Vivre et écrire: mode d'emploi

Interviews
Troisième livre en trois ans. Camille de Peretti trace un sillage soigné dans le flot de la littérature française contemporaine, sans oublier ce qu’elle doit à ses pères. Dans Nous vieillirons ensemble , elle jette un regard à la fois tendre et cruel sur le petit monde des maisons de retraite. Le tout sous l’égide de Perec. Rencontre.

Après Thornytorinx et Nous sommes cruels, deux ouvrages qui mettent en scène des personnages évoluant dans la période adolescente, vous vous confrontez à l’univers des personnes plus âgées dans Nous vieillirons ensemble. Pourquoi un tel choix ?

Pour des raisons très simples : ma mère est infirmière, elle a toujours travaillé dans des maisons de retraite ou des cliniques d’Alzheimer. Ainsi que mon beau-père, qui est kiné. On m’a emmenée dans ces lieux, depuis toute petite. C’est un univers qui m’est très familier. Je me sentais donc à l’aise pour en parler. En effet, jusqu’à présent, j’ai toujours parlé de choses assez autobiographiques.
Le personnage de Nini, à qui est dédié ce livre, existe vraiment. Ce n’est pas une vraie grand-mère de sang mais une fausse grand-mère de qui j’étais très proche. Elle était maniaco-dépressive et a fini ses jours en maison de retraite. J’allais la voir et je lui avais promis d’écrire un livre sur sa vie. C’était l’époque où j’écrivais Nous sommes cruels et je savais que le livre ne lui serait pas uniquement consacré car j’étais fascinée par toute cette atmosphère de fin de vie. Le sujet de ce livre est donc venu assez naturellement.

Le parallélisme des titres Nous sommes cruels , et Nous ne vieillirons pas ensemble instaure comme un écho entre ces deux livres. Peuvent-ils être lus ou perçus comme un diptyque qui se répond à travers les âges ?

Pour être honnête, les titres ont été choisis par mon éditeur, qui a en effet joué sur ce parallélisme. J’en suis très contente, mais ce n’est pas intentionnel ou calculé de ma part. Cela s’est même décidé au tout dernier moment.

En exergue, vous citez Perec comme un modèle dans l’exercice de la contrainte en littérature. Est-ce le choix du sujet ou cette volonté de vous inspirer de La vie mode d’emploi qui a été le plus moteur pour vous?

Pourquoi Perec ? Parce que je suis très jeune et pas encore suffisamment expérimentée pour être un écrivain à part entière. Je pense que, comme le disait Proust, lorsque l’on écrit des livres, on lit des livres. Quand on lit beaucoup, comme je le fais, cinq à six heures chaque jour, il y a un moment où il est difficile de se détacher de ses pères. La structure empruntée à Perec, qui a l’air d’être très contraignante et compliquée (polygraphies, matrices mathématiques) m’a beaucoup aidé. Elle a joué le rôle de béquilles. J’avais l’avantage d’en avoir fait l’expérience, en tant que lectrice, et de savoir qu’elle fonctionnait. J’étais très heureuse de pouvoir me la réapproprier. Mais je n’ai pas pour autant réécrit La vie mode d’emploi de même que je n’ai pas réécrit Les liaisons dangereuses dans Nous sommes cruels. Il s’agit plutôt d’un hommage.

D’autant plus que les règles littéraires, au sens de Perec, produisent certes de la contrainte mais introduisent aussi une dimension plus ludique?
C’est en effet très amusant de prendre les contraintes de quelqu’un d’autre et de s’efforcer de s’y conformer. Dans les tableaux qui figurent à la fin du livre et qui expliquent la façon dont j’ai travaillé, se trouvent un certain nombre de mots qui étaient particulièrement difficiles à placer : des couleurs ou bien des chiffres ne peuvent être mentionnées à tout bout de champ. C’était à la fois difficile et ludique. Par moments, cela m’a posé problème, tandis qu’à d’autres cela m’a aidé (par exemple quand je me suis vue contrainte d’insérer le nom d’un animal de la ferme, j’ai inventé « Le pied de cochon » comme nom de restaurant, ce qui est beaucoup plus évocateur pour le lecteur). Cela m’a permis d’insérer des détails plus originaux et plus croustillants.

