Marie Jaoul de Poncheville

Interviews
Quelle est la place de Molöm et Yönden dans votre travail ? Rupture, continuité ?

Depuis longtemps, je désirais parler d’enseignement peut-être pour mieux comprendre moi-même ce que j’avais appris dans ma propre vie et pour faire le point. Je me sentais en apprentissage depuis si longtemps… J’ai d’abord écrit un scénario qui faisait 400 pages ! Un barde partait sur les traces d’un moine bouddhiste russe mort au début du siècle, Dorjiev, et arrivait en Mongolie après avoir traversé la Sibérie en train. Il rencontrait en route des personnages qui lui racontaient l’Histoire du bouddhisme dans ces régions.
Arrivée en Mongolie, j’ai réalisé que tout cela était compliqué. Fascinée par la beauté de ces immenses espaces et par l’énergie extraordinaire de ses habitants, je décidai de tout changer et de me laisser aller à l’inspiration que ce pays provoquait chez moi. Dans le nouveau scénario, je gardai le vieux barde-chamane et ajoutai un personnage d’enfant. Le glissement vers mon film Mölom se fit tout seul. Le barde devint ce chamane qui va à la rencontre d’un enfant pour transmettre ce qu’il sait.

Vous sentez-vous un peu comme une enfant sur son chemin d’évolution ?

Bien sûr ! En tournant, j’ai eu l’impression de vivre des événements similaires a ceux de mon enfance, et j’ai retrouvé des sensations fortes au cours de ces tournages. Par exemple, je pensais beaucoup à mon grand-père pendant Les Cavaliers du Vent, réalisé au Tibet. Puis j’ai été amenée à parler d’initiation avec Molöm, et aujourd’hui avec ce nouveau film Yönden , je sens une continuité évidente. Ces trois films retracent, à leur manière, l’évolution d’une vie…

Quels ont été vos maîtres ?

Les autres, et moi avec eux. J’ai toujours voulu vérifier les idées reçues pour savoir ce qui m’appartenait et pouvoir ainsi me construire moi-même. En écrivant et en tournant Molöm, j’y ai mis beaucoup de moi j’ai réappris mon enfance, je l’ai redessinée. Une manière de faire la paix… et d’avancer en la laissant derriere moi. Tant que je ne pouvais intégrer et trier ce qui m’avait été donné dans le passé, je ne me sentais pas libre. La transmission butait sur moi, rebondissait, me revenait en boomerang et me blessait souvent. Pour moi, faire des films a été une occasion formidable d’entreprendre une réflexion là-dessus et de la partager avec d’autres.

Aujourd’hui, vous estimez avoir beaucoup trié, beaucoup construit ?

Tout se fait progressivement… J’ai fait pas mal de métiers différents et j’ai beaucoup appris chaque fois. Mais je voulais toujours autre chose. Tout m’intéressait, j’allais d’une idée à une autre avec un appétit formidable. Aujourd’hui, après toutes ces errances nécessaires, avec l’écriture et le cinéma devenus mes instruments de communication, je me sens plus en accord avec moi-même, plus calme, plus déterminée, étonnée d’en savoir si peu, mais je ne suis qu’au début du chemin…et j’espère que j’avance un peu...

Vous allez vers une trilogie ? Le film Yönden conclut que, dans 5 ans, tout changera encore…

Oui, c’est dans l’idée… Yönden, comme vous et moi, ne cesse de se transformer et de vivre des états différents, qui correspondent aussi à des étapes diverses de la vie. C’est ce que j’aime dans la vie. Tout bouge tout le temps et dans ce dernier film Yönden me renvoyait cet état de fait comme dans un miroir : rien n’est fixé à jamais. Tout est mouvement. Il me signifiait très clairement pendant le tournage du film : ‘ Regarde-moi, je ne suis plus l’enfant que j’étais’.
J’ai promis à Yönden de le faire venir en France, lorsqu’il serait un peu plus grand. Il fait partie de ma vie et il ne la connaît pas alors j’ai envie de la lui faire découvrir comme il m’a permis de regarder la sienne ; je sais qu’il est curieux de savoir quel est mon univers et qui sont mes amis, ce que je fais tous les jours… Nous réaliserons ensemble Yönden en France, Les yeux d’un autre. J’ai hâte de savoir quel sera son regard sur nous, occidentaux… il peut tant nous apprendre.

