Un si petit monde

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Harvard-logoCampus, ton univers impitoyable… Bien longtemps que l’université inspire la littérature. En témoigne l’essor du « roman universitaire ». Profs et étudiants y constituent les deux faces d’un même miroir, aux moeurs bien spécifiques. Traversée.
Le foisonnement existentiel que constitue l’université est infini : professeurs, ils y consolident leur statut d’adulte plus ou moins responsable, découvrant souvent à leurs dépends les aléas d’une carrière rarement gratifiante. Etudiants, ils quittent le monde de l’adolescence tourmentée pour devenir de jeunes adultes désillusionnés. Pour la plupart, un moment clé de la vie, qu’ils n’oublieront jamais mais pas toujours pour de bonnes raisons. Que les romanciers aient fait du campus l’un de leur lieux de prédilection n’a donc rien de surprenant.
Oxford Circus
Côté pile, les enseignants et leur meilleur représentant, l’Anglais David Lodge et sa célèbre trilogie de Rummidge – Changement de décor /Un tout petit monde / Jeu de société. Sur deux décennies, il y dépeint avec férocité les petits arrangements entre amis, les luttes d’egos, et autres vilenies pour s’en moquer avec élégance : « C’était […] une des lois fondamentales du milieu universitaire : il était impossible d’être excessif lorsque l’on voulait flatter ses pairs. » Aux États-Unis, Richard Russo et son excellent Un rôle qui me convient, ou Perceval Everett dans Désert américain lui emboîtent le pas, décrivant avec la même ironie le microcosme universitaire dont les couloirs feutrés se révèlent bien plus féroces et sanglants que des arènes. On y assassine à coup de mots d’esprits en toute impunité et avec le sourire s’il-vous-plaît : nous sommes entre gens de bonne compagnie, ne l’oublions pas ! Au cœur des combats, la course à la publication, aux colloques, aux postes prestigieux, sources régulières de suicides sociaux pour les malheureux perdants finissant enterrés dans une université paumée du middle-ouest américain.
The faculty
Côté face, les étudiants. On quitte l’atmosphère compassée du corps enseignant pour la fièvre estudiantine, due autant au travail acharné qu’à la libido suractive des protagonistes. Le roman de campus devient alors roman d’apprentissage, avec des personnages construits sur une dualité envie/ frustration : il y a ceux qui intègrent les « fraternités » et ceux qui voudraient en être, les « in » et les « out », un système de castes très codifié qui reproduit en général celui opposant déjà footballeurs et geeks au lycée, cheerleaders et no ones.
Les Lois de l’attraction de Bret Easton Ellis en est une des meilleures illustrations, décrivant l’habituel cocktail d’excès (sexe et drogues) et la profonde noirceur d’une période pouvant se révéler très cruelle. Il y a aussi le très réussi Moi, Charlotte Simmons, de Tom Wolfe, ou les illusions perdues d’une provinciale croyant tomber dans le temple du savoir et se heurtant à sa réalité frivole où seul compte le niveau de popularité. Ou encore Délicieuses Pourritures de Joyce Carol Oates dans lequel un professeur de littérature commence un jeu très malsain avec ses élèves fascinées.
On aurait également pu parler de Philip Roth (La Tache…), J. M. Coetzee (Disgrâce), de Tom Perotta et son Professeur d’abstinence brocardant la pensée bien puritaine venant étouffer le savoir, etc. Finalement, qu’on l’appréhende d’un côté ou de l’autre, l’université se révèle le lieu d’agitations d’individus en qui chacun pourra reconnaître un frère ou un ennemi. ❙
Last modified onlundi, 22 août 2011 16:34 Read 2336 times

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