#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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L�homme que l�on prenait pour Jo�l Egloff


Lorsque l�on rencontre Jo�l Egloff, on se retrouve face � Mon Oncle de Jacques Tati, le chapeau et la pipe en moins. Trop grand, trop gentil, trop timide, Jo�l Egloff parle comme il �crit, tout en retenue et d�licatesse, sans se d�partir d�un l�ger sourire et de son am�nit�.
Il est de ces personnages qui semblent se fondre dans le paysage et qui pourtant marquent durablement leur �poque. Laur�at du Prix du Livre Inter en 2005 pour son roman, L��tourdissement, il a su se concilier un lectorat de fid�les qui suivent son travail avec attention. Dans son dernier roman, L�homme que l�on prenait pour un autre, il brosse avec humour, tendresse et gravit� le portrait d�un homme dont la particularit� est d��tre toujours pris pour un autre, au d�triment de ce qu�il est. Exercice litt�raire ou roman m�taphysique ?


Lorsqu�on lit votre livre, on ne sait pas vraiment qui est le h�ros. Peut-on savoir qui est l�auteur ?

L�auteur est malgr� tout assez proche du narrateur. Disons que l�auteur, � l�image de son h�ros, se cherche. Je suis un peu moins perdu, enfin, je l�esp�re, mais je n�en suis pas s�r. Ce qui �tait int�ressant, c��tait de d�finir un personnage. Le jeu �tait de dire qu�il s�agit de tout le monde et personne � la fois. J�avais en t�te l�id�e que les identit�s du narrateur allaient �tre fluctuantes au gr� des rencontres�

Donc on ne saura pas qui est l�auteur�.

Oui, c�est vrai que j�esquive un peu la question. Il faudrait beaucoup de temps pour d�finir qui est l�auteur. Je ne sais pas vraiment�

Cela vous est arriv� souvent d��tre pris pour un autre ?

Pas forc�ment. Ce qui m�arrive, c�est le sentiment troublant de penser reconna�tre un visage, de rencontrer des gens que je ne connais pas tout en ressentant une �motion qui n�a pas lieu d��tre.

A un moment du r�cit, le h�ros se trompe de porte et de vie. Il y a chez vous un questionnement sur les choix possibles de l�existence ?

Oui, malgr� tout, mais jamais aussi fort que sous cette forme l�. � Qui suis-je ? � est une question que je me pose souvent. Mais cela n�est pas forc�ment une remise en question des chemins que j�ai pu choisir. L�, en l�occurrence, c�est un personnage qui ne s�est pas trouv�, qui ne sait pas qui il est. Donc il se cherche en partant de quasiment rien. Les questions de l�identit� me pr�occupent : Quelle est ma place ? Est-ce que je me connais vraiment ? Est-ce que j�existe ? Qu�est ce qui fait qu�on est ce qu�on est ? A quel point existe-on � travers le regard des autres ? Qui me conna�t vraiment �?

On peut parler de roman m�taphysique ?

Oui, en toile de fond.

Est-ce un roman qui d�nonce une soci�t� format�e o� nous sommes tous semblables et sans identit� ?

Oui. R�ussir � s�affirmer en tant qu��tre singulier est difficile. Du moins, cela est valable si l�on place le livre dans un contexte contemporain. C�est un vrai challenge.

Le h�ros a tout de m�me des singularit�s, notamment � travers le personnage de sa grand-m�re.

En fait, lui-m�me ne sait pas vraiment qui elle est. Probablement une grande-tante, il finit m�me par se demander si ce n�est pas sa m�re. Ce personnage est le seul � le reconna�tre pour ce qu�il est, qui lui donne sa vraie personnalit�. C�est quelqu�un qui va l�ancrer dans la r�alit�, qui est vraiment une bou�e pour lui. M�me en attendant le d�barquement des am�ricains plus de cinquante ans apr�s les faits, elle sait qui il est. Ce sera � partir du moment o� elle ne le reconna�tra plus qu�il perdra pied dans la r�alit�. C�est un moment clef du roman.

Humour noir, absurde et fragilit� de l��tre. C�est votre trilogie gagnante ?

En tout cas, c�est ma mani�re de voir les choses, le filtre � travers lequel je per�ois le monde. L�humour est un excellent moyen d�aborder certains th�mes avec distance. C�est aussi une mani�re de se d�fendre, la seule peut-�tre, de r�sister au dramatique. Mais tout cela est vraiment instinctif. Quand je commence un livre je ne sais pas trop quelle va �tre sa couleur. En fait, c�est toujours la m�me approche car c�est toujours le m�me auteur.

Apr�s relecture, vous avez pens� que c��tait un livre triste ou un livre dr�le ?

Je me suis rendu compte qu�il y avait des passages o� l�on pouvait rire. En m�me temps, je suis content quand mes lecteurs me disent avoir �t� tristes, troubl�s ou atteints. Il est important que les deux aspects coexistent. C�est une alternance gai/sombre qui me correspond bien et qui renvoit �galement � la vie de tous les jours. Si quelqu�un me dit qu�il a per�u cet �quilibre l�, je suis pleinement satisfait.

C�est une probl�matique importante pour vous le poids de la fatalit�, � l��tourdissement � de la vie ?

Je ne saurais pas vraiment dire. Dans le contexte du livre, on est entre la r�signation supr�me et l��lan vers une nouvelle vie. Je n�ai pas tranch�. Ce que je sais, c�est qu�il y a perte compl�te d�identit�. Pour en trouver une autre ? Je ne sais pas. Comme dans
L��tourdissement, les choses ne se finissent pas.

Il y a dans vos livres un attachement aux � gentils �, ces doux dingues qui rappellent M. Hulot. C�est une r�elle influence ?

On ne sait pas quelles sont vraiment nos influences mais il est certain que j�aime beaucoup Tati. Je sui r�ceptif � ce genre d�univers mais aussi � des choses plus dures comme Beckett ou C�line. C�est comme si ces deux aspects l� coexistaient en moi et s�ext�riorisaient � travers mes romans.

Le prix inter, �a change la fa�on d��crire et de voir les choses ?

J�esp�re que non. Il ne faudrait pas en tout cas. Ca donne une �nergie, une confiance. C�est �videmment tr�s bienvenue � tous points de vue. L�id�al serait que �a n�influence en rien le parcours de l��criture. Le temps a pass� entre le moment o� j�ai re�u le prix et le moment o� j�ai commenc� l��criture de ce livre. Je pense qu�il n�aurait pas fallu �crire dans les six mois qui ont suivi le prix.

Une question que je n�ai pas pos�e � laquelle vous voudriez r�pondre ?

J��cris directement � l�ordinateur.

Propos recueillis par Maixent Puglesi

L�homme que l�on prenait pour un autre, Joel Egloff, Buchet Chastel

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