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Le renard dans le nom
| | Le renard dans le nom Richard Millet Gallimard
| Prix éditeur 11.00 euros
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Voici une voix qui conte, celle d�une m�re. Il s�agit d�"une histoire hors du temps, comme tout ce qu�on raconte, peu importe sa vraisemblance ou le poids d�un pass� pesant comme autant de cailloux dans la bouche de celui qui parle". Nous sommes d�s lors invit�s � un monologue int�rieur rapport� par le fils de cette m�re, proc�d� d�j� utilis� dans Lauve le pur, paru en Folio poche l�an dernier. Ce tour narratif fait aussit�t du roman une intrigue cont�e o� les effets spectaculaires ne sont pas de mise. Tout ce qui sera dit sera charri� dans le flux de la parole rythm�e par la langue qui nous offre � lire et � entendre. Lire une musique, celle des mots, et entendre le bruissement des images dont regorge ce livre.
Ici, le sens devient et procure sensation. Nous sommes dans la vie, celle des mots peut-�tre, mais en reflet de l�existence comme rarement on le voit. Les mots sont donc porteurs de sens et de sensations � la fois, ce qui permet � l�alchimie textuelle de s�exaucer. L�auteur a trouv� son rythme intime dans la narration, et sa v�rit� romanesque s�en ressent brusquement. Les paroles sont vivaces sous sa plume. Les mots remuent, nous remuent, pr�ts � mordre la r�alit� pour mieux la go�ter, et la faire r�agir. Tout �a parce que la voix qui conte est impliqu�e, engag�e dans son r�cit, tout comme on s�engage dans la r�alit� de nos responsabilit�s quotidiennes, qu�elles soient lourdes ou l�g�res. "Car c�est un peu la m�me chose, n�est-ce pas, ce qui a eu lieu et ce qu�on raconte : l��paisseur d�une voix, ce temps qui se ramasse dans la bouche, le temps devenu salive, air et sang, la travers�e de cette for�t morale et spirituelle qu�on appelle la vie".
Le personnage principal dont il est question tient son destin dans son nom : Pierre-Marie Lavolps. Force du verbe sur nos vies : il y a un renard dans son nom (volpes, en latin), et cet animal tapi dans son patronyme comme dans son regard engendre la crainte aux alentours. Et toutes les autres familles voisines de revenir en �cho au fil des pages, comme un clin d��il aux autres romans de Millet, car toutes ses pages forment une saga du terroir magnifi�, r�unissant les �tres et les �l�ments, les familles et les anonymes, les passants que nous sommes, lecteurs, et les acteurs de ces drames se jouant sous nos yeux. Nous sommes pris � parti, toujours, dans un roman de Richard Millet. Comme chez Sylvie Germain, nous sommes proches. Nous sommes l�, actifs dans notre �coute qu�il favorise, qu�il suscite en donnant le ton de la confidence. La confidence entra�ne la confiance. On a envie de tourner les pages. Qui est cet innocent au nom � la fois masculin et f�minin, � la gr�ce adolescente un peu trouble et qui trouble ? Il y a la fascination de la beaut� qui nous plonge dans cet �tonnement vital. Notre peur aussi, face � cette fascination. Ce sera une histoire d�amour �videmment, comme toutes les histoires. Une histoire de d�sir �galement. Une histoire, en tout cas, pr�te � s�offrir dans l�intelligence de sa g�n�rosit�.
Si, � notre �poque, on publie trop souvent des immondices textuels n�apportant rien � personne sinon de l�argent � l��diteur et du divertissement st�rile au lecteur, nous pouvons affirmer que nous voyons en la personne de Richard Millet un �crivain allant � contre-courant. Un vrai texte est un texte f�cond, portant en lui des effluves essentiels et des vibrations n�cessaires qui provoqueront celui ou celle qui s�y aventurera, alors que pour certains �diteurs, un bon texte est un texte mort, qui ne d�rangera personne et arrangera leur compte en banque.
Mais voil� une voix qui compte, car son texte mord. Pour nous faire comprendre qu�on ne r�ve pas les yeux ferm�s, mais grand ouverts sur le monde du langage qui peut faire de nous des hommes alertes.
Richard DALLA ROSA
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