Mark Behr: Loin du Paradis
Mark Behr, D.R.

Mark Behr: Loin du Paradis

Interviews

Dès 1993 et la parution de son premier roman, L'Odeur des pommes, Mark Behr s'est imposé comme une voix emblématique de l'Afrique du Sud post-apartheid. À travers le récit bouleversant de l'enfance de Marnus, il poursuivait un questionnement sur l'oppression, la culpabilité et la construction d'une identité, comme en écho à l'histoire collective du pays. Les Rois du Paradis raconte vingt-quatre heures de la vie de Michiel, revenu dans l’Afrique du Sud où il a grandi pour assister à l'enterrement de sa mère. Durant cette journée à la ferme familiale, c'est tout le passé qu'il a fui, les hontes, les blessures, les lâchetés que Michiel va voir ressurgir, et qu'il va tenter d'affronter. L'auteur décrit ainsi à nouveau la marche du monde, et campe les drames terribles qui se nouent dans des existences ordinaires. Le discours de Mark Behr invite à la lucidité, à l'humilité, et à la bienveillance.

Dans votre premier roman, L'Odeur des pommes, ainsi que dans celui-ci, l'histoire se noue autour d'une problématique familiale. Est-ce une coïncidence, ou est-ce un thème qui vous est cher ?

Non, ce n'est pas un hasard, c'est un thème que je trouve fondamental. D'une part, pour moi, l'histoire individuelle n'est pas très différente de l'histoire politique. La famille représente, à son petit niveau, un formidable microcosme d'enjeux et de questions politiques, de dynamiques de groupe. Par ailleurs, j'ai une approche très psychologique du comportement humain, qui trouve selon moi ses racines au sein des relations familiales. C'est là que naissent toutes les névroses, toutes les discriminations, les fondements de notre personnalité. Je suis tellement porté vers la psychologie humaine que j'ai du mal à écarter la dimension familiale. Mon troisième roman, Embrace, évoque également la famille. Mais dans mon dernier livre, j'essaie de m'en éloigner. Je dois admettre que c'est compliqué pour moi, mais j'y travaille !

Michiel est le personnage au centre des Rois du Paradis. C'est à travers lui que se déroule l'histoire. Il semble pourtant plus spectateur des scènes et des événements, il se montre extrêmement passif. Il a un passé douloureux, qu'il a préféré fuir… Quel enjeu y avait-il pour vous à raconter l'histoire d'un homme en proie à tant de difficultés ? Un homme qui n'a rien d'héroïque, qui ne connaîtra pas la rédemption ?

Je pense que ce sont essentiellement les gens ordinaires qui m'intéressent. Je m'interroge aussi beaucoup sur la notion de complicité, sur ces individus qui n'ont rien d'innocent.  Moi-même, je ne l'ai pas toujours été… Et pour les gens comme vous et moi, l'expérience de la rédemption a toujours quelque chose de provisoire, d'éphémère. Je n'ai donc aucune envie d'écrire des histoires qui mettraient en scène une rédemption "facile", ni de camper des personnages qui seraient à la fois héroïques et innocents, ou qui se croiraient capables de connaître une rédemption absolue. Je cherche davantage à créer des personnages qui ressentent le besoin de prendre part aux événements avec leurs "mains sales"  (en référence à la pièce éponyme de Sartre et à la philosophie existentialiste, NdR). Et c'est justement ce qui se joue pour Michiel dans cette histoire. Il pense être un simple témoin, mais en réalité, l'histoire prouve qu'il est un agent véritable. Ses actes ont eu des répercussions énormes sur toute sa famille, notamment sur cette femme, Karien, qu'il a connue dans sa jeunesse. Ou bien sur la relation qu'ont entretenue ses parents, et sur ses relations fraternelles. Michiel va devoir affronter ses responsabilités. Même s'il est le plus souvent passif, les autres personnages lui demandent des comptes, et l'invitent à faire face. Je ne suis pas certain que Michiel se montre réellement plus actif à la fin du roman, en revanche, je crois vraiment qu'il n'est plus le même, tout comme les autres personnages masculins du roman. A la fin, Michiel est capable de se montrer solidaire : solidaire des femmes, solidaire de la classe ouvrière, et solidaire de ceux qui ont des considérations morales, même si on ne peut pas le qualifier de militant. D'ailleurs, si l'on s'arrête sur son dernier geste dans le roman, on voit qu'il est là, sur le bord de la route, à attendre que cette femme noire arrive pour qu'elle lui indique ce qu'il doit faire. C'est révélateur d'une forme d'engagement… Qu'y-a-t-il de plus radical, de plus symbolique qu'un Blanc qui attend une femme noire pour qu'elle lui dicte ce qu'il va devoir faire ?

