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Les dessous du livre : entretien avec Dominique Gautier, le Dilettante

Dominique Gaultier, directeur des éditions-librairies du Dilettante, est le nouvel invité de Zone-littéraire pour son cycle consacré aux acteurs de l'édition. Editeur exigeant, il n'a pas attendu le succès phénoménal d'Anna Gavalda pour prouver son talent de découvreur. Il nous parle de sa maison, de la rentrée, des prix et ignore la langue de bois.

Les éditions du Dilettante, établies dans le 13ème arrondissement, sont un lieu à part, où l'on aime venir fureter dans les rayonnages toujours bien fournis de la librairie. Dominique Gaultier, directeur de l'ensemble, va et vient entre sa caisse et ses bureaux éditoriaux, situés à l'arrière. Son franc-parler est légendaire, son ironie délicieuse. Portrait d'un éditeur incorrect.

Comment passe-t-on du métier de libraire à celui d'éditeur ?
D'abord parce qu'on se désole de voir certains auteurs pas republiés par leurs éditeurs d'origine. Des auteurs oubliés qu'on voit sur nos rayons. Cela se passait au début des années 80. J'étais libraire depuis 4-5 ans.

A l'époque, ce n'était pas encore les éditions du Dilettante, cela s'appelait « le Tout sur le tout » et nous étions deux éditeurs. Le premier titre que nous avons publié était La Tour d'amour. Nous sommes allés négocier les droits au Mercure de France à qui cela disait « vaguement » quelque chose ! Ils nous ont finalement dit « Allez-y ! » et nous n'avons même pas fait de contrat...

Justement, vous ne rachetiez que les droits d'anciens livres ou vous vous appuyiez au contraire sur des manuscrits ?
« Le Tout sur le tout » - en référence à un livre d'Henri Calet, auteur que j'aime beaucoup - s'est d'abord consacré à la réédition. Soit de textes déjà publiés, soit de textes inédits d'auteurs souvent disparus. C'était un peu frustrant mais cela correspondait bien à notre activité de libraire puisqu'il y avait dans nos rayons des textes d'auteurs devenus rares, qu'on ne trouvait - et j'exagère à peine - nulle part ailleurs. Un bouche à oreille s'est donc mis en place au sujet de notre librairie où l'on pouvait découvrir des livres un peu différents.
Ensuite, lorsque nous sommes devenus officiellement éditeurs, on a commencé à recevoir des manuscrits mais ce que nous lisions n'était guère convaincant. A peu près en même temps, ne faisant pas preuve d'une originalité folle, nous avons créé une revue, Les Grandes Largeurs (encore une fois en hommage à Calet dont c'est l'un des titres) où nous avons pu publier quelques textes courts de jeunes auteurs. Cette expérience m'a permis de constater une chose que je savais déjà, à savoir que faire une revue est d'abord très ingrat car c'est difficile à placer en librairie, dur à vendre. Mais surtout, j'ai vu que lorsqu'elles étaient chroniquées, on était souvent frustré car les quelques textes originaux qu'on avait réussi à placer passaient un peu inaperçus au profit de textes mineurs d'auteurs plus connus que ces jeunes écrivains qu'on publiait.

C'est là que vous avez songé à l'édition originale ?
Oui, le Dilettante est né de là. Entre temps, l'autre éditeur avec qui je travaillais est parti car nous n'étions plus vraiment en accord sur notre politique éditoriale : j'ai gardé la librairie, lui l'édition. Après quelques mois où j'étais bien décidé à faire quelque chose, j'ai finalement créé le Dilettante. L'origine de ce nom que j'ai toujours trouvé joli, vient justement de mon ancien complice qui trouvait que j'étais un peu trop dilettante ! Mon objectif immédiat a été de faire des livres qui ne seraient plus collectifs : mes deux premiers ont été Eric Holder (que j'avais publié en revue dans l'indifférence générale !) et Bernard Frank. Ce dernier a d'ailleurs été une passerelle entre les auteurs du passé (ses premiers livres sont parus dans les années 50) et les écrivains modernes puisqu'il publiait toujours.

