#101 - Du 25 juillet au 20 ao�t 2007

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Marc-�douard Nabe � La culture fran�aise, c�est la peur du verbe �


Alors que s�ouvre le Salon du Livre, grand raout annuel du
monde des Lettres, Zone Litt�raire donne la parole � un �crivain
en rupture avec le milieu fran�ais de la culture, Marc-�douard
Nabe, dont Le Dilettante r��dite cette ann�e le premier livre,
Au R�gal des vermines. En r�ponse � la c�lebration de la
francophonie, celui qui dit adorer la langue fran�aise bl�me la
� conception �triqu�e qu�en a l�esprit fran�ais �. Il regrette le peu de consid�ration que la France a pour les �crivains
�trangers, grande part de son panth�on personnel, et revendique depuis ses d�buts la jouissance du Verbe, une transgression sociale dont � la France a toujours eu peur �.

Ce rare d�sir de libert�, assouvi sans r�serve, est peut-�tre la raison du peu de cas que le � milieu litt�raire � a fait de ses vingt sept livres, qui d�ploient tous une langue d�cha�n�e, inventive et exalt�e comme on en lit peu. Et les r�ticences
g�n�es ne se font pas attendre. Publi� en 1985, Au R�gal des vermines dressait d�j� un proc�s-verbal implacable : � quand je me suis vu m�ticuleusement refermer toutes les portes, j�ai bien d� me rendre � l��vidence : Rimbaud est un vieillard �. Dans ce premier jet enthousiaste et vindicatif, Marc-�douard Nabe n�aspirait qu�� deux choses : l�Art et la libert� du cr�ateur. En plein c�ur des tr�s molles ann�es 1980, il fustigeait l�officialisation des grands artistes disparus, le d�voiement de leurs r�voltes par la culture de masse et refusait cat�goriquement la doctrine impos�e de � la mort de l�Art �.

Et qu�on lui parle d�art, il pr�tend savoir de quoi il retourne. Con�u, n� et �lev� dans le jazz, musique dont on ne chantera jamais assez les belles r�volutions, guitariste lui m�me et peintre ch�rissant la couleur, il a choisi de vivre d��criture pour plonger dans le r��l et y ramener de la v�rit�. Un Idiot Dosto�evskien habit� par un swing dr�le et tragique, dont la carri�re lanc�e avec fracas fut jalonn�e d�incompr�hension et de d�nigrement dans une soci�t� fran�aise aspirant au conformisme social et culturel. Vingt ans plus tard, le constat qu�il d�veloppe dans une grande pr�face � la nouvelle �dition du R�gal est amer. Il a toujours trouv� l�amiti� parmi les artistes, dont Michel Houellebecq, et les inimiti�s chez les �diteurs historiques et les journalistes de masse. Des prises de position parfois radicales lui ont valu des proc�s, il a subi les qualificatifs humiliants, il perd aujourd�hui son �diteur, Le Rocher. Alors qu�on sorte un magn�tophone, il sort le sien, par souci de la preuve. Entretien avec un �crivain volubile, activiste virevoltant d�une seule cause : le pr�sent et sa joie !


Propos recueillis par Marc Delaunay et Laurent Simon

Le Salon du livre prend des airs de sommet de la
francophonie. Il y a d�j� le patronage de Chirac, il ne manque
que les chefs d��tat africains. Ca vous agace ?


Non. Le salon du livre ce n�est que de la Culture, c�est tout � fait
la place d'un pr�sident de la R�publique, mais ce n�est pas la
mienne. Je n�ai pas � �tre au milieu des gens de lettres, � mon
tour de les boycotter ! La derni�re fois que j�y suis all�, on m�a
jet� une coupe de champagne � la figure. C'a �t� admirable et
symbolique : en me rebaptisant ainsi, sainte Josyane Savigneau
[ancienne r�dactrice en chef du Monde des Livres, ndlr] voulait
me dire � vous n�avez rien � faire ici �. Je l�ai entendu autrement
: � vous m�ritez mieux que ce petit monde l� �� Ce n�est pas
parce que j��cris des livres que je dois fr�quenter le milieu
litt�raire. C�est une tentation � laquelle succombent la plupart de
mes coll�gues. M�me les plus "rebelles". Finalement, c�est
comme quand on a des enfants : il y a une esp�ce de
communaut� de parents d��l�ves qui se met en place de
mani�re tout � fait insidieuse. Ca commence le premier jour
d��cole, il se cr�e une connivence, puis une fr�quentation, voire
une amiti�. C�est � ce moment l� que j�ai pris les jambes � mon
cou. C�est le m�me principe avec le milieu, tout aussi infantile,
des Lettres. Les �crivains, parce qu'ils publient, se croient
oblig�s de fr�quenter d'autres �crivains, et aussi des �diteurs et
des journalistes. Et en plus c'est int�ress�, car ils misent sur
les journaux dans lesquels ils pigent pour qu'ils leur fassent
des articles quand ils sortiront leurs navets. Voil� pourquoi
quelqu'un qui ne n'entretient pas son r�seau entre deux romans
peut �tre s�r que la presse et les m�dias passeront les sien �
l'as.

