#0 - Du 20 f�vrier au 15 mars 2008

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Ecrire des images


Ecrire des images� Pour Ilan Duran Cohen, c�est dans la bo�te ! On avait aim� son film, La confusion des genres (2001) : une �uvre � part, sur les m�andres du d�sir et la difficult� d�aimer. Et dans Les Petits fils, film sorti en 2004, Duran Cohen faisait la part belle � la sensibilit� Ecrivain, r�alisateur : derri�re la plume de l�auteur, et sous la casquette du cin�aste, se cache une vraie nature enjou�e. On s�amuse alors � rapprocher l�art du roman et celui du long-m�trage, et on acc�de � la nature d�un artiste g�n�reux� A l�aube de la parution de son dernier roman, Face aux masses, l�auteur-sc�nariste-r�alisateur revient sur les m�canismes de son �criture et se confie, humblement et avec humour, sur les relations qui unissent forc�ment l��crit et l��cran. La litt�rature et le cin�ma, deux orientations d�un m�me d�sir ? A l�image ou sur le papier, peut-on tout �crire, tout montrer ? La r�ponse se trouverait-elle dans l�expression � film d�auteur � ? Eclairage et entretien, sans projecteurs�

Ecrire un roman, monter un film� Deux expressions diff�rentes d�une m�me volont� artistique ?

Pour moi, le sc�nario n�est pas une forme d�art� Ce n�est pas quelque chose de fini, c�est interm�diaire, c�est comme un plan pour faire un film. Le film, lui, est une forme d�art � si tant est qu�on arrive encore, aujourd�hui, � faire un film �artistique�, ou un �film d�auteur�. La vraie �criture, � partir du sc�nario, se fait surtout dans la mise en sc�ne, et dans le montage� Le sc�nario, ce n�est donc qu�un �l�ment technique du processus. Lors du tournage, les com�diens peuvent ensuite donner du relief � la phrase� Dans le roman, ce qui donne du relief, c�est le lecteur : avec toute son imagination, ses fantasmes, il se fait son propre film. Et finalement, le lecteur devient son propre metteur en sc�ne. Un roman ouvre beaucoup plus de champs � l�imagination !


L��criture du roman serait-elle bien plus satisfaisante que l��criture d�un script ?

Je me consid�re plus comme �crivain que comme cin�aste� Quand je mets en sc�ne, je sens bien que je ne suis ni Coppola ni Scorsese ! Ma force, je pense, est de savoir diriger les com�diens : et �a, bizarrement, je le tiens de l��criture des livres. Approfondir des personnages par la psychologie� Quand on �crit un livre, on a en t�te le lecteur � m�me si on n��crit pas pour lui. J��cris par n�cessit�, et non par obligation� Je ne fais d�ailleurs jamais rien de cr�atif par obligation. J�ai mis cinq ans pour r��crire un livre (depuis Mon cas personnel, sorti en 2002). Pour moi, sur le plan cr�atif, il est bien plus facile de faire un film que d��crire un bouquin : pour un film, vous vous entourez des meilleurs, c�est une �quipe. Et l�, vous vous retrouvez � face aux masses �� Dans l��criture d�un livre, je ne pars jamais d�une id�e � physique � ou visuelle d�une sc�ne. Je pars plut�t d�une envie d�exprimer quelque chose, d�un sentiment, d�une id�e. Dans Face aux masses, c��tait une envie d�exprimer un sentiment face � l��poque que je vis. Pour un film, je peux partir d�un personnage, d�une envie purement visuelle...

Dans le roman, vous faites preuve d�une grande libert� : jusqu�� critiquer, � travers l�humour, notre soci�t� pourrie de marketing� D�construire l��re de la consommation : un r�ve que vous nourrissez ?

Je pense que ce serait une utopie totale de vouloir la d�construire� La libert� de l��crivain, c�est de poser des questions, et de s�adresser � certains th�mes sans forc�ment vouloir tout casser. Je ne suis pas un homme politique ; ce qui est bien, c�est par exemple de mettre le doigt sur la consommation telle qu�elle est aujourd�hui et d�illustrer le tout de fa�on fictionnelle. Je suis moi-m�me un hyper-consommateur ! J�adore acheter, d�penser� L�espace du roman n�est pas un essai, ou un pamphlet politique. On a de plus en plus peur d��crire des romans qui ne soient pas dans la mouvance de ce que les gens pensent� Il ne faut pas avoir peur de la cr�ation. Et puis je suis tout sauf un activiste : j�aime simplement dire ce que j�aime et ce que je n�aime pas� D�ailleurs, en tant que r�alisateur, et si je sch�matise, c�est parfois un peu trop �a : on est assis dans un fauteuil et on dit � �a j�aime �, ou � �a, j�aime pas �. (Ilan Duran Cohen esquisse un grand sourire.) En gros, les meilleurs travaillent pour vous et vous, vous dirigez en disant oui ou non�


Dans Face aux masses, on est � la fois dans l�humour et la lucidit�. Vous d�finissez-vous comme un auteur engag� ?

