Amour, Prozac et autres curiosit�s Lucia Etxebarria 10/18

Prix éditeur 7.62 euros

Un ab�c�daire de trois vies : ce sont trois s�urs qui n'en peuvent plus. Trois s�urs voisines et pourtant �loign�es les unes des autres, avec leurs gal�res et leur trop maigre lot de joies quotidiennes. L'a�n�e s'accroche aux lambeaux d'une existence trop lin�aire, poup�e d�sarticul�e depuis qu'elle a compris que les t�ches m�nag�res ne remplissent pas une existence. La deuxi�me, froide business woman, r�gle son quotidien stress� et son cortex comme un modem. La derni�re, serveuse d�lur�e, passe aux yeux familiaux pour une pauvre nymphomane paum�e. Trois vies qui se r�v�lent d�sesp�r�es et d�sempar�es par un seul et m�me effacement : celui de l'Homme.

Car c'est bel et bien d'Homme dont il s'agit ici, malgr� ce ton f�ministe qui porte l'�tendard de l'ind�pendance aux nues. Tout �voque l'absence, la disparition �go�ste. Ana, Rosa et Cristina ont vu leur p�re partir en bas �ge. Ana raconte les d�parts et explique son apathie. Raconte le choc de son viol par son premier amour, sa d�ception face � l'insipidit� d'un mari mod�le. Rosa, qui a toujours envi� l'adoration de son p�re pour la benjamine, pleure sa transparence blind�e. Tout en esp�rant que les coups de fil anonymes nocturnes soient ceux du beau cousin indiff�rent. Et Cristina, rejet�e par sa m�re, priv�e de son p�re-compagnon, passe de bras en bras pour un brin de r�confort depuis la sortie fracassante du bel Iain.

On entre dans trois int�rieurs model�s par une �criture crue et vraie, aux intonations tour � tour publicitaires, m�caniques, psych�d�liques. Trois univers auto-d�truits et nourris par l'illusion : somnif�res, Prozac, coca�ne. C'est tout son c�ur et probablement toute ses rancoeurs, toutes les �pices de sa langue qu'Etxebarr�a met entre les lignes. Sauvage et brutal, ce monde o� le pass� conditionne, o� l'amour ne se manifeste pas. Et encore moins la compassion. On finit par se r�signer et se noyer dans mille curiosit�s pour oublier ce qui fait le plus mal : l'abandon.

Bon, quelques �l�ments faciles : la bosseuse frigide, la barmaid d�jant�e, la m�nag�re molle et encoconn�e. Quelques passages un peu r�p�titifs et une volont� de psychologisation trop pr�sente. Mais si les personnages d'Ana et Rosa retiennent moins l'attention, le tissage des trois histoires ainsi que la trame de celle de Cristina sont en revanche remarquables. L'extr�misme du personnage choque et enchante : enfin une note de sinc�rit� sans dramatisation outranci�re.

Les difficult�s de connexion des trois s�urs ainsi que leur solitude pathologique se bouclent avec le constat de ressemblance de leurs existences. Ici la d�culpabilisation est reine : si la m�diocrit� et la fragilit� de leurs destins �clat�s est mise en exergue, elles ne sont jamais condamn�es. On se borne � constater qu'il y a certaines circonstances, certains fardeaux, certains engrenages et une conclusion logique, parfois irr�m�diable. On n'apprend absolument rien, en revanche on passe un moment d�licieux, almodovarien, d'un rythme et d'un sang chaud typiquement madril�nes.

Louise de Visscher