Shutter Island Dennis Lehane

Prix éditeur 20.00 euros

Juillet. Valises boucl�es, billet achet�s, vous fourragez dans les
rayons du libraire � la recherche du polar de rigueur quand vient
l��t�. Shutter Island. Tiens, tiens, ce ne serait pas ce thriller
s�lectionn� par le prix des lectrices de Elle ? Et puis cet auteur,
l�, Dennis Lehane, ce n�est pas celui qui a �crit l�excellent Mystic
River ? Vous vous laissez tenter. Quelques heures de lecture
angoiss�e plus tard, le verdict tombe : Shutter Island, ou quand
roman policier rime avec haute qualit�.

Au titre, on aurait pu croire que Shutter Island �tait l�une de ses
�les du Pacifique pr�s desquelles des yacht de luxe croisent,
laissant malencontreusement tomber � la baille quelque jeune
h�ritier oisif entre deux verres de champagne. Mais non. Shutter
Island est en fait un triste �lot face � Boston dont le fort militaire a
�t� reconverti apr�s la deuxi�me guerre mondiale en prison
psychiatrique pour abriter des � fous criminels �.

And the plot is�

Un matin de septembre 1954, le marshal Teddy Daniels et son
nouveau co�quipier Chuck Aule d�barquent sur l��le, appel�s �
la recherche d�une � patiente � disparue la veille : Rachel
Solando, une dangereuse schizophr�ne qui a noy� ses trois
enfants mais qui refuse de l�admettre.
D�embl�e, ces deux flics encore hant�s par de trop violents
souvenirs du conflit de 39-45 nous sont sympathiques. Dans un
premier chapitre rondement men�, filant comme une vraie
sc�ne d�exposition � l�ancienne, les pr�sentations sont faites :
Chuck a �t� transf�r� � Boston en raison d�une petite amie dont
le origines japonaises passent encore mal � Seattle ; Teddy se
remet � peine de la mort de sa femme, disparue lors de
l�incendie de leur immeuble.

A l�arriv�e, le myst�re s��paissit. Comment Rachel Solando a pu
s��chapper du haut quartier de s�curit� o� elle �tait d�tenue,
depuis une chambre � la porte ferm�e et aux barreaux de
fen�tre bien arrim�s ? Comment un imposant corps m�dical
doubl� d�une garde arm�e jusqu�aux dents n�ont-ils pu la
retrouver sur une �le d�� peine quelques kilom�tres de
circonf�rence ne permettant aucune fuite ? Seul indice laiss�
par la disparue : une feuille de chiffres, apparemment
incompr�hensible. L�ironique Chuck propose la solution de la
potion d�invisibilit�, on n�est pas loin de partager son avis.

O� l�on d�couvre qu�un myst�re en cache souvent bien d�autres
Tr�s vite, Teddy et Chuck se heurtent � la mauvaise volont� des
autorit�s m�dicales. On leur confisque leurs armes, le m�decin
charg� de Rachel a �t� envoy� en vacances le matin m�me, on
refuse de leur laisser acc�s aux dossiers des malades comme
� ceux du personnel. Qu�est-ce donc que ce phare se dressant
� l�extr�mit� de l��le tel une ombre malfaisante et dont l�entr�e
est totalement interdite ? N�est-ce pas l� qu�ont lieu les �
exp�riences radicales � de psychiatres que la loi du continent
pr�servant le droit d�humanit� n�atteint plus et qui pratiquent,
entre autre amusements, des lobotomies transorbitales ?

Il appara�t bient�t que Teddy n�est probablement pas l� par
hasard, semblant �tre bien au courant de ces exp�riences
limites que Chuck d�couvre lui peu � peu. Face � un danger
dont ils n�avaient pas soup�onn�s la provenance, les policiers
se serrent les coudes. Mais tandis que les premiers
grondements d�un ouragan se font entendre, condamnant tout
retour �ventuel au continent, les deux hommes sentent le pi�ge
se refermer lentement sous leurs pieds.

Quand le thriller se porte bien

Quatre jours. Il suffit � Dennis Lehane d�un r�cit �tal� sur quatre
jours � et 286 pages � pour faire preuve d�un ind�niable talent
de Ma�tre Es Suspense. L�aspect circonscrit du lieu est un point
fort de l�intrigue, emp�chant aux personnages comme au lecteur
toute possibilit� d��chappatoire. L�id�e de cette prison
psychiatrique o� r�gne une folie � peine ma�tris�e est l�autre
�l�ment cl� du roman, � tel point qu�on finit par se demander qui
est vraiment normal dans ce huis clos mettant aux prises
l�implacabilit� de la loi � la toute puissance de la m�decine.
Plus le r�cit avance, moins l�enqu�te s��claircit : codes
myst�rieux, accumulation de squelettes dans le placard, chasse
� l�homme dont la cible tend � se d�multiplier, tout est fait pour
perdre un lecteur aussi d�boussol� que les policiers. La
dimension humaine sous tendant l�ensemble du roman est
d�ailleurs l�un de ses aspect les plus r�ussis tant le capital
sympathie du lecteur s�exerce sur des h�ros d�pass�s par leur
propre histoire. Ceux qui auront vu ou lu Mystic River se
souviendront avoir ressenti cette m�me proximit� �motionnelle.
Et lorsque le rideau tombe enfin sur l�impossible v�rit�, on se
surprend � penser � l�excellent film Memento, la r�solution de
l�intrigue s�appuyant sur un type de processus au m�me
encha�nement logique implacable.
Que les amateurs se r�jouissent, Shutter Island maintient l�art
du polar � son plus haut niveau.

Ma�a Gabily