A bout de fuite

Chroniques
A travers ce magnifique premier roman, on réalise que toute la vie de Liza Ward s’étale là, dans ces pages : l’Américaine est parvenue à dépasser sa propre histoire pour imprégner de romance, de compassion et d’humanité l’une des plus effroyables affaires criminelles qu’aient connu les Etats-Unis.

A la fin des années 50, dans un Nebraska de désolation, un couple d’adolescents sont la source d’une série d’odieux assassinats. Une histoire célèbre, dont les noms résonnent encore dans les mémoires, un demi-siècle plus tard : Charlie Starkweather, Caril Ann Fugat.

Un jeune homme de 19 ans, une jeune fille de 14, deux amoureux. Deux âmes perdues sur le fil du temps. Deux incompris, aussi, dont la passion mutuelle aura confiné à la folie destructrice.
Leur histoire en aura inspiré plus d’un : Terence Malick et sa Balade sauvage (1974), Oliver Stone avec ses Tueurs-nés (1994)… On sait aussi que la carrière entière de Stephen King repose sur le traumatisme de ces tueries : à l’âge de dix ans, le petit Stephen se met à collectionner toutes les coupures de presse relatives à Starkweather. Et depuis lors, comme il a pu l’expliquer, chaque nouveau roman est un moyen de combattre le Starkweather de son enfance… Comme s’il fallait, coûte que coûte, contrer l’horreur par l’horreur. Pour la dominer, ne serait-ce qu’en partie.
Deux adolescents incompris, donc. Mais dans A bout de fuite , Liza Ward réassigne à ces enfants délaissés une humanité, une certaine consistance. Loin de ne figurer que comme des pantins mus par leur seul instinct, ou comme des marionnettes récupérées par l’Histoire judiciaire, le jeune couple prend de nouvelles couleurs sous les coups de pinceau de Liza Ward. L’auteur tisse ainsi une intrigue à trois niveaux sur l’échelle du temps : 1958,1962 et 1991 marque les étapes de sa réflexion où trois générations se succèdent, où différentes voix se font entendre, s’imbriquant peu à peu les unes dans les autres.
Mais toujours, en toile de fond, cette même réalité : ces esprits qui ne tiennent qu’à un fil, ces limites trop fragiles entre le confort et l’irrémédiable, cette frontière qui peut être franchie en un rien de temps… Entre les lignes, et à travers son style doré et recherché, on sent que Liza Ward en a plus que conscience. Et pour cause : ses grands-parents font partie des onze personnes à qui la folie meurtrière de Charlie et Caril Ann coûta la vie.

Le premier a été condamné à l’électrocution. La seconde, l’amoureuse, fera dix-huit ans de prison avant d’être finalement relâchée. Premier roman très réussi, A bout de fuite , est de ceux qui ne changent pas le cours des choses, mais qui en modifient la perception…Presque 50 ans après, avec dextérité et minutie, Liza Ward s’immisce dans l’intimité du jeune couple, entre pudeur et compassion. Comme si le pardon n’était pas loin...

Julien Canaux

A bout de fuite
Liza Ward
Ed. Buchet - Chastel
414 p / 22 €
ISBN: 2283021073
Last modified onvendredi, 07 mai 2010 23:09 Read 1830 times
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