Les livres et vous : Denis Podalydès

Interviews
Zone Littéraire vous invite à partager un nouveau rendez-vous : chaque mois, une
personnalité revisite les lectures marquantes de sa vie. Denis Podalydès, acteur talentueux
et lecteur passionné, a eu la gentillesse d'accepter notre invitation.


Quel est le premier livre que vous avez lu ?

Tipiti le Rouge-Gorge, de René Guillot. Il m'a marqué parce que c'est le premier
livre que j'ai lu de bout en bout, et dont le nombre d'images, réduit, m'a donné le
sentiment de lire un livre épais.

Le livre de vos 17 ans ?

Il y en a beaucoup ! Je pourrais cependant dire que l'oeuvre de Rimbaud est le fil
conducteur de mes lectures entre 14 et 17 ans : les Illuminations, Une saison
en enfer
... C'est en fait la découverte de la poésie.
A vrai dire, je n'ai jamais autant lu qu'entre 15 et 20 ans : une lecture compulsive, avec un
désir presque flaubertien d'épuiser les rayons de bibliothèque. Je pourrais encore citer
Baudelaire, quelques romans de Balzac, notamment Modeste Mignon, dont
j'adorais l'histoire. Celle d'un poète qui reçoit des lettres qui ne lui sont pas adressées
mais dont le véritable destinataire est un salaud. Et puis bien sûr, la découverte assez tôt,
via l'école, de Proust et l'impression alors que la littérature était un chantier énorme.
En parallèle, j'ai également découvert la philosophie dont je lisais avec beaucoup de
sérieux les textes. Je me souviens ainsi avoir lu rigoureusement de la première à la
dernière page l'Ethique de Spinoza à la bibliothèque Sainte-Geneviève, d'avoir
refermé le livre et de m'être dit : « Non seulement je n'ai rien compris mais en plus, j'ai
tout oublié ! »

Le livre que vous avez le plus lu ?

Les oeuvres de Michel Leiris, et surtout L'Age d'homme. J'ai aussi lu beaucoup
La Règle du Jeu : Biffures, Fourbis, Fibrilles, et Frêle
Bruit
. Quant à son Journal, il est resté pendant des années sur ma table de
chevet.

Le livre qui vous a fait le plus rire ?

Bouvard et Pécuchet de Flaubert, et puis Trois hommes dans un bateau,
de Jerome K.Jerome. Ce sont deux livres qui m'ont arraché de vrais fous-rires.

Le livre qui vous a le plus ému ?

La Mère de Pearl Buck, L'Assommoir et Germinal, de Zola. Ceux-
là m'ont vraiment bouleversé. Ah non, j'allais oublier : j'ai ce défaut de vouer un tel culte à
la littérature que j'en occulte des livres m'apparaissant moins nobles ! Mon Bel
Oranger
de José Mauro de Vasconcelos m'a aussi beaucoup ému, ainsi que Le
Château des Carpates
de Jules Verne, très effrayant. Je me souviens que j'hésitais à en
tourner les pages...

Le livre qui vous le plus donné à réfléchir ?

J'aurais tendance à donner le titre d'un livre philosophique... Je crois que celui m'ayant le
plus donné à réfléchir l'a été malgré moi : il s'agit de La Critique de la raison pure
de Kant. J'ai eu un tel sentiment d'incompréhension que j'ai laissé tomber ! C'est surtout
celui qui m'a donné le plus de mal, le plus fait « penser » au sens mécanique et matériel
du terme.
Sinon, les livres qui ont suscité le plus d'interrogations en moi sont peut-être ceux de
Leiris, car c'est la première fois que je lisais des livres en m'y projetant moi -même, en
m'identifiant ou en me « désidentifiant », en abandonnant le livre, en m'y replongeant. Ces
livres dressent un autoportrait impitoyable dont j'ai toujours eu l'impression qu'il était le
mien. J'ai tendance à me reconnaître à mon corps défendant dans ce personnage. Michel
Leiris est comme un double...

Le livre que vous avez le plus offert ?

Les Vies minuscules de Pierre Michon. Ca été une découverte vraiment
importante. Je ne croyais plus du tout en la littérature contemporaine quand j'ai découvert
ce livre par hasard. Moi j'adore l'histoire des gens ordinaires, la vie la plus humble des
gens les plus humbles, et c'est exactement ce que raconte ce livre. Cela m'a bouleversé.
C'était un moment où j'étais très proche de Pierre Bourdieu (son fils est l'un de mes
meilleurs amis), à l'époque je lisais son oeuvre un peu dans son dos car je n'osais jamais
lui en parler. Je savais que Bourdieu disait souvent qu'il cherchait à trouver des équivalents
dans la littérature de ses propos. Il avait trouvé Faulkner, Tchékhov, dont il se sentait
proche dans l'espèce d'inquiétude sociale qu'on perçoit chez ces écrivains. Lorsque j'ai lu
les Vies minuscules, j'ai tout de suite pensé qu'il s'y reconnaîtrait et ce fut le cas.

