Tristan Garcia
Tristan Garcia

Mornay, mort-né, morne haie

Chroniques

Tristan Garcia ne nous avait habitué à rien et il continue de la plus étrange manière avec ce bildungsroman qui flirte avec le formidable.

Roman générationnel (La meilleure part des hommes), science-fiction à deux reprises (Les cordelettes de Browser, Mémoires de la jungle)... depuis le départ, le talent de Tristan Garcia n'aime pas les lignes droites. Dernier virage en date, Faber. Le destructeur remonte le temps jusqu'aux années 80 dans une banlieue imaginaire où trois adolescents passent leur ennui à coup de standard new wave, de discussion no future et signe son retour dans la Blanche de Gallimard après une escapade chez Denoël. Rien que de très normal, sauf que la normalité a toujours un goût interlope dans les romans de ce jeune philosophe. L'agent provocateur donne son nom au roman : Faber. personnage mi christique, mi guevaresque, grande gueule et petite frappe. Il emmène ses deux comparses - Madeleine et Basile - loin de la normalité sur les rives de... de quoi, exactement ? Nihilisme, existentialisme, situationnisme, Faber prône la révolution intérieure, frappe fort et juste, pratique l'intelligence comme d'autres la boxe, avec acharnement et violence. "Enfants moyens de la classe moyenne d'un pays d'Occident", comme le dit la réclame en quatrième de couverture, la belle étrangeté du roman tient aussi à ce mystère : où est Mornay, cette ville si statistiquement normale qu'elle réveille en tous des souvenirs de pavillon standard, de dimanches soirs à la lumière des lucarnes, de Sébastiens, de Juliens, de mauvais shit et de vélléités un jour d'en échapper... Pour y revenir aussi surement quelques années plus tard. L'enfance passée, Basile est devenu prof, Madeleine pharmacienne, la normalité a effectivement gagné jusqu'au retour de l'enfant terrible, de sa violence et de ses maladies. Explosion. Difficile d'en dire plus sans déflorer l'histoire. L'histoire est parfaite et désespérante, mâtinée de fantastique, comme sait le faire Tristan Garcia, avec toutefois un surcroit de bile et de de sang plutôt absent de ses dernières productions. Fort de son originalité, on ne saura trop conseiller aux amateurs et aux béotiens totaux de se jeter dans les tranchées bien entretenues de ce roman municipal.

Faber. Le destructeur
Tristan Garcia
Ed. Gallimard
480 p. - 24 euros 

Last modified onlundi, 23 septembre 2013 22:28 Read 2911 times