Oui, le roman est engag�, mais encore faudrait-il que je sache moi-m�me vers quoi ! Mis � part vers l�ind�pendance, vers la libert� de s�exprimer et de cr�er� Le grand enjeu d�aujourd�hui se joue d�ailleurs l�-dessus : car comment arriver � exister, � s�exprimer pleinement face aux choix des � masses � ? Face � l�opinion ? Je suis engag� l�-dessus : car tout ce qui est intellectuel et cr�atif est trop souvent suspect, et donc marginal. On se retrouve ensuite avec tout ce qui est fait pour plaire � la masse : alors que non, la masse n�a pas forc�ment raison. Dans le cin�ma, c�est s�r qu�il faut plaire aux masses : le cin�ma, c�est le risque z�ro. Alors que le roman ne co�te rien, le cin�ma co�te hyper-cher. Heureusement, gr�ce � l��criture, je sais tendre vers des films qui ne co�tent pas tr�s cher� J�ai donc une libert� d�expression. De toute fa�on, je ne souhaite pas faire un transfert vers un grand cin�ma public et multiplex. Ce n�est pas quelque chose que je sais faire.


Dans le roman, le personnage du jeune stagiaire, Jonquille, est un peu comme le symbole d�une jeunesse d�senchant�e� Et si l�on prend l�un de vos films, La Confusion des genres, on trouve aussi des personnages qui sont comme atterr�s par la vie�

Jonquille, c�est la jeunesse qui ne veut pas perdre face, qui a peur de se tromper, qui ne s�engage pas, ou qui s�engage sur des questions de l�ordre de : � Est-ce que j�appartiens � la masse ? Est-ce que je suis � l�ext�rieur de tout �a ? � Il se complait dans le doute, l�androgynie, la passivit� (Un silence.) Mais c�est vrai, je pense �tre tr�s tr�s proche de Jonquille. C�est aussi une constante dans tous mes bouquins : je d�plore que tout doive �tre d�fini, class� et rang� dans un tiroir� Mes personnages sont toujours un peu en marge de la d�finition. Avec le recul, c�est ce qu�il y a de commun � mon � �uvre � (petite grimace d�humilit�). Mes personnages ne sont pas vraiment � atterr�s �, peut-�tre sont-ils surtout d�pass�s� Ils n�y arrivent pas, quoi, malgr� leur bonne volont� ! Ils ne savent pas par quel bout prendre la vie, ni comment s�engager� Ils font toujours tout de travers. Ce sont des dyslexiques existentiels� Mais bon, ils font des efforts.

Dans Face aux masses et dans La Confusion des genres, les r�pliques font mouche : l�art du dialogue est-il majeur ?

C�est un travail sur le rythme et les sonorit�s� Le dialogue, ce n�est que de la sonorit� et du rythme. Cela doit �tre tr�s proche de la r�alit� telle que je l�entends dans la vie. L�art du dialogue, c�est le plus difficile. Je ne cherche pas � plaire : ni au lecteur, ni au spectateur. Il faut que �a me plaise � moi, comme quelqu�un qui composerait une musique. Je cherche la justesse, et le sens de la justesse, tout le monde l�a. La question n�est pas de se mettre � la place du lecteur, mais de savoir interagir avec quelqu�un en face� La difficult�, c�est de ne pas �crire des machins lisses et d�biles qui serviraient � communiquer avec tout le monde !


Quelques mots sur le d�sir� D�sir frustr�, d�sir frustrant, de toutes les orientations sexuelles : dans votre �uvre, il est partout !

Chez moi, � l�image, le d�sir est toujours tr�s cru. Sur le papier, il est beaucoup plus subtil, moins frontal, plus intimiste. Moins dans la souffrance, aussi : quand je passe � l��cran, visuellement, c�est moins charnel et plus � dans l�obligation de �. Dans les livres, le d�sir est beaucoup plus� jouissif. Quand on �crit, on reste dans le fantasme. A l��cran, finalement, on ne fait que montrer�


Sur le tournage des Petits fils, vous avez compl�tement r�unifi� l��criture du roman et celle du sc�nario. Sur ce film, vous avez m�me �voqu� le fait � d��crire des images � !

A cette �poque, je voulais �crire un bouquin et je n�y arrivais pas. Je n�avais pas envie. Mais je voulais faire un film, aussi, et j�avais une histoire, il y avait un sc�nario. J�ai tourn� pour la premi�re fois en cam�ra DV, et �a m�a permis de tourner en permanence, sans avoir le carcan du sc�nario initial que l�on doit mettre en images� J��crivais aussi pendant que je tournais ! Je soufflais aux com�diens des phrases � dire, des choses s�ajoutaient� L�exp�rience a �t� tr�s lib�ratrice par rapport au processus de mise en sc�ne. Pour les deux films qui ont suivi, j�ai beaucoup plus appliqu� ce que j�ai appris en faisant Les Petits fils qu�en faisant La Confusion des genres, qui �tait plus acad�mique, finalement. Pour Les Petits fils, il y avait cette grand-m�re et son petits fils, et ils �taient tellement fabuleux, tellement beaux� C�est vrai que j�aurais pu en faire un bouquin ! Mais ils �taient tellement dramatiques visuellement que �a ne pouvait appartenir qu�au film de fiction.


Et si vous deviez faire le � pitch � de votre dernier film, Le plaisir de chanter, dont le tournage s�est achev� cet �t� ?

C�est une com�die d�espionnage, sur fond de troisi�me guerre mondiale, o� les corps, les �mes, et surtout les voix, se d�brident� (Grand �clat de rires) �a, c�est du pitch ! �a me ressemble !


Face aux masses le 4 janvier 2008, chez Actes sud.

Propos recueillis par Julien Canaux


 
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