Vous le sentez tiraillé entre ce que vous lui avez fait entrevoir de notre monde et la réalité de son quotidien ?

Non. Il a un désir fort de réussir sa vie là où il est. Il veut aimer, avoir de grands troupeaux, sa yourte, être un homme respecté. Il a envie aussi d’ être un homme moderne. Il souhaite posséder une moto, avoir une existence plus facile que celle de ses grands-parents, apprendre à lire et à écrire, parler plusieurs langues, aider au développement de son pays… Lorsque son cadet sera en âge de se débrouiller, il sera dépouilléd’une certaine partie du fardeau qui lui pèse sur les épaules. Il n’a pas de père, et il assume de lourdes responsabilités. Il a souffert, plus petit. Son grand-père le faisait travailler et ne pouvait se permettre de l’envoyer à l’école. On peut comprendre que Yönden considère le terme de ces cinq années comme une délivrance... la possibilité de vivre pour lui, enfin.

Qu’a signifié cette rencontre avec Yönden pour vous ?

J’ai connu Yönden enfant, et pourtant il émanait de lui une sorte de joie de vivre que je reconnaissais en moi, même si je ne l’ai pas vécue comme lui. Il est habité par une force incroyable. Mais il est aussi perdu. C’était un petit garçon en survie, curieux et follement joyeux, d’une rare ouverture, plein de désir. Aujourd’hui, cette énergie n’a pas changé. Il n’est pas tout à fait le même, pas tout à fait un autre.

Et vous ?

Je veux toujours aller voir ailleurs si j’y suis ; comment vont les gens et si nous pouvons nous connaître et faire un peu de route ensemble, comment je peux les aimer, les quitter sans les perdre, et aussi transformer sans cesse ma perception du monde…
‘ Molom’ cela veut dire : ‘ Homme Mémoire, Homme Miroir’. On parle souvent de la trace que l’on souhaite laisser. Ce n’est pas cette trace qui m’intéresse, ni le souvenir que je laisserai de moi. Ce que je recherche, je crois, c’est le pouvoir d’être éblouie. Je me sens un peu comme une Alice au pays des merveilles et d’ailleurs j’ai appelé ma fille Alice…

Vous aimez la brillance…

J’aimerais apprendre à voir la brillance. Montrer quelques reflets de la vie, faire surgir ce qui n’est pas dans la lumière. Et puis ne surtout jamais perdre le plaisir des autres. Je voudrais tellement être capable de rendre à l’autre autant qu’il m’a donné. Pour moi, c’est cela faire du cinéma.

Vous êtes attentive aux coïncidences ? Une gravure vous décide à tourner Molöm, un coup de fil vous pousse à lui donner suite…

Attentive, c’est le mot. Les choses me parlent. Les événements de ma vie n’arrivent pas par pur hasard, et je m’en sers dans mon travail. Une anecdote, un rêve, une pensée… L’aventure du film Yönden a démarré dans une période de ma vie compliquée et triste. Je me posais beaucoup de questions, je vivais un passage douloureux qui me ramenait a mon passé. Alain Cantero, le médecin du film, m’a un jour téléphoné de la steppe. Yönden se trouvait avec lui. Il a pris le combiné un instant, j’ai entendu sa voix, qui m’a bouleversé… et réveillée. C’est à cet instant que j’ai pris la décision d’aller le voir et de faire un nouveau film avec lui ! C’était comme un appel.

Ces retrouvailles avec Yönden : l’occasion d’un bilan ?

Plutôt d’une évidence, de ce que nous étions toujours aussi proches, de notre reconnaissance immédiate. Nos retrouvailles ont été si naturelles ! Je suis de sa famille, il est de la mienne. Nous nous sommes pris dans les bras, puis il s’est échappé aussitôt. Il a continué a vivre devant moi comme si le fait que je sois la fut naturel. Je savais par de petits signes de connivence qu’il était content que je le voie grandi et heureux. Contempler Yönden et ses amis au quotidien m’a redonné le goût de vivre.