Quel est le programme du Dilettante pour 2004-2005 ?
Le problème du Dilettante est justement de garder la ligne ! Editorialement parlant bien sûr, mais aussi d'un point de vue plus personnel car là je rentre de vacances et j'ai un début d'embonpoint à faire disparaître ! Sérieusement, ce n'est pas qu'un bon mot car comment gérer, pour une maison d'édition de notre taille, l'énorme succès d'Anna Gavalda ? Les ventes d'Ensemble c'est tout viennent de dépasser les 300000 exemplaires, or nos plus gros tirages après tournent autour de 30 000. Comment faire pour que ce succès ne nous dénature pas ? Il faut pouvoir montrer les autres arbrisseaux de la forêt cachés derrière le baobab !
Habituellement nous publions 12 à 15 livres par an. On reçoit de plus en plus de manuscrits. Le Dilettante a la réputation de découvrir des auteurs qui partent ensuite dans d'autres maisons. Néanmoins, il y en a quelques un qui restent et tout ceci nous amène mathématiquement à augmenter nos titres. Or notre souci est de conserver une production assez limitée. C'est un peu notre image de marque. Il faut que les livres aient une nécessité, créent un enthousiasme en nous. En effet, si on est tiède au départ sur un manuscrit qu'on a accepté, une fois qu'il sort, on a tout de suite envie de l'oublier ! Trop de livres sortent hélas de cette manière, faisant un tour de piste dans l'indifférence générale. C'est ce qu'il y a de plus triste : publier un livre qui ne suscite aucun écho.

Vous évoquiez à l'instant la découverte d'auteurs : votre talent dans ce domaine est réputé. Quel est votre secret ?
Une fois, dans un journal, on a dit que j'avais du nez, à l'image de quelqu'un qui compose des parfums. J'ignore s'il y a un secret, disons en tous cas que dans les faits, le Dilettante sollicite très rarement des auteurs. Nous publions en grande majorité de textes arrivés par la poste, donc beaucoup d'inconnus. Moi je mets un point d'honneur à lire tous les manuscrits. C'est mon travail d'éditeur.
Ceci étant, hier encore, quelqu'un est venu me déposer un manuscrit et m'a dit « On ne lit pas les manuscrits dans les maisons d'édition ». Moi, je m'élève contre ce lieu commun car je pense au contraire qu'on les lit, même si c'est avec plus ou moins d'attention. Je lui ai demandé « Pourquoi m'amener alors votre manuscrit ? » Il me répond qu'il a entendu parler de moi. Je lui dis « Et vous connaissez notre publication ? » Il n'en savait rien ! Il a ajouté que lorsqu'il lisait un livre, il ne faisait pas forcément attention au nom de l'éditeur. Effectivement, on peut considérer que c'est sans importance ! C'est bien là tout le paradoxe : les gens exigent de nous qu'on les lisent tous mais eux n'ont pas cette démarche de s'informer sur notre catalogue. Néanmoins, il est vrai que certaines maisons, Albin Michel par exemple, n'ont pas forcément vocation à découvrir des auteurs : il suffit de le savoir !

Comment se fait-il que certains écrivains (Serge Joncour, Anna Rozen...) vont et viennent entre votre maison et d'autres ? C'est du cas par cas ou vous ne passez pas de contrat d'exclusivité avec vos auteurs?
Normalement, au départ, j'en fais un mais c'est juste pour pouvoir ensuite dire aux auteurs qu'ils ne respectent pas les contrats qu'ils ont signés ! En fait je ne pense pas que nous vivions dans un monde où l'on doit absolument se jurer fidélité ! Peut-être que Serge aura un jour envie de me redonner un manuscrit parce qu'il pensera que le Dilettante saura mieux le défendre. Moi, je suis toujours prêt à lire, je garde cette curiosité. Il y a dix ans, je n'aurais peut-être pas dit ça mais avec l'âge, on prend de la bouteille : je suis bien plus serein qu'auparavant. Concernant Anna Rozen, c'est particulier, c'est moi qui n'ai pas du tout compris son texte : j'y suis resté imperméable et donc j'aurais été incapable de le défendre.

