Tu es une rivi�re Chi Li Actes Sud

Prix éditeur 16.00 euros

Voici la cinqui�me traduction de Chi Li chez Actes Sud, qui a d�couvert en cette femme un grand sens de l'observation et un immense talent dans ses choix d'�crivain. Cela tient sans doute � ses formation et exp�rience de m�decin, comme aujourd'hui � ses fonctions de d�put� � l'Assembl�e du peuple chinois, deux domaines o� aller � l'essentiel est vital.

Histoire de Chine, destin d'une famille

Tu es une rivi�re raconte une famille pauvre comme il y en a des centaines de millions en Chine, et l'histoire d'une m�re en particulier, Lala. C'est par elle surtout que sont d�crits les probl�mes entre ses enfants, les querelles et jeux, les cachotteries et mesquineries, les attentes et d�ceptions, les rivalit�s entre a�n�s ou entre m�re et filles, bref, tout ce qu'il y a de plus humain. Le g�nie r�side dans le ton, les force d�tails qui saisissent si bien l'instant d�crit, l'humour parfois, l'ironie entre les gosses qui en grandissant apprennent � faire mouche par des piques cruelles et acerbes. De m�me que l'ironie de la m�re, pr�te � tout pour sa nombreuse prog�niture mais exc�d�e par leurs incartades et insolences croissantes, que l'adolescence naturellement ne vient gu�re arranger. La mort, aussi, r�de... et prend r�guli�rement son tribut ; les douleurs tenues secr�tes, �clatent au grand jour... Et entre toutes ces tensions, des sc�nes de joies, d'amiti�, d'amours juv�niles ou adult�rines, car la vie conna�t aussi ses moments de bonheur.

Il y a dans cette oeuvre toutes les ficelles dont les uns et les autres usent pour subvenir aux besoins de la maison : le Chinois de la rue a la d�brouillardise spontan�e dans le sang, l� o� le Fran�ais cart�sien commence d'abord par �chafauder un syst�me D. Survivre en Chine en ces temps-l� est difficile, on y parvient avec de gros efforts et avec le recours � autrui, m�me si tout se paie t�t ou tard. Ainsi de l'amant de Lala qui l'aide en catimini par ses apports de riz, non sans lui avoir d'abord fait deux jumeaux � l'insu de tous ; de m�me, plus tard, de son sang qu'elle vend � l'h�pital pour acheter des l�gumes et un peu de viande. Heureusement que le fr�re de l'�poux d�funt, amoureux de sa belle-soeur qui repousse ses avances, porte secours � temps aux moments cruciaux.

Car ce livre est aussi une fresque des �v�nements historiques survenus en Chine, depuis les nationalistes chinois fuyant devant les troupes communistes de Mao, la � lib�ration � de 1949, les ravages du � Grand Bond en Avant � aggrav�s par la � R�volution Culturelle �, jusqu'� la chute de la � Bande des Quatre � et le changement de politique qui s'ensuivit. Mais le livre n'est pas un compte rendu politique : Chi Li ne fait que mentionner l'incidence de ces �v�nements sur la famille, dans un texte �maill� d'allusions aux divers slogans et faits de cette �poque, qu'un excellent compendium de notes en fin d'ouvrage vient compl�ter et expliciter... Ce n'est donc que par le hasard que la famille en est affect�e : tel fils de Lala qui s'enr�le avec les jeunes Gardes Rouges qui sillonnent le pays gratuitement en train pour faire la loi au nom du � Grand Timonier �, tel autre qui fugue loin de sa province...

Chi Li ou la lucidit� des lettres

Dans un roman complet, riche, sans d�layage ni complaisance envers l'histoire et la mode des happy ends, Chi Li a une ma�trise du m�tier comme on aimerait en voir plus souvent. Les relations familiales, on l'a dit, sont d�crites avec soin et r�alisme, tiss�es avec brio � l'environnement social et politique tels que l'a d�peint Zhang Yimou dans son excellent film � Vivre �.

Pour ceux qui auraient �puis� ses titres traduits en fran�ais, ( un petit �chantillon, l'auteur comptant plus d'une vingtaine de romans � son actif ), signalons le recueil de nouvelles en Collection Panda. Et pour ceux qui voudraient suivre par un deuxi�me livre, Pour qui te prends-tu ?, tr�s diff�rent de Tu es une rivi�re, est tout aussi �tonnant. Chi Li a son monde, un ton, un style, et surtout les � yeux en face des trous �, autant d'atouts qui signent en elle un grand �crivain.

Claudio Sepulveda