Faut il aller chercher la litt�rature dans la francophonie ou
carr�ment � l��tranger ?

Personnellement, mes influences sont tr�s peu fran�aises.
M�me s�il y a quelques �crivains de " l�Hexagone " parmi elles,
c�est une garde qui cache toute une arm�e. Derri�re L�on Bloy,
Suares ou Celine, il y a Strindberg, DH Lawrence, les fr�res
Powys, Thomas Wolfe, Malaparte, Gogol, Gadda, Lezama
Lima� des auteurs compl�tement n�glig�s. Sans parler de
Kafka ou Dosto�evski que les "lettr�s" fran�ais font semblant
d'appr�cier pour de mauvaises raisons. Ce sont eux mes vrais
ma�tres dans l��criture, dans la fa�on de concevoir une oeuvre.
Ils ont explor� d�autres terres beaucoup plus int�ressantes que
celle de la culture frenchy. J�adore la langue fran�aise mais je
ne veux pas appartenir � la culture fran�aise. L�id�ologie
fran�aise me d�becte.

Qu�est ce que cette fameuse id�ologie fran�aise ?
L�esprit fran�ais est horrible, on s�en est toujours plaint. Il a une
conception tellement �triqu�e de la langue. Nous autres
�crivains fran�ais lyriques d�inspiration �trang�re, avons
toujours souffert des id�es, de l�id�ologie, de la politique -au
sens le plus restreint- qui encombrent et emp�chent d�atteindre
le Verbe ! La France est un pays qui est contre le Verbe. Voil�,
c�est tout, et elle adore le dire dans un blabla explicatif
d�testable !


Ca se complique pour les �crivains, dans ce cas . La culture
est de leur c�t� mais le Verbe les fuit. Quel est leur r�le,
finalement ?

Un �crivain n�est pas un acteur, il ne joue donc pas. M�me le
r�le du refoul� que je suis pourtant, je ne veux pas l�endosser.
Moi j'�cris la pi�ce, je ne joue pas dedans. Je suis un inventeur
de formes, un transgresseur de celles qui existent. Mes
po�mes, mes romans, mes aphorismes n�en sont pas. Je ne
veux pas de romans comme les lecteurs traditionnels du roman
l�entendent. Voil� pourquoi les miens ne sont pas encore
compris. Il faut casser tous les clich�s qu�ils soient classiques
ou avant-gardiste. Il y a un dogme de la narration pour les
journalistes ou les amateurs de litt�rature auquel on ne peut
opposer aucun blasph�me. Je ne suis ni un romancier pompier
qui n'a rien � dire, ni un avant-gardiste qui cache qu�il ne sait
pas raconter une histoire.


En vingt ans de vie �ditoriale, depuis la sortie d�Au r�gal
des vermines
jusqu�� sa r��dition, peut on dire que vous
avez r�ussi dans la subversion ?

� De d�faite en d�faite jusqu�� la victoire �, disait Mao Tse
toung. On pourrait �galement citer Napol�on : � Quand on
regarde une victoire dans le d�tail, on en voit qu'une succession
de d�faites � ! Etre un �crivain subversif -comme vous dites-
�tait un r�ve d�enfant. Au R�gal des vermines �tait le livre de
mes vingt ans et j�ai mis cinq ans � trouver un �diteur : Bernard
Barrault. Ca n�a pas �t� facile.

Est-ce que vous aviez envisag� ces difficult�s au d�part
?

Oui, inconsciemment, mais il faut un certain niveau
d�inconscience pour pouvoir le faire. Comme un sportif qui saute
pour la premi�re fois en parachute. Les pr�occupations
concr�tes de rendre r�alisable l�entreprise prennent le pas sur
la peur ou le fantasme.

Y avait il une volont� de bousculer la soci�t� ?
C�est ce qu'a toujours voulu faire tout artiste. Un �crivain ne doit
pas, � chaque phrase, essayer de bourrer ses contemporains
de somnif�res mais au contraire de les r�veiller. On peut le faire
avec des baisers, d�autres leur foutent des baffes. Je ne trouve
pas la soci�t� assez belle pour la r�veiller � coups de baisers�
Ayant �t� refoul� et l��tant toujours, ce serait du �
schpountzisme � de croire que j�ai eu une influence r�elle sur la
soci�t� d�aujourd�hui !


