Titiou Lecoq
Titiou Lecoq (c) Nicolas Wintrebert

Les Rencontres de Zone: Le joli chant de Lecoq

Portraits

Un blog de haute tenue, un ambitieux premier roman qui l’est tout autant, une encyclopédie sur la culture web... pour Titiou Lecoq, l’année aura été sportive. Rencontre avec l’une des révélations de 2011.

Vous publiez un premier roman, long, avec un réel équilibre entre l’histoire et les personnages. On est loin de l’auto fiction ou de l'auto-référence…

En France on fait peu de roman fleuve. À cause de Robbe-Grillet, ça se fait peu. Le roman anglo-saxon parle de la société. Dans ses livres, Jonathan Coe raconte l’Angleterre, dans Freedom de Jonathan Franzen il y a plusieurs personnages principaux qu’il met dans des situations différentes. Dans la littérature française, il y a une tendance depuis le Nouveau Roman – le Nouveau Roman a fait beaucoup de mal à la littérature française - à être auto référentiel. Je voulais à tout prix éviter ça.

Comment mène-t-on conjointement l’écriture d’un blog et celle d’un roman ?

Le blog est né en juillet 2008, le roman, six mois avant. Mais le fait d’avoir un blog et de publier ensuite un roman, pousse certaines personnes à penser que j’avais grandi avec le blog avant de m’enhardir pour le roman. La réalité est que j’avais commencé l’écriture des Morues avant le blog. Il y a un côté assez paradoxal dans la manière dont les autres perçoivent le blog. Pour moi ce sont deux projets complètement différents.

Le blog n’est donc pas une étape avant le roman… 

Ce n’est surtout pas une étape avant de passer aux papiers sanctifiés. D’ailleurs sur ce roman, le blog ne m’a pas servi. Le prochain probablement plus. Dans le blog je teste des styles différents avec des syntaxes différentes. Pour le livre je suis restée plus sage. En fait le seul rapport entre les deux est complètement psychologique. Quand j’ai commencé à me lancer dans le roman, je savais que je voulais en écrire un gros, avec une vraie histoire, mais je savais aussi que ça allait me prendre beaucoup de temps. Un premier roman n’intéresse personne, à part deux ou trois amis proches. En revanche, le blog a quelque chose d’immédiat et donc de très réconfortant. On poste quelque chose et dix minutes plus tard, il y a déjà des réactions de lecteurs. Ce qui m’a beaucoup encouragée. C’était une sorte d’accompagnement à côté. J’ai passé plus de deux années sur le roman en me disant qu’il n’intéresserait ni éditeur ni personne mais au moins j’avais mon blog.

Le premier billet de votre blog, en 2008, est une interrogation sur l’importance de la première phrase. Comment l’avez-vous envisagée pour le roman ?

C’est affreux. Je suis journaliste et je ne sais pas commencer un article. Au lycée, j’avais trouvé une phrase type que je refourguais dans toutes mes dissertations, genre « Depuis la nuit des temps… ». Pour Les Morues, j’ai feinté en écrivant un prologue. D’ailleurs, chose que personne n’a vue, le prologue est un hommage aux Fruits d’or de Sarraute. Je me suis un peu cachée derrière cet hommage.

Le livre a une structure assez singulière entre le découpage et la présence de musique, comment le chapitrage par les associations de deux mots a-t-il été pensé ?

C’est venu en cours de route. Au début je n’avais pas de titre de chapitre. C’est parti d’un truc tout bête : il fallait bien donner un nom aux documents Word ! Du coup, pour savoir où j’en étais, je prenais les thèmes qui me paraissaient importants dans le chapitre. Je trouvais que l’association donnait quelque chose d’intéressant. J’aime bien rassembler « canapé et désespoir »…

Pour la musique, chaque chapitre se termine par une liste de trois titres musicaux. Est-ce la Play List du livre ou celle de l’auteur ?

J’étais partie sur l’idée que le livre se retrouverait en édition numérique, pensant qu’il ne serait pas publié, je me disais que je le ferais toute seule sur un site internet. Au fur et à mesure de l’écriture j’ai pensé mettre de la musique dans le livre. C’est un peu la culture web. Quand le livre est sorti au format numérique, on m’a dit au Diable Vauvert, qu’on ne pouvait pas mettre les chansons pour des raisons de droits. Pour le choix des musiques précisément, il y a soit des titres que j’écoutais à l’époque-donc connoté 2008- soit des clins d’œil à des amis. À l’époque je traînais dans le milieu du rock indépendant français. J’avais les morceaux avant les chapitres. J’ai commencé par faire la liste de tous les morceaux que je voulais mettre dedans et je les ai dispatchés ensuite.

Vous n’aviez pas peur d’être prisonnière de cette structure ?

Non, parce qu’à l’époque c’était le moment dans la rédaction où on a une idée géniale par jour. Et six mois plus tard, on les enlève parce que sinon le livre devient incompréhensible. Il y avait des notes de bas de pages dans tous les sens.