« Je ne veux pas être écrivain, je veux être actrice. Jouer. La vie n’a aucun sens. » Cette phrase qui provient de Nous sommes cruels, vous y reconnaissez-vous ?
Je pense que, pendant très longtemps, j’ai rêvé d’être actrice ; c’est assez banal. Je m’en suis vraiment donné les moyens (je suis allée au cours Florent). Et au final, je pense que je suis une très piètre actrice. Mais c’est bien de le savoir. Je l’aurais sans doute regretté toute ma vie si je n’avais pas essayé et raté les castings les uns après les autres.
Au moment où j’ai écrit Nous sommes cruels, je savais déjà que je ne serais pas actrice, mais je me projettais dans la jeune fille que j’étais à 18 ans. C’est assez amusant de jouer avec la mémoire et de se projeter, de s’imaginer ce que l’on pensait il y a des années. Ce travail sur le temps me passionne. Je tiens des journaux intimes depuis longtemps et je leur suis très fidèle. Ainsi, lorsque j’écris un roman sur une période de ma vie, je relis ce que j’écrivais dans mes journaux quasiment au jour le jour. Et je suis toujours effarée par la bêtise de ce que j’écrivais, qui n’a rien à voir avec ce dont je croyais me souvenir. La mémoire bouleverse tout. Bizarrement, il y a toujours un décalage entre l’état d’esprit présent et ce que tu pensais que tu pensais.
Récemment, ma mère a retrouvé une rédaction que j’avais écrite en 6è dans laquelle à la question « Quelle profession rêver-vous d’exercer plus tard ? » j’ai répondu : écrivain. C'est drôle parce que je ne m'en souvenais pas du tout (j’ai commencé à écrire mes journaux intimes vers 15 ans ; ce sont donc les seules traces écrites de mes souvenirs). J’avais complètement occulté cela.

Quand vous écrivez, avez-vous l’impression d’écrire des autobiographies ou des fictions ? Un trait particulier de vos romans tient en effet dans l’utilisation avouée de ce personnage qui s’appelle Camille, comme vous? Il y a donc une part d’autobiographie assumée ?
Je considère que l’on n’écrit que sur ce que l’on est et que l’on ne peut pas mettre autre chose que soi dans ses textes. Certains de mes textes sont plus autobiographiques que d’autres, c’est le cas de Thornytorinx, mais tous le sont plus ou moins.
La présence du personnage de Camille a deux explications. C’est tout d’abord une question de facilité. Cela me permet d’éloigner les reproches ou l’incrédulité de certains lecteurs face à tel ou tel sentiment car je peux toujours rétorquer à leur scepticisme que c’est ce que j’ai personnellement éprouvé et qu’il est donc possible qu’une autre personne pense de même.
Ensuite, c’est une question d’honnêteté. Par exemple, dans Nous vieillirons ensemble, je voulais absolument parler de la culpabilité des enfants qui ne rendent visite que trop irrégulièrement à leurs parents, les laissent mourir seuls, etc… J’ai rencontré beaucoup de gens pour écrire ce livre : des directeurs de maisons de retraite, des aides-soignantes, des personnes âgées…, mais peu de familles car elles ne veulent pas parler. Or, j’avais ce point de vue sur un plan personnel puisque j’ai été confrontée à cette situation dans laquelle j’ai abandonné cette grand-mère vis-à-vis de qui je me suis sentie coupable. Je peux donc parler de cela, que je considère comme l’élément le plus dur du livre. Je trouve donc plus honnête d’appeler mon personnage Camille car si d’autres personnes désapprouvent cette idée de culpabilité, je l’assume.
Camille m’aide dans mes livres à dire des choses, souvent assez laides, assez crues, que d’autres personnes ne voudraient peut-être pas dire, mais que je vis et ne désire faire porter à personne d’autre.

« Il faudrait pouvoir écrire un livre en une journée qui raconterait une histoire d’une journée et qui se lirait en une journée. »
Cette phrase qui figure dans Nous sommes cruels semble étrangement annonciatrice de < i> Nous vieillirons ensemble qui raconte une journée dans une maison de retraite. Y a-t-il effectivement des fils qui relient vos livres les uns aux autres et annoncent les suivants ?


C’est le résultat de mes lectures des Figures de Genette. L’on y trouve l’idée que la temporalité , est l’essence même du récit, que l’on peut superposer des couches et en faire un tout. Dans le domaine de la littérature, cette phrase relève de l’irréalisable. On ne peut imposer un temps de lecture, le lecteur étant libre de fermer le livre quand bon lui semble, contrairement au cinéma par exemple. Cette idée me passionne pourtant. Et, bien que ce soit voué à l’échec, je cherche à m’en approcher, ce qui a été un peu le cas dans celui-ci. Il est aussi vrai que quand j’écrivais Nous sommes cruels, je pensais déjà à ce roman, de même qu’en travaillant à celui-ci je savais déjà quel serait le prochain et quelle forme il prendrait. Cela me rassure d’avoir toujours mon un roman en gestation et me protége de la phase de publication qui peut être vécue comme une dépossession. Souvent, quand je commence à écrire, un roman, il est déjà entièrement prêt, structuré dans ma tête.