L'histoire se déroule sur une seule journée, et pour ainsi dire dans un lieu unique, la ferme et ses alentours. Toutefois, au gré de votre écriture, on a le sentiment que l'histoire concentre plusieurs époques et que les frontières ne font plus sens. Par exemple, vous évoquez fréquemment les thèmes de la domination et des combats pour la liberté, en vous référant à l'Afrique du Sud, bien sûr, mais également au conflit qui a opposé l'Angleterre et l'Irlande, au conflit israëlo-palestinien, ou encore au World Trade Center. On imagine bien que ce n'est pas sans raison. Que vouliez-vous montrer ?

Il y a plusieurs choses. Je crois tout d'abord que les contours des catégories identitaires deviennent de nos jours de plus en plus flous. Il est de plus en plus difficile de définir qui est blanc, qui est noir, ce qui est beau de ce qui ne l'est pas, puisque les critères esthétiques changent sans arrêt. De même, il devient difficile de nos jours de différencier ce qui est parfaitement masculin de ce qui est radicalement féminin. Ou encore d'affirmer : "ça, c'est typiquement homosexuel, et ça, typiquement hétérosexuel".  Les frontières ne sont pas nettement définies. Moi-même, lorsque j'arrive en Afrique du Sud en avion et que je montre mon passeport, je suis sud-africain. Je le suis aussi quand vous me dites : "Oh, vous avez un accent étonnant !". Mais en dehors de cela, je ne suis pas sud-africain… Il y a comme cela des moments où la relation que vous entretenez avec une personne vient brouiller les contours de votre identité.

Alors de la même manière, les lieux ont tendance à perdre leurs caractéristiques historiques. Voyez le World Trade Center. Pour douloureux que soit le 11 septembre, il y a là une extraordinaire métaphore de l'abolition des frontières. Imaginez un peu : ceux qui ont réduit en miettes le World Trade Center ont pu le faire sans tanks, sans fusils, uniquement en disposant d'un avion, un instrument commercial. La définition de la guerre a changé. Il vous suffit de prendre un avion, de changer d'identité, et en vous introduisant de la sorte, vous commettez la pire des horreurs. Cette métaphore est pour moi extrêmement puissante.

On croit que les catégories sont inébranlables, tout comme on pense savoir exactement de quoi l'on parle : il y aurait les noirs et les blancs, les hommes et les femmes, les hétérosexuels et les homosexuels. Mais on ne peut pas contrôler la signification du langage, pas plus qu'on ne peut définir une identité, parce que tout cela change sans cesse. C'est ce mouvement que je perçois et que je voulais mettre en évidence, ce mouvement incontrôlable des gens, des lieux ou du temps, toujours intimement lié aux relations qui vont se créer avec eux ou autour d'eux. Il faut garder à l'esprit que tout change, admettre que les choses se transforment et accepter les ambiguïtés. On grandit dans une telle absence d'ambiguïté ! C'est un leurre de croire que tout est vrai ou faux, blanc ou noir. Ce monde là n'existe plus.

Parlons des femmes, dans ce roman. Elles semblent un peu idéalisées. Ounoi incarne la tolérance, Karien est capable de pardonner ce que lui a fait Michiel, Lerato a connu la réussite malgré son statut de femme noire… Et par contraste, les personnages masculins sont nettement plus négatifs.

