Ottaviana Thierry Du Sorbier Buchet - Chastel

Prix éditeur 13.00 euros

Ottaviana... D�esse italienne ou op�ra
shakespearien ? Rien de cela. Ottaviana est une jeune beaut�,
sorte d'ic�ne mentale et inaccessible que le h�ros aura bien du
mal � courtiser... Un premier roman remarquable.

Comme toute rencontre importante, les premiers instants de
lecture doivent �tre soign�s : on est toujours bien trop sensible
� la "bonne impression". Ici, d�s les premi�res lignes, on est
compl�tement s�duit par le style. L'�criture est fluide,
d�bordante d'images et de constructions po�tiques, si bien
qu'on se laisse porter sans vraiment r�fl�chir. On recopie
quelques phrases, comme : "La beaut� est fugace comme
une question. Mais l'amour est d�finitif comme une
r�ponse." Puis l'on revient au texte, et on se dit que,
peut-�tre, Thierry du Sorbier est un grand imposteur... La
fameuse "bonne impression" d�pass�e, on se surprend � relire
des bouts de texte pour en appr�cier la v�ritable valeur.
Cette tournure de phrase n'est-elle pas trop recherch�e ? Ce
mot-l� est-il trop bien choisi, trop pr�m�dit� ? Y a-t-il trop de
bonnes intentions derri�re le texte ? Du Sorbier se regarde-t-il
un peu trop �crire, veut-il en mettre plein la vue ? On finit par
comprendre que la magie op�re d'elle-m�me, de bout en bout,
et l'on ne retiendra finalement qu'une chose : cet auteur-l�, on
n'a pas fini d'en entendre parler.

Sorte de Peter Pan des temps modernes, Amn�sie est un jeune
homme passionnant : mais lorsqu'il se met � voler, ce n'est pas
pour espionner les couples derri�re les fen�tres, ou pour flaner
b�tement au-dessus des platanes ; non. Quand il d�colle,
Amn�sie va tr�s loin... Par-dessus les pics montagneux, au-del�
des paysages : il survole les contr�es ! Dans ce premier roman
tr�s r�ussi, le lyrisme suinte par tous les toits, et la Lune est
toujours de connivence. Amn�sie, sorte de personnage
chim�rique emprunt� aux �toiles, aime les sensations qui
parcourent son corps et qui caressent sa peau lorsqu'il plane
au-dessus de tout.
Il serait sans doute non seulement pr�tentieux mais aussi
assez inutile de chercher � raccrocher cet Ottaviana � une
autre oeuvre, quelle qu'elle soit. Car si les genres romanesques
existent pour classifier, le roman de Du Sorbier �chappe lui �
toute tentative de typologie... Bizarrement, Ottaviana tient
debout tout seul, comme d�pourvu de r�f�rence. On pourrait
presque dire que l'auteur s'est prot�g�, ou qu'il s'est mis en
quarantaine : hors d'atteinte, il �vite la confrontation des
exemples. Pour le genre, on optera pour le conte : mais c'est
bien parce qu'on s'est senti oblig� de trouver un cadre.

Symbole de fuite et de libert� inextinguible, sensation qu'on
devine proche de l'orgasme... Qui n'a jamais r�v� de voler ?
Pour Amn�sie, c'est bien plus que �a semble-t-il. Dans les airs,
le jeune homme au pr�nom pas tout � fait choisi au hasard
parvient pratiquement � copiner avec les dieux...
Ainsi, lorsqu'il fait la connaissance d'une jeune femme aux
allures de d�esse, mais qui est en fait fille de consul en Afrique,
Amn�sie ne sait pas encore que sa facult� extraordinaire lui
permettra de la chercher, encore et encore, aux quatre coins du
globe. A Venise ou au Japon, Amn�sie essaie de ne pas oublier
ses sentiments les plus purs pour essayer de deviner sa belle,
qui doit bien se cacher quelque part. Il la retrouvera, bien
entendu, mais l'amour concr�tis� est-il toujours aussi beau que
l'amour convoit� ? On est souvent tr�s proche de "l'amour de
loin", cet �tat amoureux qu'affectionnaient les po�tes
troubadours des XII� et XIII�si�cles... La relation qu'Amn�sie
entretient avec son fr�re Michel est elle-m�me tr�s proche de cet
"amour de loin" : jamais r�unis de corps, ils entretiennent en
revanche une correspondance passionn�e.
Ottaviana la divine hante continuellement les pens�es
d'Amn�sie : son fameux grain de beaut� sur le sein n'arrange
rien ! Entre r�verie et fantasme, Amn�sie ne sait plus o� donner
des ailes. Mais la r�alit� est souvent d�cevante : il sait bien
qu'on peut parfois tomber de tr�s haut.

Avec ce premier roman, Thierry Du Sorbier signe un conte
vraiment original sur les m�andres de l'amour et sa
concr�tisation. Sorte d'all�gorie de l'amour, de la mort quand
l'�me tr�passe, de l'oubli ou des effets de la drogue,
Ottaviana permet au lecteur de suivre une piste puis de
s'en d�tourner, dans une lecture toujours agr�able. On quitte par
moments la tendresse d'une histoire aux envol�es lyriques pour
retomber dans la banalit� du quotidien, mais le charme op�re
en continu. En h�ros incertain mais d�termin�, Amn�sie se
donne les moyens de retrouver sa divine et flirte avec les cieux,
libre... Comme Peter Pan, il lui arrive m�me de nous donner la
main

Julien Canaux