Un espace n�est il en train de se cr�er � la suite de
Houellebecq ou de Dantec. La parole allou�e � l��crivain n�est
elle pas plus libre maintenant ?

La r�ponse supr�me oppos�e � l��crit, c'est le silence. La mise
� l��cart, la r�duction de la parole de l��crivain est la seule
preuve que celui-l� est libre. En poussant un peu, on pourrait
dire, et �a m'int�resse de plus en plus, que celui qui arrive �
s'exprimer n'est pas libre de le faire� On essaie de transformer
des petits scandaleux en subversifs, qui, finalement collent tr�s
bien � leur �poque. Ils sont rang�s plut�t que d�rangeants.
Demandez-leur plut�t � eux, on vient toujours me voir pour parler
d'eux, mais eux se gardent bien de parler de moi, ils se
comportent � mon �gard comme les officiels qui soi-disant les
accusent de tous les maux. Quant � l�espace de libert� dont
vous parlez, mon exemple montre que cela est faux. Au moment
o� l�un est accept� et devient une institution litt�raire et l�autre
retrouve un �diteur pour son journal intime, moi c�est le
contraire: je n�ai plus d��diteur, on me coupe les vivres et on
m�emp�cherait de publier mon propre journal intime si je n'avais
pas eu la bonne id�e pr�monitoire de l'interrompre il y a
quelques ann�es� Je suis donc oblig� de r��diter mon
premier livre, �puis� depuis vingt ans, qui n�avait pas �t� lu par
toute une g�n�ration. Le seul crit�re du d�rangement est la
mise sous silence, � toute �poque. On vous refoule. La petite
m�diatisation qui a eu lieu autour de mon livre n�est l� que pour
�viter que je me plaigne d��tre ostracis�. Une petite �mission de
t�l�, une petite �mission de radio, un petit article, c'est toujours
utile pour me discr�diter quand je remarque qu�on ne parle pas
assez de mes livres pour qu'ils se vendent, et donc pour que je
puisse en �crire d'autres�

C�est une conspiration ?
Non, je l�ai d�j� dit: je ne crois pas � l�existence d�un complot.
C'est plut�t une mode � l'envers: c'est dans l'air du temps de me
d�brancher. Gogol se d�pla�ait toujours avec une valise remplie
des articles n�gatifs �crits sur lui. Cela lui permettait de lutter
contre la parano�a et d�exorciser la douleur de tra�ner �a dans sa
t�te tout le temps. C��tait sa valise de merdes, sa poubelle avec
qui il sortait toujours. Il la mettait sous les tables et pouvait
penser � autre choses. C��tait une mani�re de se dire qu�il ne
r�vait pas cette hostilit� et en m�me temps de s�en lib�rer.

Y-a-t-il toujours une mainmise soixante-huitarde sur la
culture ?

Je crois avoir �t� le premier, d�j� en 1985 � la d�noncer. Il fallait
dire non � cette fausse libert�, � cette fausse r�volte, cette
fausse subversion qui �tait la trahison des id�aux libertaires
des ann�es 60 par des bourgeois " de gauche " d�sireux de
remplacer ceux " de droite ".

La France est elle gav�e d�Art et de litt�rature, au point d�en
�tre blas�e et de la n�gliger ?

Non, le vrai probl�me est la carence d�Art. Il y a une ignorance
fondamentale de ce qu�est une oeuvre d�Art depuis une
soixantaine d�ann�es. J�ai v�cu dans l�Art depuis toujours et je
veux le d�fendre. A mon sens, m�me un militantisme de l�Art ne
serait pas suffisant. C�est crucial de lutter contre sa pr�tendue
mort inculqu�e comme une Loi depuis Marcel Duchamp.
Lui-m�me a d�ailleurs �t� mal compris : Duchamp n��tait pas
contre l�Art, il �tait contre la � culturisation � de l�art, sa
r�cup�ration par les parasites cultureux. Il swinguait autant que
Duke Ellington, dont il �tait contemporain. La confusion qu�on
entretient entre la culture et l�Art, entre le beau et le joli, entre le
social et le r�volutionnaire, tout cela fait qu�on n�a plus le sens
de ce qu�est une oeuvre.

Vous vous mettez en sc�ne de fa�on tr�s exhaustive dans
toute votre �uvre. Est ce pour atteindre l�ultime subjectivit� ou
l�ultime objectivit� ?

