#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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Villa Vortex

 Villa Vortex
Maurice G. Dantec
Gallimard Coll. La Noire
Prix éditeur
24.00 euros



Deux morts � moins de 600 pages d�intervalle : voil� pour le polar. La premi�re mort, faut que �a tombe sur lui, Georges Kernal, en septembre 1991. Tableau du type : m�le, blanc, entre deux �ges, du Service D�partemental de la Police Judiciaire de Cr�teil, � peine d�pressif� ou plut�t totalement lucide. Portrait du cadavre trouv� pr�s d�une centrale EDF : corps �ventr�, mutilations et br�lures, support de toutes les saloperies de tortures possibles et inimaginables. Fut une gamine de 12 ans avant de devenir un objet. Et c�est � Kernal qu�on demande de vomir une enqu�te, qui m�ne � d�couvrir l�utilisation in-humaine de la petite, dans la gorge de laquelle on a voulu ins�rer une disquette en y tailladant un emplacement sur mesures, et qu�on a truff�e d�appareils �lectroniques. La deuxi�me mort, �a retombera sur lui, simple comme un coup de fil.

Dissection d�un Occident occis

Aux th�mes aussi �loign�s mais cong�n�res que la biologie mol�culaire et les westerns urbains, d�velopp�s dans ses trois premiers romans, Maurice G. Dantec rajoute, dans Villa Vortex, l�exploration de la litt�rature christiano-mystique (en nous livrant ses fiches de lecture parfois de mani�re plaqu�e), l�incursion dans tous les infra-mondes au gr� de diverses enqu�tes (�conomie souterraine de la drogue, psychologie extr�me d�un violeur sid�en), l�association du m�ta- (la biologie) et du post- (l�informatique) humain et l�exposition implacable d�une g�opolitique du chaos dans laquelle l�auteur, son personnage et ses adjuvants composent un requiem pour les Lumi�res d�funtes. Dans une mise en abyme qui ne fait qu�en cacher une autre sont ainsi reproduites une quinzaine de pages du Livre des morts, manuscrit d�un �tre discret rencontr� par Kernal aux abords de la centrale �lectrique, Paul Nitzos, qui apr�s s��tre adonn� au rock exp�rimental poursuit sa qu�te litt�raire dans une Yougoslavie under destruction et �crit, noir sur noir : � Nous �tions ainsi les enfants impossibles de l�extermination de l�Occident par lui-m�me, contre lui-m�me. Nous avions �t� accouch�s par le plus puissant monstre cannibale de l�Histoire � (p.387).

Les deux morts embl�matiques du polar dantecquien deviennent alors all�gories de l�agonie de notre civilisation, dont les sympt�mes se retrouvent � tous les niveaux des images romanesques : si la lutte des services r�galiens pour s�approprier l�enqu�te symbolise l�impotence de la machine �tatique, le rituel sacrificiel de gamines orchestr� par un serial killer paroxystique et la mort finale de celui qui le traqua inlassablement jusqu�� TOUT comprendre laisse se d�voiler l�absurdit� de laquelle se repa�t notre soci�t� qui noie toute son essence dans le dissolvant du nihilisme.

Dantec, baron baroque

Car Dantec oblige. Si son roman se donne � lire comme un polar par� de sa figure de flic alcoolique et de ses �pisodes r�alistes (tel l��change de proc�d�s entre police et malfrat qui consiste � rayer quelques lignes d�un casier contre quelques infos), l�auteur se livre aussi, et souvent par la voix de son personnage de papier, � une r�flexion qui exige du lecteur une r�action. Dans les m�andres d�une telle enqu�te, fi des biens�ances et de la retenue, seule l�attaque permet donc � Kernal de se d�fendre, de faire appel � un salaud parce qu� � il faut des hommes mauvais pour combattre les ordures � (p.340), d�en arriver � cette conclusion qu�avant d�entrer dans la police, il avait � une vie innocente � et de rajouter in extremis, apr�s une virgule qui force la fin de la phrase, � et stupide � (p.40). Si vous prenez les qualificatifs pour vous, Kernal et Dantec ne vous d�mentiront s�rement pas.

Mais c�est dans la peinture du monde contemporain, dans le constat d�sabus� de ce que les singularit�s ont �t� remplac�es par des abstractions de masse (p.456), dans un pessimisme dont l�obscurit� ne sert qu�� mieux �clairer les v�ritables enjeux, que Dantec, dans un m�me mouvement qui signe sa position ambivalente dans le champ litt�raire, dresse un diagnostic ind�niablement int�ressant et laisse pourtant un arri�re-raisonnement dans le cerveau (comme il y a des arri�re-go�ts et des arri�re-pens�es), souvent d� � des manques. Sans pr�ter quelque attention aux philosophies de la Raison, l�auteur n�explique � aucun moment pourquoi il n�oppose que le mysticisme chr�tien au nihilisme triomphateur. Et la d�nonciation du turbo-capitalisme d�vastateur ne jouit pas d�une place telle qu�elle puisse demeurer dans la rumination post-lecture. Un roman cath�drale pour des fun�railles souhait�es (?).