Je crois foncièrement que les femmes sont plus généreuses et plus empathiques que les hommes. Non parce qu'elles sont nées femmes, mais grâce à l'éducation qu'on leur donne, une éducation davantage tournée vers la compréhension et la bienveillance. En général, on apprend aux hommes à se montrer agressifs, à instaurer des relations de pouvoir plutôt que des relations fondées sur une bonne intelligence. Je pense que dans une certaine mesure, le roman invite les hommes à se comporter comme les femmes, notamment par le biais du personnage de Michiel. En effet, en assumant publiquement son homosexualité, Michiel accepte une relation avec un homme qui n'est ni agressif, ni violent, un homme qui ne cherche pas la compétition. Michiel doit apprendre à aimer Kamil pour ce qu'il est, c'est-à-dire non pas un surhomme mais un homme ordinaire. Kamil est ce petit homme qui a le SIDA, qui se trompe souvent et qui est passablement content de lui. Je crois que lorsque deux hommes parviennent à s'aimer comme ces deux-là s'aiment, la prétention de l'homme à se montrer violent est atténuée. D'ailleurs, de nos jours, pour tous les hommes, qu'ils soient gay ou non, ce modèle est en train de changer. Les hommes peuvent aujourd'hui plus facilement admettre leur part de féminité, et les femmes leur part de masculinité.

Vous venez d'évoquer Kamil. C'est un personnage très à part dans le roman. Peut-on dire qu'il est la voix de la sagesse ?

Le plus souvent, oui. Il est en quelque sorte la voix qui apprend à Michiel à remettre en cause ses certitudes. Kamil est un métis. Bien sûr, Michiel l'est également, mais lui ne se comporte pas comme s'il était moitié anglais, moitié sud-africain. Il se comporte davantage comme un Afrikaner, il n'évoque jamais l'héritage qui est le sien. Soit dit en passant, il n'y a rien de "pur", ni en Afrique du Sud, ni nulle part. On a longtemps cru pouvoir distinguer les Blancs des Noirs, mais à bien y regarder, qu'est-ce que ça signifie, être blanc ? Être français, anglais ? Les Espagnols ont déjà la peau un peu plus foncée, et si vous venez d'Afrique du Nord, est-ce que vous êtes Blanc ? Kamil, lui, a du sang juif et du sang palestinien, et toutes les caractéristiques de ce métissage des Blancs. En réalité, il y a toujours un métissage. Même dans le quotidien qu'ils se sont choisi, ils ont privilégié cet aspect : ces deux hommes ne vivent pas dans Le Castro (quartier majoritairement blanc et gay de San Francisco, NdR), mais en bordure du quartier. C'est un endroit davantage tourné vers le mélange des populations, qui illustre comment la colonisation a transformé le monde en conservant les singularités des peuples. C'est un lieu qui reflète l'exact opposé de l'apartheid et du fascisme.

Nous sommes en permanence pris dans un processus où nos identités changent, je l'ai déjà dit. Kamil a cette phrase : il dit que si on cherche à obtenir quelque chose de pur et de parfait, on risque d'aboutir à une forme de fascisme. Les sangs palestinien et juif coulent dans ses veines, alors Kamil se montre prudent vis-à-vis tout ce qui est présenté comme une certitude. Il explique que les certitudes n'ont jamais amené que des ennuis, qu'il faut toujours garder un esprit critique sur nos jugements et sur nos agissements, qu'il est nécessaire de douter. Kamil est la voix du doute, ce qui pour moi revient à dire qu'il est à la voix de la sagesse.

6) Vous décrivez un univers très violent. Il est question de viol, d'avortement, de discrimination, de maladie. Pourtant, on ne verse jamais dans la tragédie, comme s'il ne pouvait pas y avoir de fatalité. Les personnages parviennent à surmonter leurs douleurs. Est-ce une façon de dire que la vie reprend toujours le dessus, quoi qu'il arrive ?

Oui, je crois que la vie continue, quoi qu'il arrive. On traverse et on surmonte les tragédies individuelles et collectives en se réinventant. Ces derniers siècles ont été jalonnés d'horreurs, de génocides, d'esclavage, de martyres, de racisme, de domination des femmes - une destruction perpétuelle et une exploitation de la condition féminine. Et pourtant, les femmes vont de l'avant, comme le font les Noirs, la classe ouvrière, les gays, les lesbiennes.