Comment vous mettez-vous en scène dans les retrouvailles avec Yönden?

De manière échappée. On me voit de dos, un peu de profil, puis je disparais. Je suis là mais mon image s’en va pour laisser vivre Yönden face à la caméra, qui est mon regard.
Ce que je souhaitais, c’était regarder cet autre qu’est devenu Yönden. Peut-être pour savoir qui est cette autre que je suis devenue.

A travers ces deux films, on a l’impression d’être dans l’un de vos rêves… car le rêveur s’incarne tour à tour en chaque personnage et chaque élément de son rêve, n’est-ce pas ?

C’est vrai, je suis un peu chacun de mes personnages. Dans le film, au moment ou je revois Yönden à l’aéroport, j’ai monté une image de Molöm, lorsque le chamane retrouve l’enfant apres une escapade. J’ai réalisé un parallèle entre ces deux retrouvailles. Sauf que dans mon imaginaire, Molöm est plus sage et plus magique que moi !

Vous voudriez être ce chamane qui marche et qui ne s’arrête pas…

Oh oui. (Soupir) Bien sûr. D’ailleurs je fais souvent ce rêve : je marche sur un chemin de sable bordé de buissons. De temps en temps je m’échappe dans ces buissons et j’y rencontre des gens et des amis. Mais je finis par revenir sur le chemin principal qui mène à une grande montagne. Je me décide à la grimper pour admirer le soleil rouge qui se trouve tout en haut. Puis je descends, je vois la lumière raser la pente et ce chemin recommence, bordé des mêmes arbustes sur les côtés, terminé au loin par une autre montagne. Et je marche à nouveau, je rencontre ces autres et je grimpe. Seule.

La solitude est toujours présente chez le pionnier, une figure qui vous fascine…

Elle est l’apanage des aventuriers. Elle peut être vécue en ville et au sein des foules, ou dans une chambre. Personnellement, j’ai besoin de partir et de découvrir d’autres paysages pour me sentir vivre. Je suis constamment à la recherche d’un quelqu’un ou d’un quelque chose, ailleurs.

Vous aimez les frontières ?

Mon imaginaire est nourri par le voyage. Je me souviens que, lorsque j’étais enfant, on me racontait des histoires de gens qui faisaient le tour du monde. Je me représentais alors traversant les fleuves, grimpant les montagnes et me perdant dans les forêts ; j’imaginais la Terre comme une boule sur laquelle je marchais… Avec une amie, petites, nous inventions une géographie de pays inconnus et imaginions comment vivaient les gens. Nous laissions simplement errer nos doigts sur une carte et nous racontions des histoires. Je rêvais de traverser les frontieres comme je rêvais de me dépasser aussi, d’aller au-delà de ce que je savais. De marcher longtemps. Je le dis d’ailleurs dans le film : ‘ Il faut faire un pas, et encore un de plus’. Car on peut toujours mettre un pied devant l’autre.

Ce qui vous ancre dans la vie ?

Le mouvement.

Ah bon ? c’est contradictoire !

Oui, j’aime être perdue, ballottée. Ce sont les gens que je rencontre qui me donnent l’ancrage nécessaire.

Dans Molöm, vous êtes témoin. Dans Yönden vous êtes en quelque sorte actrice. Vers quoi allez-vous pour la suite ?

Je vais me plonger dans Les yeux d’un autre, un film sur le partage. Yönden vient en France. L’enchaînement est logique. J’ai parlé d’une transmission, puis j’ai regardé Yönden, devenu homme. Pour le troisième ? Yönden nous regarde. J’aimerais exprimer qu’il n’y a pas de fin. Une fois que l’on sait ce qu’est le partage, rien ne se termine et tout se recommence perpétuellement. Le chemin ne s’arrête jamais.

Jessica Nelson

Yonden
Marie de Poncheville
Ed.
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Last modified onsamedi, 16 mai 2009 15:10 Read 2344 times