Avec Gramsci, sur le champ de bataille

C�est que le combat se focalise sur un seul champ, irr�ductible et d�cisif : la culture et la litt�rature, � l�analyse strat�gique desquelles l�auteur consacre son imposante quatri�me partie. Tout au long du roman, des fl�ches stylistiques sont tir�es intelligemment, qui malm�nent la grammaire acad�mique pour faire primer l�expression brute : � un dispositif [�] avait �t� mis en place pour � non plus hypnotiser les masses � mais subjuguer� � (p.332), ou encore des � � priori � francis�s ; qui saluent la puissance du cin�ma dans la cr�ation de mod�les narratifs : interrogatoire par tirades (p.80) et didascalies (p.524), suppression des tirets de prise de paroles pour tendre l�action (p.433), multiplication des explications pour la ralentir (p.606), images de spectacle (p.714) ; qui composent avec la langue pour le meilleur : cr�ation d�une � journuit � (p.524) ou pour le bien comme les saturations de mots, issus de vocabulaire diff�rents, dont on se demande parfois si elles sont �touffantes ou exigeantes.

Mais dans la quatri�me partie, l'arc est troqu� contre le bazooka de l�analyse litt�raire totale et cruciale. Alors � le monde [sortit] de l�Histoire. Il entrait dans la Narration � (p.666), espace de la cr�ation romanesque, � mi-chemin entre l�invention et la r�daction, o� le personnage n�est pas encore � ou n�est d�j� plus -, o� le temps n�est qu�une mat�riau uniforme qui permet de faire appel � Rommel et Massoud pour venir aider le spectre du flic. Ce qui se traduit, dans la vulgate de Dantec, par l�existence d�une � Centrale Litt�ratron � apte � faire voyager au c�ur du pass�, au sein du futur et m�me hors de la chronologie, suivant � la ligne de fuite de la narration vers son infini (p.780). Trinit� du personnage, Georges Kernal se fond donc dans Paul Nitzos et conquiert Franz Narkos pour contrer les forces occultes et d�ambuler dans l�espace de la Litt�rature, o� sa pr�sence au monde est aussi celle d�un � Non-Je �: � Moi, l�autre, Franz Narkos, j�avais dit� � (p.736).

Avec Villa Vortex, Dantec affirme tirer sa r�v�rence au polar, genre embl�matique du roman avec un R, en ench�ssant son intrigue dans un espace plus in(d�)fini, appel� � Quatri�me monde �, �tude sur la litt�rature qui d�route le lecteur en ce qu�elle se situe hors du r�cit mais inscrit tout de m�me les personnages dans un Anti-Monde du futur proche, o� la Colonie des Sciences Sociales s�est alli�e avec la Corporation du Tourisme Culturel pour contr�ler les �mes litt�raires en France. Tout est l� : la litt�rature doit �tre visionnaire ou ne doit pas �tre. Po�sie de Mallarm�, elle permet d�atteindre au noyau du r�el, de savoir ce que celui-ci deviendra. De finalement �tre la vie r�elle. Constat qui chez le biologiste Dantec se traduit dans le corps : cataphore de la cr�ation litt�raire dans l�intrigue romanesque elle-m�me, le Livre des Morts de Nitzos prend possession de la carcasse de Kernal (p.534). Traduction : la vraie vie est dans la litt�rature, seule la litt�rature permet de comprendre le vrai dans la vie.

Th�orie de l��crit, th�orie de l��crivain : � la page 634, dans l�interstice de la cr�ation, Kernal fait face � l�Auteur pr�sent� sous les traits d�un diable, qui par glissement s�mantique peut �tre rapproch� du d�mon, du daimon grec, de la figure de l�auteur romantique qui �crit, guid� par une force sup�rieure. Un d�miurge, objet de son Inspiration, qui notamment gr�ce aux drogues peut entrer en correspondance avec l�essence du Monde (p.639) et, voyant rimbaldien, clamer ses proph�ties � ses contemporains. En ce sens doivent �tre accueillies les digressions sur le code g�n�tique et la Kabbale, porteurs de messages pour les volontaires initi�s. Dans cet esprit devrions-nous relire (et Dantec avec nous, souvent enferm� dans son mysticisme chr�tien) la Circulaire du Grand Jeu. � Nous ne voulons pas �crire, nous nous laissons �crire � signait Roger Gilbet-Lecomte. Car Dantec fait partie de ceux-ci qui tiennent la litt�rature pour un moyen d�acc�s au monde, au r�el ; de ceux-ci qui appr�hendent la chose litt�raire de mani�re totale. Dantec, sous le soleil du d�mon, nous br�le de son obscure clart�.


Olivier Stroh



 
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