Céline Minard
Céline Minard

Requiem pour un temps ancien

Chroniques

Il est des écrivains dont on dit qu'ils écrivent éternellement le même livre, composant d'inépuisables variations autour d'un thème qui les obsèdent. Telle n'est vraisemblablement pas la tasse de thé de Céline Minard qui, après avoir tâté du roman d'anticipation et du roman médiéval, se lance dans le western. Avec toujours, néanmoins, le souci de maîtriser une langue qu'elle adapte chaque fois pour coller au plus juste à son sujet, comme s'il avait toujours été le sien. En ceci, on la retrouve dans Faillir être flingué : virtuose, elle est capable de nous étonner nous-mêmes de nous passionner pour ce roman de genre que l'on pensait désuet, mais que l'on découvre jouissif et profondément moderne.

Il y a eu les westerns filmés, genre prisé de l'âge d'or hollywoodien, réclamés et produits à la chaîne, à grand renfort de stars internationales à la John Wayne ou Gary Cooper. Comme tout succès qui se respecte et ne doit pas se perdre, les réalisateurs des décennies suivantes ont eu à cœur de les transformer, rendant hommage à ces oeuvres en leur octroyant un soupçon nostalgique, ou comique dans leur version « spaguetti ». Si leur production s'avère moins pléthorique depuis quelque temps, l'influence et l'attractivité de ce genre est loin d'avoir disparu. Ainsi Quentin Tarantino revisitait-il encore l'an dernier, à sa façon aussi référencée et brillante qu'outrancière, un « Django » de 1966. Tandis que cette année, Thomas Arslan proposait un western contemplatif, quasi-féministe, avec « Gold ». Autant dire qu'au-delà du fantasme qu'il suscite et des souvenirs qu'il éveille, ce genre fascine toujours et trouve des échos dans le présent d'un monde contemporain toujours plus chaotique.

Mais s'il est profondément cinématographique, le western possède aussi un ancrage littéraire ancien: de James Fenimore Cooper à Elmore Leonard en passant par Rudolf Wurltizer et son Zébulon (dont la lecture a visiblement marqué Céline Minard qui a baptisé un de ses personnages du même nom, et dont l'histoire a inspiré le « Dead Man » de Jim Jarmusch), les affrontements avec les Indiens, récits de ruées vers l'or ou règlements de comptes entre cow-boys ont investi l'imaginaire romanesque de longue date.

C'est dans cette lignée que s'inscrit dignement Céline Minard. Qu'il s'agisse de Eau-qui-court-sur-la-plaine, la jeune Indienne orpheline aussi peu loquace que douée de pouvoirs médicinaux miraculeux, de deux frères en transit à bord d'une roulotte en quête d'un lieu calme ou requinquer leur vieille mère, de Birdy Boisverd, propriétaire opiniâtre prêt à traverser monts et États pour retrouver celui qui a eu le culot de lui voler un cheval, ou encore de la contrebassiste Arcadia, solitaire, entrepreneuse et charmeuse, elle convie, convoque et donne vie à tout un petit monde aux destins singuliers mais nourris d'une même soif de réussite et de nouveautés. D'abord parallèles, leurs trajectoires convergent ensuite vers ce que l'on pourrait appeler une ville nouvelle, qui devient un véritable laboratoire de développement commercial, industriel, et de vie en communauté pluriethnique, voire métissée.

Et c'est sans doute là que réside le talent de Céline Minard. À savoir, faire du neuf avec du vieux. Ou plutôt souligner à quel point des questions que l'on considère comme d'actualité ou problématiques ont traversé les époques, les continents et les histoires nationales, nous invitant plus que jamais à une relecture du passé, fut-ce par le roman de genre, pour tenter de faire surgir quelques éléments de compréhension de l'avenir.

Ainsi restitue-t-elle et crée-t-elle à la perfection décors et personnages stéréotypés, pour notre plus grand plaisir de lecture : Indiens, trapeurs et troupeaux, saloon, scalps, rivalités, ruses, stratagèmes et plans d'attaque. Tout est dans Faillir être flingué.

Mais rien n'est vain dans ce qui pourrait se limiter à un morceau de bravoure littéraire. Car au-delà du carton-pâte surgissent des questionnements qui n'ont rien perdu de leur pertinence et de leur actualité : la construction et l'organisation de l'espace urbain, inévitablement lié à l'arrivée d'une voie ferrée avoisinante et le potentiel de développement commercial qui en découle - on saura tout sur la la satisfaction de besoins alimentaires primaires mais également sur la découverte de conforts encore inconnus avec l'installation de bains - l'apprentissage d'une vie en commun harmonieuse par la reconnaissance et la mutualisation des qualités de chacun - les Chinois excellent dans l'art de la blanchisserie, tandis que les trappeurs font commerce de peaux précieuses pour les Indiens des montagnes.... Sans oublier les personnages féminins, qui ne collent aux clichés que le temps de se débarrasser de leur étiquette pour prouver qu'à force de volonté et d'intelligence, elles sont bien les égales des hommes. Un roman social, sociologique, par moments utopique se dissimulerait donc subtilement derrière cet ouvrage ?

Si tous manquent en effet à un moment ou à un autre d'être flingué, la loi du Far West amorce décidément une éclipse qui laisse entrevoir les fondements d'une société moderne.

Quant à savoir si  c'est la vie au XXIe siècle qui s'apparente à un western ou si ce sont les mœurs des Apaches et des cow-boys qui se sont progressivement adoucis, la vérité se situe certainement un peu entre les deux Mais une chose est sûre : le nouveau roman de Céline Minard a beau emprunter au passé, il est parfaitement contemporain, dépasse définitivement Est et Ouest, et demeure au premier chef du grand œuvre romanesque, réjouissant dans sa lecture, surprenant dans sa réappropriation et son dépassement des codes.

Faillir être flingué

Céline Minard

Éd. Rivages

326 p. - 20 €

Last modified onlundi, 23 septembre 2013 21:16 Read 3119 times