Ce qui est aussi frappant dans vos romans est l’attention accordée à la parole écrite. Est-ce quelque chose à quoi vous tenez particulièrement à une époque où ce type d’échanges tend à disparaître, ou du moins à changer de canaux ?
Je ne sais pas si cela disparaît vraiment mais oui, il y a une évolution. Oui, je suis obsédée par l’écrit. Je garde tout ce que j’écris, ce que les gens m’écrivent…
Certains auteurs, que j’aime beaucoup, ont travaillé sur l’oralité avec beaucoup de succès. Mais en ce qui me concerne, je suis très attachée à la construction syntaxique des phrases… Des phrases à la ponctuation soignée, ne permettent pas de transmettre les mêmes choses, les mêmes idées que les textos. La respiration n’est pas la même. D’autant plus que je trouve toujours difficile et délicat le passage des paragraphes de narration aux dialogues. Souvent, il y a une rupture stylistique et les dialogues sonnent faux. Cela me choque toujours. Je suis impressionnée par les écrivains qui y parviennent mais je ne m’y confronte pas.

Malgré la noirceur du propos de ce roman, un énorme sentiment d’amour se dégage de ce livre, ce sentiment étant le moteur de l’existence même des plus âgés.
Oui, je tenais absolument à cela. C’est un univers dur, mais que je ne voulais pas rendre larmoyant pour autant. De même que je ne souhaitais pas non plus faire un portrait de petites vieilles idylliques. Certains vieux sont méchants et ce n’est pas un hasard s’ils n’ont pas de visites. Comme dans la vie en général. On a beaucoup moins de mal à faire le portrait d’une certaine méchanceté adulte, alors qu’elle existe aussi chez les personnes plus âgées. Entre eux aussi ils peuvent être vraiment pervers. C’est ce que je souhaitais montrer.

Après ces romans teintés d’expériences personnelles, avez-vous envie de vous orienter un peu plus vers la fiction ?
Je cherche à parler de moins en moins du personnage de Camille. Je m’aperçois en effet que je n’ai pas tant de choses à raconter sur moi ! Je conserverai les apparitions de Camille comme un clin d’œil.
Je vais aussi tâcher de m’éloigner un peu plus de la contrainte. Et ceci pas seulement pour satisfaire mon éditeur, qui m’a rappelé que je pourrai pas passer toute la littérature en revue, mais aussi parce qu’il va bien falloir me lancer et tenter d’autres choses.
De toute façon, tellement de choses ont déjà été faites en matière romanesque que, même si l’on cherche à inventer de nouvelles formes, on tendra à faire ce qui a déjà été fait, mais à sa manière.

Vous dites lire cinq à six heures par jour. Lisez-vous aussi du contemporain ?
J’en lis un peu pendant la promotion du livre parce que je rencontre d’autres auteurs et que j’aime savoir ce qu’ils écrivent. Mais, en temps normal, je lis plutôt des classiques. Je considère que le temps trie pour moi et que j’ai encore une foule d’auteurs à découvrir.
J’admire les gens qui lisent du contemporain aujourd’hui mais ce n’est pas mon cas. Je n’écris d’ailleurs pas pour passer à la postérité, mais parce que j’adore écrire et raconter des histoires, ce qui signifie vouloir s’adresser au plus grand nombre de personnes possible et donc de se faire publier.
J’ai toujours voulu écrire et publier. Je ne voulais pas forcément que Thornytorinx soit mon premier roman car il est très autobiographique et relève plus du témoignage que du roman. Mais des proches l’on lu et m’ont encouragé à le faire. Ce qui a été formidable d’une certaine manière parce que ça m’a permis de mettre un pied dans le milieu et d’avoir des lecteurs. Il a bien marché et m’a permis d’en écrire d’autres. Si j’arrive à rester sur cette lancée et sur ce rythme (un livre par an), j’espère pouvoir continuer à me consacrer ainsi à l’écriture et ne pas avoir à retourner en banque d’affaires !

Laurence Bourgeon

Nous vieillirons ensemble
Camille de Peretti
Ed. Stock
338 p / 20 €
ISBN: 9782234061
Last modified onsamedi, 18 avril 2009 18:03 Read 2602 times