Rencontre avec Alex Wheatle

Interviews
Vous attendiez-vous au succès de votre livre en Angleterre ? Le terrain de la littérature "sociale" était-il déjà préparé ?



Le succès a été progressif. Maintenant, les gens m'interpellent dans la rue par mon prénom, ce qui m'étonne toujours. Mais effectivement, le terrain du roman social était bien préparé. Du moins de mon côté. Depuis longtemps, je suis un fan des écrivains comme Steinbeck. Leurs influences, quelles soient sur moi ou sur la société anglaise, sont toujours très importantes. Ils aident à avancer, et c'est pour ça qu'à chaque fois que l'on me parle de mon succès, j'ai une pensée pour eux.



Comme un défi à la misère, le seul moment où Biscuit [héros du roman d'Alex Wheatle, ndrl] se sent à l'aise, c'est dans la chaleur familiale. Vous vouliez pallier votre manque ?



L'environnement dans lequel j'ai grandi reste omniprésent. J'ai connu l'orphelinat, les familles décomposées, etc... Ma famille était un désastre : je n'ai jamais connu ma mère et je n'ai vu mon père pour la première fois qu'à l'âge de 23 ans. Quand je voyais mes camarades fêter Noël, j'étais rempli de jalousie. C'est cette atmosphère que je voulais reconstruire. Ecrire ce que je n'avais pas vécu.



Maintenant que vous êtes sauvé de la précarité, comment jugez-vous les jeunes dont vous parlez ?



Je suis triste. Je crois que la drogue devrait être légalisée. Pour arrêter que les criminels de Colombie, les gros pays producteurs, se fassent de l'argent sur le dos des petits naïfs, je crois qu'il faut légaliser le shit. Notre situation ressemble à la prohibition des années 20 ou 30 aux Etats-Unis. La situation ne fait que s'empirer. Encore, là, dans mon roman, il n'en sont qu'au shit alors que maintenant, les petits revendeurs à la sauvette sont accrocs au crack ou la cocaïne. Ils piquent de l'argent à leurs mères pour s'acheter leur dose. Ce ne sont pas eux qu'il faut attaquer.



Doit-on lire à travers vos lignes une impuissance de la religion ?



God can't change anything. Enfant, ma famille était en plein dans la religion. Je constestais en disant : "Qu'est-ce que vous allez priez un dieu blanc aux yeux bleus !". C'est à nous de faire changer les choses. Je me remets constamment en question par rapport à ce sujet-là.



Quel a été le déclic de votre rédemption ?



J'écrivais à des amis qui étaient en taule. Leurs familles avaient si honte qu'elles n'allaient même pas les voir. Ils me racontaient leurs conditions de vie que je trouvais inacceptables. Quand je m'y suis retrouvé, pendant deux mois, je partageais ma cellule avec un rasta qui m'a dit de faire quelques chose de ma vie. Il m'a fait écouter du reggae, Bob Marley, et lire Black Jacobins. Cela m'a beaucoup aidé et je m'en inspire encore.



Outre votre célébrité, quels moyens utilisez-vous pour défendre les causes qui vous tiennent à coeur ?



Je vais dans les prisons, dans les écoles. Quand j'étais élève, on me disait que j'étais nul. Jamais je n'aurais pensé écrire ! Aujourd'hui, quand je rencontre des jeunes, je leur conseille de trouver le talent qu'ils ont en eux, et de l'exploiter. Dieu nous bénit d'avoir quelque chose de fructif à l'intérieur de nous. C'est notre travail de chercher ce truc. Sinon, je passe à la radio ou à la télé. J'ai notamment participé à un débat sur Louis Farrakhan, le leader des black muslims qui est interdit de séjour en Angleterre. D'ailleurs, le problème des blacks n'est pas assez traité à la télé. En ce moment, je travaille sur l'adaptation de mon livre pour Channel 4 : ça pourrait être un déclic.




Votre travail d'écriture est celui d'un styliste. Votre langue parle, plus que l'histoire, de la notion de précarité ?




S'il n'y a pas d'histoire, il n'y a pas de style, mais je comprends ça. J'ai utilisé l'expérience de mes amis. Ayant vécu la vie de Biscuit, c'était plus une affaire de souvenirs, d'impressions. Le style s'est imposé. Pour les scènes d'émeutes, j'ai fait venir des amis, je les ai fait boire et fumer, chacun parlant de leur expérience. Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que les enregistrais. J'avais besoin de la vérité de la langue.



Vous parlez peu français. Vous avez gardé un oeil sur la traduction ?



J'ai travaillé avec Nicolas Richard [traducteur français d'Alex Wheatle, ndlr] par internet. Il m'a posé beaucoup de questions sur le sens du langage de mes personnages. Mais un roman, s'il est bon, traduit dans n'importe quelle langue, reste un bon roman.



Redemption Song
Alex Wheatle
Traduit de l'anglais par Nicolas Richard
Ed. Le Diable Vauvert
365 pages, 16€

Ariel Kenig

Redemption Song
Alex Wheatle
Ed. Diable Vauvert
365 p / 16 €
ISBN: 284626046X
Last modified onsamedi, 16 mai 2009 15:17 Read 2096 times