Rencontre avec Brigitte Smadja

Interviews
Mausolée est votre troisième roman. Quelque chose a changé depuis votre premier ? Dans la façon d'écrire, dans la manière d'être inspirée ?

J'ai écrit mon premier roman sans penser même que j'étais en train d'écrire, dans un état d'innocence si l'on puit dire. Même si je l'ai ensuite retravaillé, j'ai toujours eu cette impression de ne pas croire vraiment que ce serait un livre. Je ne sentais aucun enjeu. Le second a été douloureux, précisément parce que là, l'enjeu était fort, parce que je me savais observée. Le troisième s'est écrit dans une urgence pour moi-même et sans la pensée d'un résultat. Il s'est écrit dans une grande sérénité ce qui peut paraître assez paradoxal puisque par ailleurs, il est échevelé comme un polar. J'espère garder toujours cettte disponibilité, cette absence de souci du bien faire, du bien plaire.

Magda, l'héroïne du roman, on a souvent l'impression que c'est vous ?

Ni Magda ni Sylvain ne sont moi et bien entendu, ils sont moi mais le fou Hfayet, c'est moi aussi. Cette idée de vouloir retrouver à tout prix un écrivain dans un personnage m'a toujours paru étrange. Tout simplement sans doute, parce que en tant que lectrice, elle ne m'a jamais effleurée. Bien sûr, je suis née en Tunisie et je n'aurais pas pu écrire ce livre si je n'avais pas d'affinités fortes avec ce pays. Mais je me dis que là n'est pas l'enjeu. Un journaliste m'a dit, ce livre pourrait se passer à Marseille ou dans le Lot, l'essentiel de ce qui y est dit serait similaire. J'ai trouvé cette remarque très juste. Le livre pose entre autres une question : que faire de son enfance ? Que faire des souvenirs fabriqués, de la mythologie familiale ?

C'est un pays meurtri par les combines et la violence que vous décrivez… ?

C'est exact. C'est ce que j'ai senti en y allant, mais ce serait vrai de bien d'autres pays. La Tunisie est une dictature. Et la dictature est palpable dans les regards baissés, dans le silence, dans cette impression d'étouffement pour qui n'est pas seulement dans la posture du touriste, du Tintin au pays des Soviets.

J'en viens aux personnages : pensez-vous que l'on puisse qualifier la relation entre Magda et Sylvain d' " incestueuse " au moins d'un point de vue psychologique ?

La situation est donnée : Magda a cinq ans de moins que Sylvain, elle a failli mourir bébé. Le père qui a des difficultés à assumer sa place confie sa fille à son fils aîné. Si la relation est incestueuse, incestuelle serait sans doute plus juste, chacun est libre d'observer ce qui se passe dans les relations qu'il entretient avec sa famille et de la qualifier comme telle. Moi, je la décris comme forte, c'est sûr, mais je ne la juge pas.

Pourquoi avoir choisi de parler à la première personne ? Est-ce un choix conscient ou spontané ? Pensez-vous qu'une narration à la troisième personne aurait altéré une intimité entre Magda et le lecteur ?

Votre question est curieuse et merveilleuse. Mystère de la lecture...Tous les chapitre qui concernent Magda sont écrits à la troisième personne ! Cela n'a pas empêché l'intimité avec le lecteur que vous êtes. Le lien avec le lecteur n'a rien à voir avec l'usage d'une première personne ou d'une troisième. Je n'ai, pour ma part aucune intimité partagée avec Catherine Millet qui écrit à la première personne et qui jure que ce je est bien elle et qu'elle dit la vérité, toute la vérité, alors que je peux ressentir un partage très fort avec... Emma Bovary.

Peut-on dire que Mausolée est un livre triste ? Un roman qui démontre l'absurdité de la nostalgie ?

Si ce livre démontre l'absurdité de la nostalgie, et je n'en suis pas si sûre, je ne crois pas que cela puisse être qualifié de triste. Ce qui peut rendre triste , peut -être, c'est le fait qu'il montre, entre autres, la vanité des illusions. Reste la vie, le présent. Moi, je trouve ça plutôt gai même si c'est au prix de déchirures. La lucidité est la blessure la plus proche du soleil, disait Char. Ce vers de lui me revient soudain, je vous le livre.

Et la mémoire qui est ici un leitmotiv, qu'en pensez-vous ? Elle n'est jamais réelle, toujours perforée d'interférences fictives que nous nous plaisons à imaginer ?

Mais une mémoire réelle, est-ce que cela a un sens ? La mémoire surtout celle qui concerne des souvenirs plus ou moins lointains est une fantastique reconstruction. Tout le monde le sait bien. Chacun a l'expérience d'avoir raconté un souvenir avec la certitude de dire la vérité et s'être entendu dire par un témoin de ce souvenir : mais non, voyons, ce n'est pas ainsi que cela s'est passé. Cela donne le vertige, mais c'est ainsi. Voilà pourquoi , je choisis délibérément la fiction et je dis de Mausolée comme des autres romans que j'ai écrits que ce sont des romans justement... parce que comme chacun, je me raconte des histoires.

J'en arrive à l'écriture. Elle est particulière, les phrases sont courtes, assez minimalistes en fait. Est-ce un style spontané ou qui a exigé de vous un travail formel intense ?

Dans Mausolée, je ne crois pas que le style soit toujours minimaliste. Il y a même des phrases très longues, une par exemple, dès la première page. Le style s'adapte au propos. Il ne surgit pas à priori. Je ne me dis pas : Je faire exprès d'écrire des phrases longues ou des phrases courtes. Mausolée est sans doute , un texte très rythmé. L'essentiel du livre est une course poursuite mais dans les moments d'arrêt quand la respiration est plus lente, les phrases peuvent se déployer. Ceci dit, sur l'écriture, la musique, j'ai encore beaucoup à apprendre, à chercher. Et cela me réjouit que rien jamais ne soit acquis d'avance.

Vous êtes également professeur de lettres modernes. Que répondriez-vous à un étudiant qui vous demanderait : " Quelle est la recette d'un bon roman ? "

Je suis depuis trois ans professeur à l'école des Arts Appliqués Duperré. Mes étudiants ne me poseraient jamais cette question parce que me connaissant un peu, ils sauraient qu'ils ne pourraient attendre de moi nulle réponse. Aux enfants qui m'ont posé cette question au cours de mes visites dans les classes pour les romans que j'écris à l'école des loisirs, je réponds ceci : que faut-il faire pour devenir un bon footballeur ? Ils répondent sans hésiter, jouer au football, tous les jours, s'entraîner, s'entraîner et aimer ça. Alors, je leur dis, être un joueur de foot ou un écrivain, c'est la même chose mais l'avantage quand on est écrivain, c'est que l'on peut jouer beaucoup plus longtemps.

Céline Mas


Brigitte Smadja
Ed.
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Last modified onmardi, 21 avril 2009 23:19 Read 4863 times