Le livre qu'on aurait pas du vous offrir ?

Cela demande réflexion... Ce sont souvent des livres oubliés depuis. Si je prends la
question comme celle des livres qui m'ont déçu, je pense qu'il y aurait des oeuvres de
Christian Bobin. Et puis aussi Philippe Sollers. J'ai adoré cet écrivain à ses débuts, quand il
a publié Paradis : j'avais lu cela avec un très grand ravissement. Mais à partir de
Femmes, j'ai été déçu et j'ai détesté cette idée de m'être trompé. Je le considérais
comme un grand travailleur, très doué, un écrivain pur, un personnage qui épousait l'air
du temps. Cependant, parce que j'ai adoré cet auteur, j'éprouve toujours de la curiosité à
son égard. C'est le talent galvaudé à l'état pur.

Le livre que vous n'avez pas encore lu ?

Je suis très content car j'ai enfin lu il y a deux ans Guerre et paix de Tolstoï que
j'avais depuis dix ans. En fait, dans ma bibliothèque, j'ai un rayon entier de livres « en
attente » ! Je pourrais citer le tome IV des Mémoires d'Outre-tombe de
Chateaubriand dont j'ai pourtant lu les trois premiers. Il y a aussi les Essais de
Montaigne que j'aimerais lire intégralement. Anna Karénine de Tolstoï encore. Et
puis Les Somnambules d'Hermann Broch, un auteur qu'un autre de mes écrivains
favoris, Thomas Mann, citait dans l'une de ses oeuvres. Mann disait tellement de bien de
Broch que je suis directement allé acheter le livre. C'était il y a 15 ans et depuis je n'ai
toujours pas tourné la première page !

Y-a-t-il des livres dont vous auriez voulu parler ici ?

J'aurais voulu parler de celui qui disait « j'ai l'esprit d'escalier », car c'est aussi mon cas ! Il
s'agit de Jean-Jacques Rousseau. Les Confessions, les Rêveries et surtout
Le Contrat social que j'ai lu en annotant page après page, ont été de grandes
lectures. Dans un autre genre, je citerais Monsieur Paul d'Henri Calet et
Travailler fatigue / La mort viendra et elle aura tes yeux de César Pavese.
Monsieur Paul est un des romans "mous" de Calet, cet écrivain qui, dans les
années cinquante, publiait des demi-fictions, autobiographiques et mollement romancées,
dans lesquelles s'exprimait une mélancolie joyeuse, raffinée et pleine d'humour. Il
témoignait d'un temps léger et futile, parisien, sans parisianisme. Il a aussi écrit un génial
petit livre, Le Croquant indiscret, enquête humoristique où il allait interviewer des
gens très riches afin qu'ils racontent leur misère de grands bourgeois. Cela donne une
petite merveille. Je l'ai beaucoup aimé cet écrivain-là, en tant que mineur, et parce que
mineur. L'autre livre est un recueil de poèmes de Pavese, très simples, baudelairiens
parfois, spleenétiques, gorgés de réel, politiques même, qui m'ont toujours laissé
désemparé, touché au coeur. J'ai lu ensuite tout ce qu'il a écrit avec un sentiment de quasi
fraternité, toujours bouleversé par sa modestie, son exigence exemplaire, son amour de la
littérature quasi scientifique, son engagement, et sa détresse constante.

Et s'il ne devait en rester qu'un ?

Ce serait Le Soulier de satin de Paul Claudel. Parce que s'il ne devait vraiment en
rester qu'un, il faudrait que je puisse travailler dessus. Parce que c'est du théâtre et que ce
texte est une matière difficile à la fois comme acteur et comme lecteur. Pour moi, le
monde pourrait se réduire à celui du Soulier de Satin.

Y'a-t-il quelqu'un à qui vous aimeriez proposer ce questionnaire ?

Plusieurs ! Des cinéastes comme Burton, Scorcese ou Kiarostami, des hommes politiques,
des sportifs... Ou des critiques qui ont parlé, en bien ou en mal, de mon travail mais que
je ne connais pas : Michel Cournot, René Solis, Samuel Blumenfeld ou J.M.Frodon, par
exemple.

Maïa Gabily


Denis Podalydès
Ed.
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