Tristan Garcia
Tristan Garcia (c) Laurent Simon

La fuite de Saint-Germain

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Tristan Garcia est un bon écrivain mais n’est pas un écrivain mondain. En revanche, c’est un bon écrivain. Déjà dit ? Constatez-le maintenant. Rencontre.

Il doit y avoir un malentendu: après un prix de Flore pour saluer son entrée en littérature avec La meilleure part des hommes en 2008, un roman taillé pour les arrondissements à un chiffre de la capitale, on s’attendait à retrouver Garcia au Flore, justement, en train de siroter le verre de Pouilly-Fumé offert à tous les gagnants, les yeux jointés après une soirée Chez Castel ou un aftershow Hedi Slimane. Que dalle. Malgré ce roman évènement sur les années Sida et les guerres de tranchées gay, quand la liberté menant le peuple homo était incarnée par Didier Lestrade ou Guillaume Dustan, Garcia n’est pas devenu ce que l’on attendait de lui : un historien hipster des années 80. Il n’avait que 2 ans quand le VIH était découvert et 4 quand Rock Hudson dévoilait conjointement sa séropositivité et son visage dévoré du Sarcome de Kaposi. De son berceau algérien, après une naissance à Toulouse, le futur écrivain fils de professeurs expat’ n’a donc ni connu ni fréquenté le microcosme du Marais parisien que ce premier roman dissèque avec un brio que lui ont reconnu toutes les critiques : Le Monde, Les Inrocks, Libération et tutti quanti.

Compliment circonstanciel
Et puis, et puis que s’est-il passé ? La réponse est : Mémoires de la jungle, l’histoire d’un chimpanzé raconté par lui-même (sic) qui s’écrase sur une Terre vidée de ses habitants dans un futur incertain. Un deuxième roman si surprenant qu’il a laissé plantés là ceux qui attendaient une autre fresque socio à haute teneur en hype. Aucune volonté de contre-pied pourtant de sa part, « Mémoires de la jungle était déjà écrit quand La meilleure part des hommes est sorti, ce sont des temps parallèles », affirme l’écrivain en sirotant une méchante bière à une terrasse bobo du 19ème arrondissement de Paris. « Le roman plait énormément à ceux qui connaissent les chimpanzés, assure-t-il tranquillement, c’est celui pour lequel je reçois le plus de courriers de lecteurs. Un livre de niche, en quelque sorte. Une éthologue a même nommé son singe Doogie en hommage. » Hoodie sur les épaules, allure timide mais rhétorique gymnaste et culture hallucinante – black metal norvégien ou gestes médiévales – l’ancien espoir de Saint-Germain est devenu depuis peu professeur à l’Université de Lyon III et jette un oeil amusé à ce presqu’incident germanopratin. « Je ne suis pas un écrivain parisien, ce succès m’a mis mal à l’aise. Je ne suis pas fait pour les foires des livres. Jouer à l’écrivain, parler du désir d’écriture, du stylo qu’on préfère, ce n’est pas mon truc. Certaines personnes sont plus douées pour faire l’écrivain qu’écrire des livres. » Le mythe romantique de l’écrivain, la rock attitude ou la-plume-dans-l’acide très peu pour lui. Le prix de Flore ? Un vague souvenir : « Il y a avait des mannequins, des gens qui allaient sniffer dans les toilettes, cela ferait un beau roman mais je n’étais pas à ma place, je ne connaissais personne à part ma compagne et un ami. C’est une sorte de méprise amusante. »

Un écrivain Normale
Difficile de lui trouver une coterie à sa mesure, lui qui est pourtant issu de Normale Sup, terreau de beaucoup de jeunes pousses graphomanes. Il réfute appartenir au petit groupe de normaliens – « des amis », pour certains néanmoins – qui produisent de brillants pavés à intervalles réguliers : Cloé Korman (Les Hommes-couleurs, Le Seuil), Jakuta Alikavazovic (Le Londres-Louxor, L’Olivier) ou Vincent Message (Les Veilleurs, Le Seuil)… « Je connais Camille de Villeneuve [auteur de Les insomniaques, Philippe Rey, NDLR] mais je ne savais qu’elle écrivait avant qu’elle sorte son premier roman. Normale sup m’a permis d’avoir un salaire mais j’étais provincial et je ne connaissais pas grand monde. » En échappant à l’idéal romantique de l’écrivain torturé, seul, noctambule, semi–mondain et surtout parisien, Tristan Garcia gagne ses galons malgré les clichés qui lui mordent les talons. « J’ai un cimetière de romans morts-nés, je ne sais pas combien exactement, qui doivent être quelque part sur disquette. La meilleure part des hommes n’est qu’un livre parmi d’autres. Quand j’ai reçu le coup de téléphone de l’éditeur, je pensais que c’était une blague, publier reste une souffrance pour moi. »
Cette démarche humble et laborieuse lui aura au moins évité de tomber dans le piège dit du “grand roman français de la première moitié du XXIème siècle”, tendu à beaucoup d’écrivains. Encore que son actuel projet Histoire de la Douleur – titre provisoire – soit une fresque qu’on imagine bien approcher le millier de pages et le millier d’années d’amplitude. Une sorte d’asymptote vers l’art total, qu’il imagine partir depuis la première étincelle de souffrance jusqu’à sa suppression, l’idée de cette épopée se résume en une phrase : « L’histoire de l’humanité est une recherche de l’analgésie. » Autrement dit : le progrès tue la douleur, mais la douleur nous définit. « Je veux parler du fait qu’on risque de perdre l’humanité en perdant la souffrance, devenir radicalement indifférent. » Il y aura 16 ou 17 époques dans le livre, très précisément documenté, il cite notamment un médecin andalou en 670, le premier à s’être intéressé aux douleurs de la naissance chez les femmes. « Je veux une forme épique, que le lecteur ait l’impression de suivre les mêmes personnages tout au long du livre », une forme de métempsychose narrative – quand une âme passe de proche en proche – proche d’un David Mitchell (Cartographie des nuages, Écrits fantômes)… ou du Samsara tibétain.

