Xavier Houssin en interview

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Xavier Houssin, rédacteur en chef adjoint à Point de Vue, s'est éloigné des rois et des reines pour signer un premier roman (?),La Balade de Lola. A dix-sept ans, il publiait une plaquette de poèmes, mais à dix-sept, reprend-il avec humour, "On n'est pas sérieux". Né en 1955, il lui fallut attendre encore quelques années et un coup de fatum (en lequel il croit profondément) pour écrire l'histoire d'un père qui revient sur la mort de sa fille. Houssin, "papier sur le coin de la table de cuisine et pied sur un fauteuil Louis XV", nous parle de sa marelle littéraire (à lire pour vous en convaincre), moderne et poignante.

Pour aborder un thème aussi lourd, il fallait un détonateur... Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Il vient de quelque chose que je porte en moi depuis longtemps. Il a fallu que je rencontre mon éditrice et qu'elle me tire par le ventre pour pour que le texte sorte. J'avais des notes, j'avais travaillé mon sujet, mais sans le destiner réellement à un livre. David Rousset, dans Les Jours de notre mort [Ramsay, épuisé, ndlr], raconte une anecdote à l'époque des camps. En vidant une chambre à gaz, un jeune commando retrouve une petite fille vivante : elle était restée dans une bulle d'air formée par le corps de ses parents. Ce récit m'avait bouleversé, et quelques années après, il y eut cette histoire de la première victime de la guerre du Golfe. On racontait qu'une fille israélienne était morte étouffée par un masque à gaz que ses parents lui avaient serré trop fort. Bref, j'ai vite compris que les enfants étaient toujours en première ligne. Pendant ce temps, ma fille, 18 ans, allait atteindre cet âge où l'on part de la maison. Alors j'ai revisité son enfance. Et quand on pense à la manière d'élever un enfant, on agit dans ce paradoxe où l'on lui livre des choses plaisantes tout en ne cessant de le faire participer à notre fantasme de prévention.

Vous ne pensez pas qu'il faille confronter un enfant à une réalité, certes parfois terrible, plutôt que de le protéger à outrance ?

J'ai beaucoup de mal à sérier les choses, à théoriser là-dessus. Les enfants ne sont pas innocents, c'est sûr. Ils ont leur propre fonctionnement, leur acuité, et devant des situations difficiles, ils se font leur personnalité. Ceci dit, il reste en eux une part de magie. Je pense souvent à ce truc de Lewis Caroll, dans la préface de L'autre côté du miroir, souvent mal traduite d'ailleurs, où il dit que nous ne sommes que des enfants vieillis qui pleurent le soir avant d'aller dormir. On porte le deuil d'une enfance qui doit durer jusqu'à neuf, dix ou douze ans, qui s'efforce à croire ce qu'on lui raconte. A cet âge, on habille la vie avec de couleurs différentes, et c'est terrible, les gens qui arrachent ça à l'enfance. Peut-être que c'est une vision archaïque, mais les étapes sont à respecter. Les Pharisiens, qui sont en apparence "clean" mais en vérité des pourritures, jurent que si vous faites du mal à l'un de leurs petits, il vaut mieux que vous damner parce que vous serez jeté en enfer. D'une manière générale, violer l'enfance, c'est intolérable.

Pourquoi ne pas être passé par le roman pur ?

Je voulais commencer à raconter des trucs autour de mon histoire - ça reste quand même une histoire -, autour d'autres personnages, la mère... mais cela me parassait d'une fausseté absolue. La narration, souvent, casse la vérité. A l'inverse, dans les années 80, un roman posthume, Un tablier rouge de Michel Henin [88, Actes Sud, à ne pas confondre avec Le Tablier rouge, d'Alberto Vigevani, 1994, Rivages, ndlr], m'a bouleversé. C'est l'histoire d'une petite fille tuberculeuse dans un sanatorium qui comprend qu'elle va mourir. Il y a une vérité dans le style : c'est écrit avec des pauses, de vrais blancs dans le texte, qui correspondent à sa respiration difficile. En ce qui concerne La ballade de Lola, c'est une vraie fiction, mais pas un roman. Pour moi, un roman, c'est avec des personnages, une construction, etc..., et dans la structure qui s'est imposée à moi, ce n'était pas un roman. Dans les années 30, l'éditeur aurait trouvé un truc à mettre, mais ça ne se fait plus. D'ailleurs, j'ai l'impression qu'on n'écrit plus vraiment de romans. Sans doute est-ce très difficile d'en écrire aujourd'hui...

C'est un peu provocateur, comme propos...

On écrit plus d'histoires que de romans. Les gens racontent leur vie, ça ne me dérange pas, mais ils appellent ça "roman" et ça me gêne. Ils jouent avec ça et ça me paraît malhonnête et hasardeux. C'est pour cela que je sens que je dois me justifier par rapport à ça, même si ce n'est pas un vrai problème.

Vous qui êtes critique littéraire, quelle idée avez-vous de la littérature aujourd'hui ?

La littérature que j'aime aujourd'hui, c'est celle qui est dans la vérité - quand j'ai dit ça, j'ai l'impression de ne pas avoir dit grand chose. Disons que la vérité, ce n'est pas la véracité. Je préfère être dans ce qui ne s'est pas vraiment passé, mais en restant au plus proche des émotions pour les transmettre. Et si pour La Ballade de Lola, plein de gens l'ont lu en se demandant si l'histoire m'était arrivée, c'est que j'ai du mettre des choses beaucoup plus personnelles que je pensais.

Personnelles, mais à la fois universelles, si l'on en juge le ressenti ?

Ce livre est cathartique, mais en dehors de ma propre histoire, j'ai vu que beaucoup de parents s'associaient à ça. Un mois avant son accident vasculaire cérébral, Truffaut [1932-1984, ndlr] entend l'histoire d'une fille morte d'un accident vasculaire cérébral, elle aussi, écrivant à ses parents "C'est la chose dont j'ai eu le plus peur toute ma vie". Je ne sais pas comment on peut l'interpréter, mais La Ballade de Lola est une manière de dire : "Voilà, ce sont les choses dont j'ai eu le plus peur jusqu'ici."

Parlons de votre style. Le journalisme a-t-il influencé votre approche de la littérature ?

C'est un peu compliqué, mais le journalisme m'a donné de la liberté dans l'écriture. Dans le journal assez particulier où je travaille, j'ai toujours gardé le choix des sujets que je traitais. Point de Vue, c'est du papier sur le coin de la table de cuisine avec le pied sur un fauteuil Louis XV. Entre les deux, il y a un intervalle absolu. Il est lu par des gens très différents, mais sans les prendre pour des imbéciles. Et au niveau de la culture, on ne va pas raconter des âneries. Moi, j'ai toujours voulu écrire, et le journal me paraissait le plus simple pour gagner ma vie en écrivant. Cela nécessite une distance par rapport au monde et une rapidité. C'est comme un devoir qu'il faut faire, avec tant de signes... c'est une forme quasi oulipienne, et ça libère. Quoiqu'il arrive, j'ai toujours écrit. Toujours jeté, aussi.

Ariel Kenig

La ballade de Lola
Xavier Houssin
Ed. Buchet-Chastel
82 p / 9 €
ISBN: 2283019400
Last modified onlundi, 11 mai 2009 21:49 Read 2724 times