qu�elle encourt ainsi que celle de son triomphe sur la mauvaise fortune, puisque la mort a �t� mise en �chec. Danger des habitudes, danger du vertige, dangers du couple, danger d�in�l�gance� Il suffit de lire Jaccard pour les recenser.
Quant au mythe de l�accident, Slocombe en parle comme d�un jouet qui se casse et se r�pare toujours. Il y voit une grande part de ludique et de d�guisement ; n�est-il pas amusant de simuler l�accident ? Il laisse donc libre cours � son go�t pour la symbolisation de la catastrophe � pas grave �, d�vou� � la gr�ce de jeunes nippones � la fois mannequins et com�diennes� car regardez, l��il d�une Yoko band�e ou celui larmoyant d�une Miki doivent se faire violence pour garder le s�rieux !

� Le d�sir est le simulacre de r�ponse � un autre simulacre �. Serait-il concevable que le simulacre de d�tresse soit aussi �rotique que d�autres ? Est-il acceptable de constater que l'objet du d�sir, lorsqu�il est g�n� ou malmen� physiquement, peut devenir excitant ? Dans le m�me ordre d�id�e, ne peut-on d�celer ici certains m�canismes propres aux contes de f�es ? Celui par exemple de faire se croiser le H�ros contemplatif (en qu�te d�action) et la fr�le Dame en p�ril. La blessure, pour Jaccard comme pour Slocombe n�est pas d�finitive. Les secours arrivent et rien n�est irr�m�diable ou dramatique. Si les deux hommes aiment que l�on feigne la souffrance, n�est-ce pas parce qu�en la faiblesse on trouve une certaine part de sinc�rit�, parce que la vuln�rabilit� l�emprunte � la douceur ? Et parce qu�en chaque homme sommeille un Prince qui ne demande qu�� �tre �veill�, tant que ce n�est pas la Belle qui appelle elle-m�me au secours ?
PenseR le livre comme un conte des milles et une nuits : voil� l�une des cl�s de compr�hension de Sugar Babies. Le conte des mille et une nuits d�un Jaccard soupirant apr�s une puissance et un h�ro�sme d�suets, le conte des mille et une nuits d�un Slocombe nostalgique des poup�es r�par�es de ses dix ans.

� L�homme �l�gant a compris que le plus difficile dans l�existence n�est pas d�obtenir ce que l�on d�sire, mais de s�en satisfaire. � nous disaient-ils dans un pr�c�dent ouvrage. Certes, on les esp�re satisfaits de ce livre. Pourvu qu�ils soient toujours d�termin�s � combler d�autres d�sirs, comme celui de produire de nouveaux livres � quatre mains d�une �gale qualit�.

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1 Romain Slocombe compte une trentaine de livres � son actif (BD, romans, livres de photos et pour enfants) et ses deux derniers romans sont parus en S�rie Noire chez Gallimard.

2 Roland Jaccard a publi�, parmi d�autres ouvrages : Le Rire du Diable, L'Exil int�rieur, La Tentation nihiliste et Le Cimeti�re de la morale.

3 Le nato est un met traditionnel japonais constitu� de soja ferment�.

4 Le furuchki est un tissu dans lequel on emballe les cadeaux au Japon, et qui appelle � un c�r�monial particulier lors de l�ouverture des paquets.

J. L. N.



 
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