En tant qu'être humain, nous avons cette capacité à intégrer les traumatismes, même s'ils ne disparaissent jamais vraiment. J'ai voulu le montrer dans le roman : le passé n'est jamais loin. Prenez Karien, l'ancienne petite amie de Michiel, qu'il a quittée alors qu'elle était enceinte de son enfant… C'était une attitude vraiment radicale, un refus catégorique de prendre ses responsabilités envers ce qu'il peut y avoir de plus fort au monde, le fait de donner la vie. Mais Karien est une femme courageuse qui a su façonner sa propre existence.  Elle a continué son chemin, bien qu'elle n'ait rien oublié. Et comme le temps a ce pouvoir de tempérer les jugements, elle a su pardonner à Michiel, peut-être plus qu'il ne s'est pardonné à lui-même…

Le défi, pour chacun de nous, même quand nos traumatismes sont banals, même quand ce sont de petits traumatismes du quotidien, c'est de les prendre en compte, pour qu'ils ne viennent plus nous hanter. À une autre échelle, le souvenir de l'esclavage est quelque chose qui fait partie du monde, qui reste enraciné dans la conscience collective des Noirs. C'est un fantôme qui les hante. Pour qu'ils entretiennent une relation plus apaisée avec leur passé, il est nécessaire d'en parler, d'examiner comment les systèmes se créent, comme pour l'holocauste, le génocide arménien, ou l'apartheid. Chacun doit examiner individuellement sa complicité dans ces différents systèmes. Pour autant, il ne s'agit pas de se complaire dans le passé et de ne plus parler que de cela. A chacun de trouver son équilibre dans un ballet constant entre passé et présent, en acceptant de se confronter à l'un comme à l'autre.

Vous considérez-vous comme un auteur engagé? Qu'est-ce que cela signifie pour vous?

Oui, et devenir un écrivain engagé a réellement changé ma vie. Enfant, j'ai grandi dans un environnement où la littérature n'avait pas sa place. À la maison, il y avait en tout et pour tout quarante livres, essentiellement de la littérature populaire. Pas de littérature à proprement parler. Mes parents ont d'ailleurs trouvé étrange que je m'intéresse aux livres et à la poésie plutôt qu'aux armes, aux avions et à ce genre de choses.

À l'origine, je voulais devenir un auteur populaire, pour gagner beaucoup d'argent et avoir un jet privé ! Puis, quand j'ai eu une vingtaine d'années, je suis allé à l'Université. J'y ai découvert Alice Walker, Toni Morrison, John Steinbeck… Je me suis ensuite intéressé au travail des auteurs féministes françaises, et bien sûr aux philosophes tels que Sartre, Marx, Engels, aux philosophes du langage également. En somme, j'ai beaucoup lu, j'ai étudié la politique, la philosophie et les Lettres. C'est à ce moment-là que tout a volé en éclat. En fait, ça avait commencé avec La Couleur pourpre d'Alice Walker. J'avais beau être déjà adulte, lire ce livre a vraiment changé ma vie. Aujourd'hui, je trouve ça un peu gentillet, sûrement trop sentimental. Mais à 23 ans, je n'avais encore jamais lu un livre écrit par une femme noire. Et à chaque page, je voyais cette femme noire me désigner en me disant : "toi, toi, toi". Si seulement la littérature était toujours capable de faire cela, si les histoires pouvaient nous tendre un miroir pour qu'on voie plus clair en nous-mêmes ! Pas uniquement pour nous montrer combien nous sommes merveilleux, mais pour nous dire : "Tu es responsable de ma vie, autant que je suis responsable de la tienne". Si la littérature pouvait rendre les gens conscients, non pas de la seule souffrance des autres, mais aussi de leur responsabilité dans la souffrance d'autrui….

Voilà ce que j'écris dans mes romans. Je m'intéresse à notre degré de responsabilité dans la souffrance des autres. Et comme cette prise de conscience a bouleversé mon existence, à présent, quand j'enseigne, je le fais avec cette idée qu'un simple livre peut changer l'existence de mes étudiants. Ce qui fait de moi un professeur épuisant, parce que chaque heure de cours doit être une révolution...