Je suis extr�mement objectif. Mon exp�rience personnelles des
artistes et celle que m�a rapport� mon p�re, de la bouche m�me
des g�nies du jazz qu'il a fr�quent�s � New York au milieu des
ann�es 50, est que le grand art n'est qu'objectivit�. Une seule
note � jouer dans telle ou telle circonstance. Miles Davis n�est
que le concr�tisateur objectif d'une �vidence qui se pr�sente. Il y
a sur chaque �v�nement une seule chose � dire, m�me si
certains ont peur de le faire. C�est pour cette raison que je me
sens souvent oblig� de le faire puisque les autres ne s'y collent
pas. Ce n�est pas mon go�t qui est en jeu. Je passe pour un
provocateur subjectif, alors que je suis un "d�gageur de sens"
objectif.

Pour aller vers plus d�objectivit�, la science est r�cemment
venue au secours du roman en France. Cette voie est elle la
bonne ?

Je ne crois pas. Moi je suis dans le pr�sent et sa transfiguration.
C�est la d�finition parfaite de l�improvisation jazzistique. La
transfiguration implique la mystique de l�instant et
l�improvisation qui en d�coule, qui en d�pend. C�est la joie de
mourir plut�t que la joie de vivre qui est pr�sente chez la plupart
de mes coll�gues. Voil� pourquoi ils se r�fugient dans un futur
qui est d'autant plus facile � imaginer qu�il n�arrivera pas. Ils se
tromperont et ils se trompent d�j�. Je prends toujours l�exemple
de Robida [illustrateur de Jules Verne, ndlr] qui a imagin� des
v�los volants dans Paris � l'an 2000, mais pas des t�l�phones
portables !

Le suc de l��uvre est donc la mystique et rien que la
mystique, pour vous.

Oui, m�me Marcel Duchamp, pour y revenir, �tait un mystique. Il
n��tait pas un nihiliste mais un mystique du rien. Le ready-made
est une �uvre totalement mystique. On prend un objet et on le
sacre. On l'entoure d' une liturgie. Marcel a pris un
porte-bouteilles du BHV " au hasard" et en a fait un calice, un
tabernacle. Ceux qui suivent Duchamp en d�sacralisent au
contraire l�objet d�naturent sa subversion.

Houellebecq fait partie de ces grands � d�sacralisateurs �.
Dans votre pr�face, vous vous d�clarez �tre � ses antipodes,
mais vous avez pourtant tellement de points communs�

D�j� topographiques, puisqu�on �tait voisins. Moi qui ai des
difficult�s � gagner ma vie aujourd'hui, je crois que je vais finir
guide de cour d'immeuble ! Je vais me faire payer pour faire
visiter aux fans du Prix Interalli� 2005 l�endroit o� a v�cu le grand
Michel !

Vous le revoyez ?
Non, mais on se parle � travers nos livres, celui-l� en particulier,
Le Vingt-septi�me livre� C�est le seul �crivain � qui j�ai eu envie
de parler aujourd�hui sans avoir besoin de se t�l�phoner. Il est
int�ressant de voir que l��poque a produit deux �crivains si
diff�rents qui habitaient juste � c�t�. L�analyse n�avait jamais �t�
faite, je me suis permis de la faire.

Est-ce que vous allez continuer � �crire, est-ce que vous
avez encore envie ?

Ah oui ! Toute ma vie, j�aurais envie d��crire. Ce n'est pas une
question d'envie, mais de possibilit� �ditoriale. Tant que je ne
retrouverai pas la libert� que j'avais de publier ce que j'ai �
�crire, je ne pourrais pas avancer. Il y a certaines choses qui ne
peuvent pas �tre dites clairement aujourd'hui, et moi je ne veux
pas accepter de les dire d'une fa�on plus obscure pour
m'adapter � l'�dition fran�aise! Prenons comme signe que tout
ce que j'aurais � dire sur les manifestatins d'aujourd'hui, vous
m�me sur internet vous ne pouvez pas les mettre en ligne car
mon d�go�t pour les jeunes anti- CPE et ma d�testation des
vieux pro-CPE sont irrecevables. A peine si vous me laissez dire
que je suis du c�t� des casseurs qui sauvent l'honneur de ces
�tudiants luttant pour plus de s�curit�, en massacrant la
Sorbonne comme l'autre soir. P�guy aurait �t� fier d�eux. Je suis
oblig� de remarquer que la violence qui s�exprime aujourd�hui
en France co�ncide avec la r��dition de mon premier livre. Au
r�gal des vermines devrait �tre dans la poche de tous les
casseurs !�

Propos recueillis par Laurent Simon


 
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