Un tiers en trop Janine Le Fauconnier Fallois

Prix éditeur 14.48 euros

"Quand apr�s m'avoir dit que sa m�re �tait morte, il s'est jet� dans mes bras, qu'aurais-je pu faire d'autre que les refermer sur lui ?"

Ainsi commence le r�cit d�routant d'Edouard, qui, de longues ann�es apr�s les faits, dispose enfin du temps et du recul n�cessaires pour jeter (du moins tenter de jeter) un regard lucide et distanci� sur un �pisode de sa vie, qu'il qualifie lui-m�me d'incompr�hensible. Edouard est un �diteur parisien renomm� menant une vie paisible avec son ami Paul lorsque soudain surgit Eric, non pas un mais LE tiers en trop : l'�l�ment modificateur et perturbateur qui va donner � la vie de notre si sympathique narrateur une direction radicalement nouvelle. Car cette rencontre n'a rien d'ordinaire, bien au contraire elle prend la forme d'une double r�v�lation : non seulement Edouard tombe litt�ralement sous le charme d'Eric, v�ritable ph�nom�ne et chef-d'oeuvre de la nature au sens litt�ral du terme, mais le bouleversement des sens qui na�t de ce rapport � l'autre est consubstantiellement qu�te et d�couverte de soi, il donne lieu � une attitude r�flexive et � une recherche de son int�riorit�. Malheureusement, le pr�suppos� fondamental qui commande insidieusement la prise de conscience - qui est �galement aspiration � la connaissance-du narrateur est erron�. Non, le Beau n'a pas toujours partie li�e avec le Bon.

La succession des p�rip�ties - dont on peut d�plorer le caract�re trop artificiel, seul travers de ce roman par ailleurs excellent - met en effet au jour un jeune homme m�chant, ingrat, machiav�lique. Le Mal parfois semble puiser ses racines dans le Beau, et notre �diteur, en v�ritable esth�te, de se poser la question lancinante suivante : comment se lib�rer des apparences et de ce visage si parfait ? L'amateur d'�checs chevronn� qu'il est aurait d� se rappeler l'une des techniques �l�mentaires de ce jeu qui porte la si pertinente appellation de " baiser de la mort ".

Le style de l'auteur : il ne nous reste qu'� en faire l'�loge : humour et ironie alternent remarquablement, ainsi que la structure de ce roman qui livre progressivement ses secrets et m�nage jusqu'� la derni�re page un suspense authentique. Tout lecteur, quels que soient ses go�ts, y trouvera du plaisir, � condition de ne pas envisager les cat�gories litt�raires de fa�on trop rigide, cet ouvrage participant de nombreux genres : polar, autobiographie �tude de m�urs� Son plus grand m�rite est de mettre � nu un homme, avec tout ce qu'il a de plus complexe, et de parvenir � mettre des mots sur des sentiments et des intuitions, bien souvent rebelles � toute parole. Il r�ussit la prouesse de penser le complexe, l'ineffable avec humour et simplicit�.

En menant tout au long du roman une introspection fine et subtile, le narrateur soul�ve de v�ritables questions, aborde des th�mes canoniques avec une certaine fra�cheur. Sans jamais sombrer dans le psychologisme ou le pseudo-philo, il d�montre � sa fa�on une �vidence : l'existence humaine est paradoxale. Oui, un homme peut sentir poindre en lui l'instinct maternel ! Oui, l'�me est ce lieu si obscur o� amour et haine, altruisme et �go�sme se livrent un combat sans merci ! C'est pourquoi le mal si myst�rieux et permanent dont souffre Edouard semble avoir une fonction �clairante et livre l'une des convictions de l'auteur : vivre, c'est aussi penser la vie, c'est entretenir avec elle une relation marqu�e par la souffrance.

Emma Le Clair