De l’art municipal
Un mécanisme narratif qu’il a – ça par exemple ! – utilisé dans 7 son dernier roman, qui a suscité un léger frémissement critique lors de cette rentrée. 7 annonce la couleur, ou plutôt le chiffre puisqu’il propose sept histoires séparées mais qui, en un “twist” final, dessinent un destin commun. Des histoires de drogue qui font remonter dans le temps (Hélicéenne), de supermodels difformes (Sanguine) ou d’histoire de la musique (Les Rouleaux de bois). Rien de bien évident à la lecture des six premières, mais dans la septième, intitulée La Septième (sic), l’auteur dénoue un peu artificiellement certes, l’écheveau patiemment tissé lors des six premières. On retrouve dans 7 quelques-uns des motifs de ses précédentes œuvres, notamment la municipalité fictive de Mornay, déjà au centre de Faber. « Une ville que je situe entre Chartres et Amiens, avec tout l’imaginaire des châteaux de la Loire, la France des Valois, cela résumait bien l’ennui provincial que je ressentais et chérissais pendant mon adolescence, entre deux rues piétonnes. » Exactement comme Castle Rock ou Derry chez une de ses idoles – le Panthéon est chargé chez Garcia –, Stephen King, qui a « capté l’échec des années 70 et de la contre-culture et l’a connecté à un sentiment universel, la fuite de l’enfance ». Soit très exactement – un soupçon d’high-concept en plus – ce que l’on ressent à la lecture de Faber le destructeur qui lui avait valu un début de renaissance critique en 2013 puisqu’il avait été sélectionné pour les prix Décembre, Médicis et Femina. Cette liberté, il la doit aussi à Gallimard, qui le publie depuis le début. « Il n’y a pas d’attente commerciale de mon éditeur, il sait qu’il ne va pas faire de succès populaire. Je ne sais pas combien de livres je vends. Un livre, quand il est fini, est mort, définitivement. Il n’y a pas de résurrection possible comme une chanson. »

Seul en son genre
Tristan Garcia, 34 ans au compteur et déjà une œuvre derrière lui, n’a pas peur de la chute parce qu’il grimpe sans effort. Pas peur non plus d’assumer des influences, pourtant pointées comme mineures dans le milieu majuscule des Lettres françaises, comme la science-fiction – dont il est un grand lecteur mais aussi un fin critique –, ni même d’en écrire, puisque Les Cordelettes de Browser, son quatrième roman, est une variation sur l’immortalité et la fin des temps qui sent bon l’Isaac Asimov période Les cavernes d’acier réchauffé au soleil de la poésie. Pourtant, Tristan Garcia se démarque de la SF par une pop attitude pas feinte. Il est codirecteur d’une collection aux Presses universitaires de France sur les séries TV, et un soupçon de démarche gonzo. « J’allais voir les gens qui distribuait des tracts sur les reptiliens à Toulouse, un type à doudoune orange qui suait beaucoup. Des Ufologues se réunissaient également au KFC et au Flunch » et qui a du coup fait un aller simple dans une des nouvelles de 7. Pas cynique pour un sou, l’écrivain respecte tout et tous. « L’ufologie n’est qu’une forme laïcisée de religion, que le retour du religieux a d’ailleurs tué. Je ne crois pas à la division entre la littérature de l’imaginaire et une littérature blanche, classique. Le fantastique aide aussi à comprendre ce que l’on est. Une part de moi [la meilleure ?, NDLR] -même reviendra vers le roman sociologique, l’autre me tire vers le fantastique, j’essaie de tout emboiter. » Une fois le puzzle réuni, tout sera possible. Peut-être n’ont ils encore pas effacé son ardoise au Flore.

7
Tristan Garcia,
Gallimard,
570 p, 22 €.

Additional Info

Titre:
7
Nom de l'auteur:
Garcia
Last modified onlundi, 12 octobre 2015 10:38 Read 547 times