Le Crayon de Papa

Chroniques
Ian Soliane se montre peu. Pour ce que l’on sait de lui : né en 1966, il publie son troisième roman. Après La saigne aux éditions de la Musardine et Solange ou l’école de l’os, le tout récent Le Crayon de Papa innove l’air de rien. D’emblée, Soliane est à classer nulle part sinon dans le meilleur de la production de son éditeur Léo Scheer.

L’enfant blessé

« Maman est secrétaire. Ça ne frappe pas d’emblée. Elle méprise le maquillage. Je lui récitais mes fables et la carte de France. Elle ne pigeait rien aux nombres, elle n’avait jamais été au lycée, n’avait même pas son certificat d’études. C’était le premier gel d’hiver. Le sol était dur, avec du lichen blanc. C’est comme ça qu’on a débuté.
Tiblic, va faire un câlin à papa.
D’un dimanche à l’autre.
Tiblic, papa attend son câlin.
Son index droit entrait dans mon anus. Au même moment, dans la cuisine, maman faisait ses tartines. »
Narrateur de son histoire, le jeune Tiblic est un enfant caustique. Brillant. A l’école, à table ou près d’un étang, ce gosse d’à peine huit ans construit ses souvenirs autour des voisins qu’on reçoit et des jeux de rues qui tournent mal. Tiblic a tout du beau môme rassurant le gros mensonge que se font les adultes à propos de leur enfance.
A priori, on le plaquerait volontiers sur une photo de Bresson (où la photo n’est que photo) ou dans un roman d’Anna Gavalda (où le livre n’est que livre). Mais non. Ian Soliane n’est pas un satisfait. Quand son Tiblic pisse au lit, se rend au catéchisme ou regarde des westerns, Soliane le raconte moins par nostalgie que pour y insérer quelques phrases démythifiant l’enfance qu’il est trop facile, convenu et désarmant d’admirer. Comme si les gosses ne se posaient pas de questions. Comme s’ils étaient trop propres, sans désir. Alors oui, on pisse au lit mais cela ne traduit que des bouts de culpabilité. Effectivement, c’est bien joli de croire en Dieu, mais pourquoi ne parle-t-on pas de Satan au catéchisme ? Et les westerns, pourquoi les Indiens sont-ils les seuls à y mourir ?
Dans cette France des hypermarchés et des pizzas à domiciles, parmi ces visages ingrats, gris et vachards, Tiblic raconte son viol à répétition. Il écrit cet inceste qui rend fou, terrifie. Il partage ses impressions avec la noblesse de ne pas chercher la compassion.

De l’inceste et des champs de fleurs

Si le héros du Crayon de Papa a cette gouaille charmante, ce n’est que pour nous prendre au piège d’incises crues, catapultés. Ces phrases courtes restituant la violence des vieux. Évidemment il y a cet inceste « très très concret », le crayon de papa l’écrivain qu’il faut tailler. Évidemment il y a cet inceste ubiquiste, partout dans les films, la télévision et les livres. Évidemment on pourrait se demander une fois de plus si l’auteur, oui ou non, a vraiment eu droit au sien, mais Soliane, aussi à l’aise dans ses dialogues que dans sa construction, déploie tant de talent que la question ne se pose pas. Quid du vrai ou du faux ? La réponse est qu’on s’en fiche. Évidemment qu’on s’en fiche.
Ce que l’on doit retenir est cette tragique allégresse d'un écrivain à parler biscottes et fellation. Miel et complicité maternelle. « Face aux événements, maman se faisait les cils ». Même si le style de Ian Soliane est moins sec que celui de Grégoire Bouiller, la quatrième de couverture du Crayon de Papa pourrait reprendre cette phrase de Rapport sur moi (Allia) : « Ce sont des choses qui arrivent ». Plus auto-fictionnel qu’auto-journalistique, le roman de Tiblic se méfie des codes. Il use, humblement, de l’espace immense dont il dispose. Celui de la littérature.

Ariel Kenig

Le Crayon de Papa
Ian Soliane
Ed. Léo Scheer
144 p / 15 €
ISBN: 2915280428
Last modified onjeudi, 04 juin 2009 22:27 Read 3451 times