On pourrait donc dire que vous ne publiez que ce en quoi vous croyez vraiment ?
En un sens oui, mais je ne suis pas forcément l'exemple à suivre. POL par exemple, lorsqu'il publie un texte, va ensuite éditer l'ensemble de l'oeuvre de l'auteur. C'est une autre méthode qui vaut aussi mais qui n'est pas dans mon tempérament : je suis peut-être un peu despote, mais attention, un despote éclairé !

Est-ce que pour vous la rentrée littéraire a un sens ? Vous participez à la grande messe?
Oui, je joue le jeu. C'est tout de même une période médiatisée, dont on parle, même si c'est souvent plus de manière sociologique (nombre de livres, de premiers romans...). On édite donc un peu plus, car on sait bien quand on fait ce métier que c'est un des moments où le livre a une meilleure visibilité. Par exemple, on ne va pas faire paraître un premier roman en novembre, car c'est plutôt la période des beaux livres.
Bien sûr, au Dilettante, contrairement à de plus gros éditeurs, nous n'avons pas de visée de prix donc nous n'avons pas cette contrainte de publier untel ou untel dans l'idée qu'il puisse en obtenir un. Bref, on participe mais à notre mesure.

Justement, quelle est votre opinion sur les prix littéraires ?
C'est vrai que cela m'importe peu ! Tout à l'heure, à midi, j'ai feuilleté le Livre-hebdo où étaient indiquées les premières sélections du Goncourt et du Médicis et j'avoue ne pas avoir regardé. On sait ce que sont les premières listes, souvent faites pour faire plaisir à l'un ou à l'autre... En revanche, si on décernait un prix pour un livre publié au Dilettante, je n'aurai pas le culot de cracher dans la soupe !

Vous pensez que ça fait vraiment vendre ?
De fait, ça ne fait plus vendre autant qu'avant mais le rôle du public est important. Les gens savent ce qu'ils veulent. On dit en ce moment que le prix Goncourt est fini mais c'est faux ! Quand Jean-Christophe Rufin l'a obtenu (en 2001 pour Rouge Brésil chez Gallimard), il a énormément vendu car son livre était accessible à un large public. Evidemment si on le décerne à Pascal Quignard ou à Jean-Jacques Schulz, il y aura moins de ventes car ce sont des livres plus ardus. Ceci étant, il y a tellement de prix aujourd'hui qu'un livre qui n'en obtient pas est presque chic ! Finalement, les prix, ce sont un peu l'écume de la vague que constitue la rentrée littéraire...

Je suppose que vous avez lu des nouveautés de cette rentrée : vous avez repéré des livres ?
J'aime bien le Dubois (Une vie Française, l'Olivier), c'est un bon livre, même si je ne crierai pas au génie ; je trouve que c'est un texte avec lequel on se sent bien. Au départ, j'avais peur car c'est toujours un peu casse-gueule ces livres où les cinquantenaires reviennent sur leur folle jeunesse, on peut très vite tomber dans le narratif chiant, mais là je n'ai pas été déçu. Sinon, j'ai beaucoup aimé le livre chez Stock d'Isabelle Jarry, J'ai nom sans bruit, que j'ai trouvé très fort. A vrai dire, même si je pense que je n'ai pas encore lu assez de romans de cette rentrée, un certain nombre me sont déjà passés entre les mains, mais je n'en parlerai pas car je ne voudrais pas paraître désagréable ! Pas qu'ils soient tous mauvais mais si certains sont agréables à lire, ils n'ont pas pour autant le truc en plus qui vous donne envie de le conseiller.

Maïa Gabily


Dominique Gautier
Ed.
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Dernière modification le Thursday, 04 June 2023 22:17

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