Quand on lit le roman, des voix surgissent de toute part, comme si le texte était hanté. Vous laissez des passages entiers en Afrikaans, en anglais, les voix des absents se font entendre, ainsi que les voix d'autres auteurs, par le biais de citations. On pourrait parler de polyphonie.

Il y a plusieurs raisons à cela. La première, bien sûr, c'est que je voulais rendre hommage aux nombreux écrivains qui ont contribué à définir ma vision du monde. Pas uniquement les auteurs de littérature sud-africaine, mais ceux du monde entier. C'était aussi une façon de dénoncer les autres types de texte, ceux qui ne contribuent pas suffisamment à ce que le monde change. Parce que si vous voulez remercier la littérature pour ce qu'elle vous a apporté, vous devez aussi accepter de l'incriminer pour ce qu'elle n'a pas su faire. C'est là toutes les limites et les possibilités de l'hommage.

D'autre part, la polyphonie du texte favorise cette idée de mettre fin aux catégories et aux certitudes. Chaque voix qui se fait entendre a la capacité de nous déstabiliser, de nous faire douter. J'ai grandi dans un pays qui tentait de faire taire certaines voix. Enfant, je n'ai pas lu d'histoires écrites par des auteurs noirs, je n'ai lu que des histoires écrites par des blancs hétérosexuels. Or, lorsque les voix se multiplient, qu'elles luttent pour se faire entendre, on prend conscience de la manière dont une voix vient en défier une autre. C'est à ce moment là que notre vision peut changer.

Quand on trouve des allusions à d'autres textes dans un roman, cela permet de lire le roman en relation avec eux. Là encore, la relation qui existe entre les personnes, les lieux, le temps, est inscrite dans le texte lui-même. Le texte communique avec un autre texte, il apporte un regard différent sur ce dernier, exactement comme les gens dans les relations qu'ils entretiennent.

Au fond, tout cela nous oblige à une certaine humilité. La polyphonie permet de souligner que la vérité n'existe pas. Quand j'enseigne, je commence le semestre en apportant en classe un sac d'oranges. J'ai une quinzaine d'étudiants. Je donne une orange à chacun, et je leur demande de m'en parler. "Parlez-moi de cette orange". En dix minutes, le tableau est rempli de différentes perceptions, appréciations, commentaires. Il y a tellement de choses différentes à dire sur cette petite chose ! A elle seule, l'orange fait naître le doute, la polyphonie. Elle nous oblige à nous montrer humble, car si l'évocation d'une orange appelle tant de nuances, que dire des femmes, des hommes, de l'homosexualité, de la paix ? Refuser cette humilité face au monde, c'est risquer de verser dans l'autoritarisme, dans le racisme ou le sexisme. Il me semble impossible d'affirmer "Je sais ce que signifie être une femme, je sais ce que signifie être un Noir".

Le nom donné à la ferme familiale, qui est d'ailleurs repris dans le titre en français évoque un "Paradis". Les allusions bibliques fourmillent dans le roman. Faut-il y lire une désignation ironique de l'Afrique du Sud actuelle, ou au contraire, une volonté de montrer l'origine d'un monde nouveau ?

Bien sûr, c'est ironique, puisque si le Paradis existe, ce ne peut être qu'en regard d'une terrible violence. D'ailleurs, lorsque Michiel traverse le jardin, ce jardin si parfait, il se souvient de l'homme noir que son père frappait pour que le jardin soit toujours plus beau. La beauté va toujours de pair avec à l'horreur. Au début du roman, Michiel s'aperçoit que les lettres du mot "Paradis" sur le panneau de la ferme commencent à s'effacer, comme si le paradis disparaissait lui aussi. Pourtant, je pense aussi - vous avez mis le doigt dessus - que c'est dans le chaos et dans la fin de ce paradis que de nouvelles idées d'un monde plus ouvert vont pouvoir être forgées, pas seulement entre les Noirs et les Blancs mais aussi entre les hommes et les femmes, entre la connaissance du passé et un possible futur ensemble. Sans essayer de séparer les uns des autres.

 

Les rois du Paradis

Mark Behr

Traduit de l’anglais par Dominique Defert

300 p. - 20 €

Last modified onjeudi, 25 juillet 2013 21:49 Read 2708 times