Jean-Hubert Gailliot
Jean-Hubert Gailliot DR

(En)quête littéraire

Chroniques

Ovni littéraire ou hommage à tous les genres confondus ? Méditation esthétique, polar politico-historique, aventures et rebondissements : on trouve un peu tout cela dans le nouveau roman de Jean-Hubert Gailliot. Ainsi qu’une subtile réflexion sur la rumeur, la construction d’une légende et l’importance du bruit qui l’accompagne pour créer un mythe. Un grand « roman ».

Qui chercherait à ranger le nouveau roman de Jean-Hubert Gailliot dans une case se fourvoierait très certainement. Impossible en effet d’apposer une étiquette catégorielle sur la couverture du Soleil. Et c’est tant mieux. Car c’est précisément ce qui fait la force de ce texte surprenant : son irréductibilité à un genre littéraire unique. S’il commence par une réflexion esthétique, méditation quasi-métaphysique sur la condition humaine, la lumière, l’évanescence, les traces qu’on laisse ou que l’on dissimule, il bifurque rapidement vers le genre policier, avec un détour par le roman historique pour mieux y échapper de nouveau. Qu’il y ait derrière la conception de cet ouvrage l’ambition d’englober tous les genres littéraires, le résultat est captivant. Toute vaine qu’elle soit, une tentative de recadrage est néanmoins possible. Le point de départ de ce que l’on pourrait identifier comme l’intrigue serait donc la quête d’un mystérieux manuscrit, lu par un nombre de personnes aussi faible que leur réputation est grande. Ceci, ajouté à l’effet aussi troublant que révolutionnaire qu’il aurait produit sur l’œuvre de chacun des détenteurs successifs, a construit la notoriété de ce chef-d’œuvre inconnu au fil du XXème siècle. Man Ray, Ezra Pound, Cy Twombly : trois artistes visionnaires, novateurs. Trois hommes avec leur part d’ombre également. Mais incontestablement avant-gardistes dans leur genre, créateurs en résonnance autant qu’en avance sur leur temps, et dessinateurs d’un sillage dont nombre d’artistes s’estiment légataires. Mais quel déclic aurait éveillé en eux la sensibilité qui a donné une telle ampleur à leur œuvre? Pourrait-il s’agir de la lecture d’un texte hors normes, bouleversant - tant par son contenu que par sa forme – qui aurait activé en chacun d’entre eux un point de sensibilité devenu le moteur de leurs créations ? Si tel est le cas, ce sésame mérite d’être porté à la connaissance de tous. C’est du moins l’avis de l’amie éditrice d’Alexandre Varlop, qui prend cet homme en perdition sous son aile et le missionne pour retrouver ce fameux texte. Cette demande relève certes autant du soutien altruiste à un proche que de la rapacité éditoriale, motivée par l’envie de réaliser « coup » littéraire que représenterait la publication d’un texte mystérieux et sulfureux qui aurait révolutionné le cours de l’art contemporain. Mais il ne fallait pas autre chose à Alexandre Varlop que cette carte blanche pour tenter de retrouver une place dans un monde duquel il s’était absenté depuis longtemps. C’est ainsi dans les marges, dans les péninsules qu’il va s’efforcer de se réinscrire dans la civilisation, rebâtir un semblant de sociabilité et d’abord renouer avec lui-même puisqu’il semble avoir perdu jusqu’à son ombre. Direction Mykonos d’abord, où il fera le plein de sensations pures et rencontrera les premiers intermédiaires qui le mettront sur la route de Palerme (où l’expérience se clôt par une étonnante parenthèse sensuello-surréaliste soulignée par les pages roses qui l’abritent au sein de l’ouvrage), avant qu’il ne revienne et prenne ses quartiers définitifs à Formentera. D’énigmes en chausse-trappes, les pistes ne cessent de s’embrouiller. Il se serait d’ailleurs inutile de tenter de démêler l’écheveau des intrigues et des mystères qui se déploient au fil des pages. Ce serait tout à la fois trop dévoiler et trop réducteur. L’enquête est-elle d’ailleurs seulement le sujet véritable de ce livre qui emprunte autant au traité d’esthétique, au livre d’histoire de l’art qu’au roman historique et mafieux?

Sous le soleil exactement

Omniprésent, le soleil est bel et bien l’astre dominant, le lien et le moteur entre les déplacements successifs d’Alexandre Varlop. Mykonos, Palerme, Formentera. Un soleil qui irradie, trouble et rend perplexe. De là découle en filigrane une réflexion subtile et dérangeante sur le pouvoir de l’art, de l’artiste et le danger que l’adhésion qu’il peut créer suscite. Tout créateur ne serait-il pas un faussaire ? Un manipulateur ? Dès lors qu’une œuvre suscite l’attraction, c’est de croyance (aveugle) qu’il est question. Un questionnement que Jean-Hubert Gailliot s’applique à lui-même, reprenant les ingrédients des recettes dont il révèle quelques bribes au fil de notes tirées de réflexions des trois artistes tutélaires : Man Ray, Ezra Pound et Cy Twombly. Mais si riche et référencé qu’il puisse sembler au premier abord, Le Soleil est aussi un grand roman d’aventures et de formation, même tardive. L’on baisse alors la garde, quitte à parfois découvrir l’ampleur d’une supercherie grandiose, un peu tard, un peu penauds, mais en même temps totalement conquis par cette comète littéraire qui nous aura tant fait voyager en littérature. Fascinant.

Le Soleil
Jean-Hubert Gailliot
Éditions de L’Olivier
530 p. – 20,50 Euros

Last modified ondimanche, 26 octobre 2014 10:53 Read 2394 times

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