La dette de l’Etat, les politiques publiques…tous ces aspects ont aujourd’hui une résonance étonnante. C’était l’un des mobiles du roman ?

C’est rentré très vite dans la composition du roman. Je savais que je voulais parler de politique et de la société française. J’ai commencé par faire des recherches politiques sur la Révision Générale des Politiques Publiques. Je me demandais comment l’exploiter narrativement. J’étais partie sur l’idée que, pour parler de politique, il fallait partir du niveau local. Dans mes premières ébauches, l’action se passait dans une ville imaginaire et j’avais imaginé les championnats du monde d’un sport (dont j’avais même inventé les règles) en me disant qu’il durerait un mois, parfait pour un laps de temps narratif. On sait que c’est à ce moment qu’il y a le plus de spéculations immobilières. En me renseignant sur la décentralisation, je suis tombé sur la RGPP, c’était plus juste et ça cadrait parfaitement avec le roman.

Qu’est ce qui précède, l’histoire ou les personnages ?

Soit on part d’une histoire, soit on part de personnages. Je voulais donc parler de la société française et de la politique mais je suis réellement partie de personnages. Dès le début j’avais Ema, le personnage principal et très vite celui de Fred. Deux personnages, un cadre politique… j’ai mis ensuite un an et demi, sans écrire une ligne, à construire le plan narratif. 

Vous racontez une sorte de parabole autour du mythe de Persona où l’un des personnages devient un vrai phénomène littéraire, presque par accident, grâce à son blog. C’est le pouvoir de la blogosphère ?

Ce qui m’intéressait c’était de voir comment les medias s’emparent d’un phénomène web. Ça commence sur un blog, c’est repris sur un webzine indépendant, puis un article dans les Inrocks jusqu’au passage télé, avant qu’un séminaire soit organisé à la Sorbonne.  Ça m’amusait de parler des théories sur le sujet. C’était aussi un clin d’œil, pour le coup auto référentiel, mais justifié par la narration, sur la mort de l’auteur. Qui est-il ? Que signifie écrire de la fiction?

Le féminisme occupe également une place importante…

Je voulais parler du féminisme, de ce qu’il signifiait de nos jours. J’avais un personnage de fille très fort, la facilité aurait été de l’entourer de copains mecs avec cette espèce de cliché de la fille grande gueule, qui ne traine pas avec les filles. Je voulais aller contre ça et montrer une forme de solidarité féminine. Une solidarité finalement assez rare. Il y a une compétition permanente entre les nanas surtout quand elles sont jolies. Je voulais un groupe de trois filles qui théorisent leurs relations, leurs vies. La charte des Morues, qu’elles ont imaginée, me permettait de mettre noir sur blanc des points de féminisme et de voir comment elles se les appliquaient sans passer uniquement par l’histoire et la narration. Ça me permettait également d’exposer mes idées.

Comment allez-vous poursuivre entre les articles, le blog et l’écriture d’un deuxième roman ?

Je suis très méfiante. Le fait qu’il m’arrive plein de truc bien m’angoisse. Je me dis que je vais le payer l’année prochaine, qu’il va y avoir un retour de bâton. Pendant toutes les années de galères, je me disais que le jour où ça marcherait pour moi, je les regretterais. Et ça n’a pas loupé. J’ai tendance à me dire que maintenant que je gagne de l’argent, ce que je vais écrire sera moins bien. Ce qui est stupide. Quand j’ai commencé à écrire les Morues, j’avais pris un boulot d’assistante d’éducation dans un lycée professionnel payé 580 € par mois. J’avais des heures de bureau qui me permettaient de faire ce que je voulais. Le blog fonctionnant, on m’a proposé des piges et je suis devenue journaliste. Maintenant que j’ai plus ou moins un vrai travail même si je suis free-lance, comment vais-je trouver le temps et l’énergie d’écrire ?

Chez vos personnages, les hommes sont hypocondriaques…

Je ne sais pas si les sociologues se sont penchés sur cette question. Je pense qu’il y a vraiment un phénomène de société sur ce sujet. Depuis des générations, on dit qu’un homme lorsqu’il est enrhumé pense qu’il va mourir. Les hommes ont un rapport à la maladie très particulier. Je ne sais pas d’où ça vient mais je me suis dit que mon personnage masculin devait forcément l’être. Je voulais qu’il soit très bien mais avec un défaut hyper chiant.

…et les femmes prennent de la vodka…

C’est ce que je bois ! Beaucoup de mes potes garçons prennent du whisky et beaucoup de copines filles, de la vodka. J’aime ce côté rituel. Les enfants ont une fascination pour le rite. Quand j’étais petite,  je regardais tout le temps la messe à la télévision. C’est encore une réalité sociologique…

Propos recueillis par Charles Patin O’Coohoon

Son blog : http://www.girlsandgeeks.com/

 

 

 

 

 

 

 

 

Last modified onsamedi, 07 janvier 2012 17:29 Read 4008 times