Le vent et la lumi�re Nadine Ribault Jo�lle Losfeld

Prix éditeur 17.00 euros

Entre secrets de famille et hymne � la nature, Nadine Ribault �labore trois portraits de femmes et interroge la filiation. Loin du r�gionalisme basique et des histoires de clocher, l�on s�aper�oit qu�il fait bon quitter un temps les pr�occupations urbaines pour respirer quelques embruns.

Un jour vent�, Eug�nie, la fr�le sculptrice, a plong� un peu plus profond que d�habitude dans les eaux de la mer du Nord. Imprudence, pr�m�ditation ou accident, elle n�a jamais refait surface. Dix ans apr�s, celui qu�elle aimait en secret subit un sort proche. Entre temps, une enqu�te est men�e, ou plut�t une qu�te existentialiste, par la jeune fille de cette artiste. Non pas qu�elle se soit d�couvert une vocation de nouvelle miss Marple, mais plut�t dans le but de comprendre, litt�ralement prendre avec elle, les secrets de sa m�re � la fois si solitaire et si sensible. Impressions rest�es en filigrane tout au long de son enfance, mais qui, alors qu�elle m�me adolescente se confronte � la vie et aux relations humaines, ressurgissent et r�fl�chissent ses propres souhaits et exp�riences.
Tout l�art de Nadine Ribault provient de la m�thode qu�elle adopte pour amener la jeune Ad�la�de � prendre conscience du pass� et se le r�approprier pour enfin incarner son existence propre. Car se sont bien les r�miniscences des �v�nements peu � peu interrog�s et int�gr�s qui la font �voluer. Et ce n�est qu�au prix d�un travail de rem�moration et d�introspection soign�e que la lumi�re se fera, tant sur la v�rit� du pass� familial que sur ses priorit�s dans l�avenir. Aussi l��criture proc�de-t-elle en d�innombrables va-et-vient temporels, adoptant � la fois le rythme des mar�es de la toute proche mer du Nord et le cheminement concentrique et labyrinthique de l�exploration des m�andres de la m�moire.

T�moignage ou fiction ?

Derri�re cette apparente scientificit� transpara�t surtout une v�ritable exp�rience litt�raire. C�est d�abord de la fiction pure que rel�ve Le vent et la lumi�re dans la mesure o� les concessions faites � la r�alit� (indices spatio-temporels) sont r�duites au strict minimum. Il est bien question de la route du caf�, o� furent ex�cut�s certains juifs, ce qui situe l�action bien apr�s 1945, mais l�impression globale laiss�e par ce flux de parole ininterrompue semble �chapper � la temporalit� historique. Impression renforc�e par les pr�noms des h�ro�nes, dont le choix n�est sans doute pas anodin. Constance, Eug�nie, Ad�la�de. Trois g�n�rations et pourtant trois pr�noms apparemment � vieux � ou vieillis. Comme si l��poque avait finalement bien moins d�importance que le contact et la relation aux �l�ments. Mena�ants ou revivifiants, orages et �claircies, mer belle ou agit�e accompagnent en une troublante symbiose �piphanies et r�v�lations marquantes de la vie de ces femmes.
Transcender la fugacit� de l�instant pr�sent et se le r�p�ter, se le rem�morer � l�infini afin d�en saisir toute la port�e, d�en mesurer l�impact et les r�sonances dans la vie future et sur les �tres alentours. Tel semble bien �tre le but de l��crivain au travers du ressassement de ces souvenirs.

Mystique ou romantique ?
Hors du temps et comme en retrait du monde contemporain, Eug�nie a fui le rythme tr�pident et effrayant de la vie parisienne, pour se r�fugier chez sa vieille cousine et se livrer corps et �me � l�art de la sculpture. Si elle semble avoir perdu toute croyance dans le couple et la stabilit� familiale, la religion n�est jamais loin. C�est d�ailleurs au couvent du Perp�tuel Secours qu�elle a li� son existence, s�attelant jour pr�s jour � atteindre la perfection du model� de la sainte vierge. Entre artiste romantique et nonne la�que, Eug�nie s��vertue � donner sens � son existence, au risque de n�gliger ceux qui l�entourent. L�amour de l�art peut-il toutefois exc�der celui des hommes. Et s�il le peut, en a-t-il le droit ? La distance qu�elle s�est efforc�e de maintenir avec Cyril semble en effet moins l�gitime lorsqu�il s�agit de sa fille�

Autant de questionnements qui affleurent tout au long de ce roman fleuve de par sa structure (un seul et unique paragraphe). Flux ininterrompu, d�une sensualit� toute v�g�tale, qui requiert que l�on s�y plonge sans concession, presque d�une traite, afin de se laisser gagner par le rythme des phrases et des questionnements polyphoniques. Une attention que le lecteur peine parfois � maintenir, s�enlisant dans l�afflux et la r�currence des �l�ments. Quelques poncifs et morales simplistes (telles les in�vitables r�percussions des actes pass�s sur les actions futures�) tendent � alourdir certains passages o� le souffle est d�j� court, mais une r�ussite certaine dans la fusion entre l��criture et le cheminement vers la lib�ration finale. Portrait de femme en artiste et hommage aux femmes par l�artiste.

Laurence Bourgeon