Portrait de François Rivière

Portraits
L’impasse est pavée, l’immeuble est calme et les quelques piles de livres sur le palier annoncent un homme boulimique de lettres. Biographe, essayiste, romancier, auteur de bandes dessinées, collaborateur à Libération, François Rivière ouvre la porte. Derrière elle, des bibliothèques débordantes, mais aussi des revues (le dernier Vanity Fair traîne sur le canapé) et quelques disques (la bande originale de Mulholland Drive sur la sono). François Rivière, la cinquantaine et des poussières, s’abreuve à la source des arts. Pour avoir écrit une petite série de policiers, on pourrait trouver dans ses murs tous les indices d’une curiosité de "détective", mais ce serait ne pas avoir compris le moteur de l’écrivain. Car s’il occupe la responsabilité de conseiller littéraire aux éditions du Masque, Rivière réprouve l'hermétisme de la critique littéraire à propos des polars, avouant avoir "pris un risque en étant dans le mauvais genre". Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir signer quelques romans "purs" (Fabriques, Profanations ou Tabou, au Seuil). Un malentendu qui ne fait que rappeler celui qu’a connu tout au long de sa carrière Mary Patricia Plangman, alias Patricia Highsmith. La ressemblance n’est pas fortuite : il vient de faire paraître la première biographie de cette texane sauvage et travailleuse.

Née en 1921, le parcours de cette dernière commence aux côtés de Truman Capote. Admirant la description de son collègue (De sang froid), elle en devient l’amie. Elle s’installe à New York, et ne tarde pas à publier une nouvelle, L’Héroïne, dans la revue branchée Harper’s Bazaar. Elle a 23 ans. Ses accointances avec la peinture (elle-même pensa un temps faire carrière dans le dessin), les nuits new-yorkaises et les esthètes de tout poil nourrissent son apprentissage de la liberté ; à l’opposé de son enfance puritaine qui ne cessera pourtant de la hanter. S’ensuit une vie faite d’Europe, de lectures (Poe, Dostoïevski, James ou Wilde). Ses droits de L’Inconnu du Nord-Express (1950) sont rachetés par Hitchkock, on traduit ses romans à l’étranger et l’écrivain jusqu’alors « fauché et dévoré d’ambition » se frottera maintes fois les yeux pour croire, oui croire, aux adoubements des plus grands, à l’exemple de Graham Greene. Ce dernier préfacera son premier recueil de nouvelles, L’Amateur d’escargots : « Patricia Highsmith est la poétesse de l’appréhension plutôt que de la peur ». Voilà ce qu’il fallait : le discernement d’un écrivain, un grand, pour ne pas réduire les livres de cette future alcoolique (Les Eaux dérobées, Le Meurtrier, Ce mal étrange ou Le Cri du hibou) à de simples romans noirs. A l’appui de sa correspondance inédite avec son éditeur français de l’époque, Rivière décrypte la pente d'Un long et merveilleux suicide que Highsmith n'a cessé de suivre. En résulte une épopée riche que François Rivière raccorde à cette phrase gigantesque de Tennesse Williams : "Nous ne serons jamais heureux, mais nous aurons une vie passionnante." Pour ne faire que précipiter davantage la fin de Patricia, les déboires surviendront et l’auteur vivra, pour reprendre les mots de Rivière, assis derrière son bureau en bois foncé, "l’exil dans l’exil".

Il est bientôt treize heures et la plaque Rue Jean Cocteau accolée au frigo n’a pas bougé. Léger silence pour compléter quelques notes. La voix de François Rivière reprend : " La solitude est une chose que les écrivains ont besoin de se fabriquer". Highsmith, elle, créé son célèbre personnage de Ripley qui occupera, avec l’alcool, son "ennui et sa tristesse". A la croisée de James Dean et de Capote, Tom Ripley sera sublimé par le grand écran. Highsmith, une fois de plus, est adaptée au cinéma par René Clément qui tournera Plein Soleil avec Alain Delon et Maurice Ronet. La page et les strass se maintiendront malgré tout à distance. "Si elle avait gardé sa confiance littéraire des débuts, elle aurait pu avoir un itinéraire proche de celui de Françoise Sagan, mais un océan les sépare", observe Rivière. Deux cultures différentes. Et même si Highsmith s’est réjouie des mondanités et du style ampoulé et clinquant de Marguerite Yourcenar, son milieu modeste n’a eu de cesse de revenir à la charge. Elle vécut "le monde comme une menace permanente", précise le biographe, "avec une contradiction très forte entre son mode de vie et son attitude littéraire".

L’aventure n’en reste pas moins passionnante, et, sous la plume de l'écrivain parisien, étonnamment accessible aux non-initiés. François et Patricia ont fouillé (et pour l’un, fouille encore) l’espace vacant entre le roman noir et le roman tout court. Puisque pour tous deux, dixit Highsmith, "les romans policiers [les] ennuient", attardons-nous un peu là où il y a, semble-t-il, littérature. Un long et merveilleux suicide est une somme romanesque plus qu’une accumulation de dates. Il y a "regard", comme l’annonce le sous-titre. Un regard retravaillé par l'écrivain-journaliste qui l'a connue. Car le plus beau, dans cette histoire, c’est que les deux personnages se sont croisés à plusieurs reprises.


Avant de partir, le maître de maison sort de sa bibliothèque quelques exemplaires signés par la défunte. Une écriture petite, haletante et perturbée. Une écriture que Rivière scrute encore avec soin pour que vivent encore un peu de style, d’audace et d’anglophilie.


Un long et merveilleux suicide, François Rivière
Calmann-Lévy, 266 pages, 17,2 €



Par Ariel Kenig

Ariel Kenig


François Rivière
Ed. Calmann-Lévy
266 p / 17 €
ISBN: 270213369X
Last modified onsamedi, 16 mai 2009 16:33 Read 8285 times