La vérité selon Dominique

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Qu'il soit l'élément de scènes de liesse dans tout le pays ou qu'il inspire la création dans la littérature, le football est omniprésent et provoque le plaisir, toujours. Avec La Véritable histoire du football...(Gallimard), Dominique Noguez revient sur quelques vérités et livre un florilège de révélations plus caustiques les unes que les autres. D'un mythe littéraire, il fait une réalité de la rencontre de Lautréamont et Rimbaud. Et tente de rendre hommage à des auteurs, un peu oubliés, tels Raoul Ouffard, Maxime Petitdoigt… Entretien

Comment en êtes-vous arrivé à faire un livre sur des révélations aussi bien footballistiques que littéraires, sociologiques que culturelles ?

Il y a plusieurs façons de faire un livre. En y pensant pendant vingt ans et en l’écrivant d’un coup, furieusement, en quinze jours. Ou bien une ligne par jour, sans y penser, le matin à jeun, etc. La mienne est la façon 58 bis. Ayant déjà écrit quelques livres du même
genre (Les Trois Rimbaud, Sémiologie du parapluie, etc.), relevant des mêmes lubies, j’oserais presque dire de la même méthode (parodier les savoirs dominants, retoucher le passé, décrire l’avenir comme s’il était advenu), j’avais depuis longtemps envie d’en faire un quatrième, qui aurait regroupé plusieurs « études » de la même farine. J’y aurais mis avant tout un « Montaigne au bordel », étude sur le contenu -inventé par mes soins- d’un quatrième livre des Essais, qui aurait donné son nom à l’ensemble. J’ai commencé à écrire plusieurs textes de critique-fiction de ce type ou à orienter dans cette perspective diverses commandes. En 2005, après une étude sur Lautréamont et Rimbaud qui m’a donné beaucoup de mal, j’ai décidé de publier tout ce qui était prêt, sans attendre le texte sur Montaigne (que je n’arrivais pas à écrire, peut-être parce que, comme son nom l’indique, je m’en faisais une montagne…). Et j’ai choisi comme titre global celui d’une histoire quelque peu fantaisiste du football écrite en 1998, qui me paraissait, dans son extravagante prétention (« La Véritable Histoire… »), se dénoncer clairement comme plaisanterie. Pour plus de sûreté, j’ai ajouté « et autres révélations » (autre prétention qui ne peut qu’aiguiser gaiement le scepticisme du lecteur) et placé une citation de Borgès en exergue. Voilà l’affaire.

Ouvrir le livre par des révélations, comme celle sur les origines du foot, permet-il d'aborder des thèmes plus sérieux comme l'enseignement en Seine-Saint-Denis… ?

L’invention de la balle au pied par l’enfant de Charleville Victor Pénard —dont je montre que Platon et Descartes avaient eu la merveilleuse intuition chacun de son côté— me semble à peine moins sérieuse que la description de la traite des enseignants en Seine-
Saint-Denis. Cette traite, censée se dérouler dans quelques années dans une union européenne de plus en plus fédéraliste (avec d’immenses régions plus ou moins autonomes comme le « Nord-Île de France », la « Provence-Languedoc » ou la « Padanie » en Italie), est à peine une anticipation. Elle part de nombreux petits faits vrais, que chacun peut déjà constater aujourd’hui comme l'augmentation de la violence dans les collèges de banlieue, le déclin rapide à la fois en salaire, autorité et considération, de la catégorie sociale des enseignants, qui était, il y a cinquante ans encore, une des plus prestigieuses de la France républicaine. Simplement, j’ai pris un malin plaisir à décrire ce déclin avec le vocabulaire et les clichés des reportages bien-pensants des grands hebdomadaires — y compris Le Nouvel Observateur — sur la prostitution. Question galère, ces derniers temps, le « plus beau métier du monde » n’est-il pas en train de rattraper « le plus vieux métier du monde » ?

Comment l’actualité sociale et plus généralement la réalité influencent elles votre travail d’imagination ?

Dans ce livre, effectivement, la fiction — à la fois au sens de mimésis et au sens d’imagination — est indexée sur la réalité politique et sociale. Si je choisis assez souvent l’anticipation — plusieurs des textes de ce recueil sont censés se passer en 2010, 2024 ou même en 2101— c’est tout simplement pour grossir, grâce à la loupe humoristique, des tendances de la société française d’aujourd’hui. L’un concerne, je viens de le dire, le statut de plus en plus dégradé des enseignants, l’autre l’augmentation des comportements asociaux, explicable par l’accroissement des inégalités qui nous éloigne d’une certaine douceur de vivre. À chaque fois, je procède en parodiant un certain type de discours journalistique dominant, avec la bien-pensance que cela implique. Cela dit, mon terrain de jeu préféré reste l’histoire littéraire, avant-gardes comprises. En inventant des personnages d’écrivains plus ou moins fous, oubliés ou ratés, ou bien en faisant se rencontrer des contemporains comme Isidore Ducasse et Arthur Rimbaud, je me promène avec délectation dans la géographie littéraire, je ressuscite au passage Euripide, Juvénal, Flaubert, les Goncourt, Sartre ou l’Oulipo, je rappelle qu’il n’y a pas de plus grand, pas de plus fin plaisir que celui de la musique des textes, de la causticité des satires et de l’invention romanesque.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’épisode Ducasse-Rimbaud ?

Ce sont pour moi deux des plus grands créateurs de toutes les littératures. Deux archanges noirs et solaires à la fois. Je m’étais depuis longtemps demandé s’ils auraient pu se rencontrer, puisqu’ils ont été contemporains. Ducasse né en 1846 et mort en 1870 ;
Rimbaud né en 1854 et mort en 1891. Et j’ai découvert que, contrairement à ce qu’ont pu imprudemment écrire les rares biographes qui se sont interrogés sur une telle rencontre, elle a bel et bien été possible. Il y a eu un jour et, dans ce jour, une heure où cela aurait pu se passer. Je l’établis sans tricher. J’ai pour cela été jusqu’à faire tout le travail habituel des spécialistes ou des érudits, consultant par exemple les archives de la SNCF pour le
mois d’août 1870 et une thèse sur les retards des trains à cette période. Le petit supplément de plaisir (et de jeu), c’est que j’ai fabriqué deux preuves pour rendre effective cette rencontre qui n’a été que possible. Je n’en dis pas plus. J’ajouterais seulement que
j’ai fait lire le résultat de cette étude un peu piégée à Jean-Jacques Lefrère, le biographe actuel le plus complet et le plus fiable à la fois d’Arthur Rimbaud et d’Isidore Ducasse (c’est lui qui, il y a quelques années, a donné enfin un visage au second en retrouvant dans un grenier de Tarbes une photo de lui). Eh bien, il m’a fait l’honneur de me répondre : « C’est si bien ficelé qu’à la fin, j'y croyais presque. » Voilà tout ce que j’espère en publiant ce livre de fictions « plus ou moins savantes » placées sous le signe de Borgès : qu’à la fin on y croie presque.

Charles Patin_O_Coohoon

La véritable Histoire du football
Dominique Noguez
Ed. Gallimard
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Last modified onmercredi, 24 juin 2009 23:49 Read 1940 times