Julien Dufresne-Lamy
Julien Dufresne-Lamy Nicolas Wintrebert

Julien Dufresne-Lamy, Serial Writer

Portraits

Une future doctorante en mathématiques, schizophrène sur les côtés, une famille coincée entre l'alcoolisme d’une mère et les secrets d’un père et un refuge dans les personnages empruntés à la littérature et à l’imaginaire… À 25 ans, Julien Dufresne-Lamy signe un premier roman au féminin et plonge son lecteur au pays des merveilles.

Vous émaillez votre roman, dans des passages distincts des chapitres, de nombreux personnages empruntés à la littérature et à l’imaginaire. Est-ce pour vous sentir moins seul dans l’aventure d’un premier roman ?
Ces passages littéraires sont le point de départ du livre. J’ai écrit cette longue logorrhée quand j’avais 16-17 ans. C’était simplement des phrases sans ponctuation avec des références littéraires sans qu’elles en soient véritablement. J’étais assez amusé par l’exercice, mais j’ai calé rapidement. Alors c’est devenu un travail de recherche et de documentation pour explorer la littérature dans son ensemble. Au final, je l’ai découpé et gardé telle quelle dans le livre. Alors peut-être que de manière inconsciente, je voulais être accompagné.

C’est ce qui a décidé l’écriture de Dans ma tête...
Il y a trois ans, à l’occasion d’un concours de nouvelles, j’ai repris cette idée. Mais il fallait tisser autour, un cadre, une histoire. Au départ, il n’y avait pas de narratrice. J’ai écrit les prémices du livre intégré dans la nouvelle : une héroïne, son univers familial et ce besoin de se réfugier dans la littérature. L’exercice m’a plu, j’ai commencé une autre nouvelle avec le sentiment qu’il fallait d’abord finir la première histoire. J’en ai fait un roman, sans arrière-pensée. Quelques mois plus tard, il était bien avancé, j’ai gagné ce concours de nouvelles. Et l’envie d’être édité est née…

Vous vous êtes essayé à la dure réalité des envois de manuscrits chez les éditeurs ?
En réalité pas vraiment. Parmi les membres du jury de ce concours, il y avait une personne de chez Stock. J’ai naturellement commencé par l’envoyer dans cette maison. Un coup de pouce qui m’a épargné l’épreuve des envois, de l’attente... et des refus. En fait, je peux dire que je n’ai jamais reçu de lettre de refus.

Le narrateur est donc une narratrice, une manière d’éviter le procès en autofiction, quasi inévitable lors d’un premier roman ?
Quand on me demande si c’est une histoire vraie, je peux répondre facilement que non puisque la narratrice est une femme. Je voulais absolument imaginer un personnage et éviter l’amalgame et la question de l’autofiction, « est-ce une histoire vraie ? » … J’avais envie de penser dans un autre corps, d’écrire dans la peau d’une femme. Dans cette histoire familiale où l’héroïne, un peu craintive, est confrontée à la maladie de sa mère, l’alcoolisme. C’est d’ailleurs de cette dualité que nait sa schizophrénie. Je ne voyais pas leur relation par le prisme d’un homme. Ça aurait peut-être manqué de cran.

La mère n’est donc pas une question obligatoire qu’on règle avec un roman…
Quelqu’un qui s’imagine des vies, qui s’imagine incarner des personnages, des héros, ne doit pas avoir une vie facile. Il fallait décrire un pendant tragique aux pulsions littéraires de la narratrice. Et je voulais que ce soit incarné par la mère, lui créer quelque chose de quotidien. Elle est alcoolique et cette maladie, évolutive au fil des années, met en péril l’équilibre d’une famille. Ces deux personnages féminins ont servi de canevas à la narration. Elles sont la colonne vertébrale du roman. Les personnages masculins du père et du frère sont arrivés après, pour avoir une famille un peu ordinaire avec deux parents, deux enfants.

Parallèlement à votre travail de romancier vous disséquez redoutablement des séries à travers un blog qui leur est consacré. Comment êtes-vous devenu maître ès série ?
Enfant, il y a d’abord eu Friends. Et puis, à 14 ans j’ai découvert Gilmore Girls, une série sur une mère un peu bourgeoise qui a eu sa fille à 16 ans. Elles sont entourées de livres et de musique pop. C’est une série multi-référencée et, grâce à elle, j’ai découvert beaucoup d’auteurs comme Sylvia Plath ou Bret Easton Ellis. De fil en aiguille, je me suis penché sur l’univers et le fonctionnement des séries télévisées. J’ai ouvert un premier blog assez jeune, où je critiquais les épisodes de séries que j’aimais bien. J’ai ensuite monté le site (www.blabla-series.com), il y a près de 8 ans. J’ai ensuite fait un master de Droit notarial, que j’ai arrêté ensuite : pas envie de finir notaire, mais plutôt d’écrire. J’ai commencé des stages en journalisme à Lyon. Puis j’ai décidé de reprendre des études avec un master de recherche sur l’étude des génériques de séries. Je me destinais à une thèse dessus, mais avec l’arrivée du roman, c’était compliqué pour moi de combiner ces deux formes d’écriture. Je le tiens toujours, à raison d’un billet par semaine.

Et aujourd’hui ?
Je continue de suivre l’actualité. Il y a une rentrée des séries comme il y a une rentrée littéraire. Dès la mi-septembre sont diffusés les grosses productions des cinq chaines publiques. Et puis les chaines à péage comme HBO. Elles peuvent jouer parfois le rôle de passerelle avec la littérature. HBO essaye par exemple d’adapter des romans qui marchent comme Les Privilèges de Jonathan Dee.

La mécanique des séries vous a-t-il influencé dans l’écriture ?
Je n’ai pas l’impression de m’en inspirer car j’ai une écriture très saccadée et brève. Je ne suis pas du tout dans le feuilletonnant.

Considérez-vous que l’écriture des séries télévisées est une des formes d’écriture les plus poussées ?
Les plus grands chefs-d’œuvre post contemporains s’appellent The Wire ou Six Feet Under… La création romanesque passe énormément par le biais de l’écriture des séries télévisées, avec une mécanique qui leur est propre. Des chambres de scénaristes travaillent sur le pitch de l’épisode en fonction de ce qui a été écrit précédemment. Le scénariste en chef est chargé, en deux semaines, d’en écrire un script sous la supervision du showrunner et du créateur. C’est une forme d’écriture collective. J’aimerais avoir ce souffle-là mais je ne l’ai pas. La littérature est une aventure bien plus solitaire et individuelle. Un roman est plus simple, on le porte seul.

Les séries ne se substituent-t-elles pas de plus en plus aux livres ?
La télé procure un plaisir immédiat et quotidien. C’est très rassurant de suivre une série pendant trois mois, avant un déchirement quand une saison s’achève. C’est ancré comme une fresque littéraire, les romans balzaciens. Il y a une facilité à l’accès à la série. La récurrence des personnages, d’une intrigue, des décors qu’on connait, un générique qui souligne le plaisir des retrouvailles peuvent jouer parfois au détriment du bouquin. On vit dans une époque où il est plus difficile de lire. L’investissement du roman est difficile et exige de la concentration.

Quelle sera pour vous la saison 2 ?
J’ai un deuxième roman actuellement en cours de correction. Et, depuis quelque mois, j’en ai écrit un troisième. À suivre…

 

Dans ma tête, je m'appelle Alice

Julien Dufresne-Lamy

Stock, collection "La forêt"

224 p. - 18, 50


Last modified onmercredi, 12 décembre 2012 18:25 Read 7728 times