La palette et les mots

Chroniques

La tendance aux biopics, en cinéma comme en littérature, est à la mode. Découvrir la vie des personnalités, l'homme - ou la femme - dans le grand homme, est une source de curiosité quasi insatiable. Lorsqu'il s'agit d'artistes toutefois, le défi est grand de recourir à un autre art pour rendre compte de leurs talents. La littérature peut-elle être le vecteur de transmission du talent d'un peintre ? Ecrire la peinture, la mettre en mots, est-il souhaitable ? C'est le projet de Sophie Pujas avec Z.M., hommage tout en pudeur au peintre Zoran Music.

Est-il indispensable de  connaître la vie des artistes pour en apprécier l'œuvre ? Pas nécessairement. Ce serait ramener sans cesse de l'autobiographie là où il y a avant tout du talent et de la création. L'envers du décor - sur lequel tout amateur s'interroge naturellement - peut même décevoir par sa banalité ou son aspect conventionnel. Le mystère qui entoure la vie d'un artiste participe en effet souvent de son aura. Vouloir à tout prix analyser la trajectoire, détecter les marottes d'un artiste que l'on révère peut alors se révéler contre-productif. Il est néanmoins des cas où la biographie de l'artiste, de par les chocs radicaux qu'elle contient, est indissociable de l'évolution et de la trajectoire prise par une œuvre.

Dans de pareilles situations, lorsque le trauma se heurte autant qu'il nourrit et conditionne le travail, il serait vain, voire indécent, de prétendre rendre compte dans toute son ampleur du bouleversement produit. Mais lorsqu'une telle expérience participe visiblement d'un glissement artistique, une tentative, non pas d'explication mais de restitution, peut s'avérer justifiée dans la mesure où elle livrerait la clef d'une disruption dont elle serait la source, porteuse d'un impact irréversible sur la suite d'une carrière.

Représentation, figuration, transmission

Ainsi en va-t-il de Zoran Music, qui s'est longtemps concentré sur la peinture de paysages avant qu'il ne soit arrêté par la Gestapo et déporté à Dachau. Une expérience qui l'a évidemment hanté jusqu'à la fin de ses jours et l'a conduit - souci ou incapacité à oublier - , après un détour par le dessin et la figuration, à une abstraction toujours plus prononcée.

Pour évoquer cette trajectoire, c'est plutôt pour l'impressionnisme, voire le pointillisme, qu'opte Sophie Pujas. Par petites touches, au fil de paragraphes courts et chronologiques, elle retrace ainsi les moments-clefs de la vie du peintre. Depuis son enfance dans une petite ville aussi proche des montagnes slovènes que de la frontière italienne, jusqu'à son installation à Venise, en passant par ses voyages formateurs dans l'Europe méridionale, sa déportation ou encore son séjour parisien. Une forme qui renonce délibérément à l'exhaustivité et permet d'exclure tout voyeurisme, soulignant avec discrétion et sensibilité les moments fondateurs de sa vie, tant du point de vue de l'intime que du professionnel.

Ida Music, la veuve de Zoran, a tenu à préciser que Z.M. ne pouvait en aucun cas être considéré comme une biographie autorisée. On peut comprendre ses réticences face au risque de dévoilement de la vie d'un homme dont la réserve et le retrait étaient constitutifs de sa personnalité. Mais il est impératif de la rassurer et de constater que toute indécence est définitivement exclue. D'autant plus que tel n'était certainement pas le projet. Comme le précise J.B. Pontalis dans son avertissement : « la collection « L'un et l'autre » n'a jamais eu pour propos de publier des biographies, qu'elles soient « autorisées » ou non. Ce qu'elle attend de ses auteurs, c'est un portrait personnel de celui auquel ils souhaitent rendre hommage à leur manière, en toute liberté étant entendu que les données biographiques se doivent d'être conformes à la réalité. » Et c'est bien un magnifique hommage à ce peintre certainement insuffisamment connu qui demeure, une réflexion sur la façon dont la création aiguille, maintient et justifie une certaine forme d'existence, entre création et témoignage. Une invitation, enfin, à la nécessaire (re)découverte de ses œuvres.

Z.M.
Sophie Pujas

Éditions Gallimard, collection « L'un et l'autre »
122 p. - 17,90 €

Last modified onmercredi, 22 mai 2013 09:34 Read 2791 times

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