Rencontre avec Vincent Ravalec

Interviews
Vos débuts dans l'écriture ?

Vers la trentaine, même si la nécessité d'écrire a été ressentie assez jeune. J'ai un jour jeté le peu que j'avais écrit, et pour finir, ou plutôt pour commencer puisque c'est de " carrière " dont on parle, j'ai pondu ce que j'aurais voulu lire. Et je me suis dit : ça y est, on y va.

Vos débuts " officiels " ?

Je n'ai pas immédiatement fait parvenir mon travail aux maisons d'édition. Au départ je faisais des petits recueils de nouvelles que j'envoyais à des inconnus, via un système d'échange artistique, de correspondance littéraire. Puis j'ai envoyé ces nouvelles au Dilettante. L'éditeur a répondu positivement après les avoir égarées quelques temps, pendant lesquels que j'usais de subterfuges (fausses recommandations) pour pousser une éditrice à me rencontrer... Mes nouvelles ont eu un bon accueil, et le reste est venu tout seul.

Des rencontres déterminantes, des déclics ?

Artistiquement parlant, ce sont plutôt des personnes que je n'ai pas rencontrées qui m'ont surtout marqué à travers leur œuvre. Mais je suis interpellé par le style d'Angot et par celui de Dustan. Dantec pour certaines idées développées dans Babylone Babies. Je me suis également senti assez proche de Houellebecq jusqu'à ce que nos chemins divergent totalement. Nos thématiques sont assez similaires, avec cependant une différence fondamentale : il pense que l'existence n'a pas de sens, je suis persuadé du contraire. La divergence ne peut aller qu'en s'accentuant…

Toutes vos œuvres sont remarquablement diversifiées. Un fil conducteur ?

Il va apparaître. J'ai une idée tout à fait précise de l'endroit où je veux aller et où je me retrouverai si j'y arrive ; le tout a un sens particulier, qui s'inscrit dans une sorte de structure en étoile.

Comment êtes-vous venu au cinéma ? Et pourquoi y êtes-vous resté malgré ces débuts chaotiques et éprouvants que vous décrivez avec beaucoup d'humour et de réalisme dans Les Souris ?

Le cinéma s'est présenté sur mon chemin de manière factuelle, ainsi que je le décris dans le bouquin. Des difficultés au début, mais étant de nature très enthousiaste, j'ai beaucoup de mal à dire non aux projets qu'on me soumet. J'ai sans doute beaucoup plus d'idées et de désirs de réalisation que de temps et d'énergie, et j'ai tendance à me disperser, donc à tout vouloir accepter et faire dans l'instant… Pas forcément une qualité ! Je m'étais juré de ne plus faire de film, mais la DV a changé énormément les paramètres, et me permet de faire un travail qui me convient nettement mieux ; c'est à dire de filmer avec presque la même légèreté que celle que je ressens lorsque j'écris.

Vous avez transposé le cinéma dans l'écrit pour ce livre. A quand l'écrit dans le cinéma ?

J'avais commencé à travailler dans ce sens avec l'Auteur qui raconte mes débuts littéraires, et que je pensais adapter au cinéma… Mais on court énormément de risques dans cette démarche : l'écrivain a tellement été mis en scène que pour ne pas tomber dans le déjà vu et les pires clichés…

La présence de Proust dans Les Souris ?

Une sorte d'ange qui vient quand je suis au plus bas. Le long métrage est vraiment un truc très physique, et j'avais peur qu'en me mettant réellement à filmer, qu'en me fondant dans cette activité, je finisse par perdre l'espèce de " mécanique " qui me permet d'écrire. Dès que j'avais un break sur le tournage, je m'isolais à l'intérieur de moi-même pour continuer à écrire. Le soir je lisais Proust, qui s'est trouvé être une musique très particulière, une symphonie de véritable accompagnement, un bol d'air. Accompagné de petits totems comme Saturnin, le dico et Parker…

L'illusion : propre au cinéma, mais vécue de manière si omniprésente pour le personnage principal, c'est à dire vous…

Elle est en chaque aventure de la vie, mais il est vrai que cette dimension est particulièrement prégnante dans l'univers du cinéma qui a tant été mystifié, alors que tout n'est que du vent, même s'il est porteur d'un potentiel de réalisation. Cet aspect est souligné afin de permettre une mise à distance, une relativisation, une attribution plus juste de la valeur des choses. Les gens qui y travaillent sont souvent tellement imbus de leurs tâches, de leurs fonctions… Une épopée dans laquelle nous sommes tous plus ou moins pris, malgré son côté bidon.

Ces scènes de Napoléon, de dialogues avec Charles Swann : autodérision ?

J'ai le sens de la blague ! Je redeviens le farceur que je n'ai pu être en devenant bien malgré moi Monsieur " Vautour-Casse-couilles " dans ce système où j'étais forcé à me positionner en tant que " chef " et de " meneurs d'hommes " alors que je déteste ça…

Choqué par les " langues de pute et consorts " ? Etonné par le rocambolesque que vous avez rencontré sur les plateaux ?

Les travers humains sont accentués au cinéma, où tout prend une dimension différente. On se prend forcément au piège du narcissisme, puis on finit par dépasser ce stade… Et des péripéties rocambolesques je n'ai pas tout dit, même si j'ai rapporté certains épisodes cocasses comme la dépression du réalisateur, nos turbulentes divergences…

L'irruption de l'épisode de l'Aquaboulevard ?

Une illustration de toute la violence que je me faisais moi-même durant ce tournage. La violence de devoir être ce qu'on ne veut pas être, de se surprendre à filmer la vie à chaque instant, de se placer derrière une caméra avec une obsession analytique souvent inconsciente. Tout semble se transformer en scène de cinéma, et en l'occurrence cet épisode l'était. Une obsession également propre à l'écrivain, qui filme tout, à sa manière bien sûr.

Le festival des courts métrages ?

Je l'ai décrit assez justement je crois, avec tout ce que l'ensemble manque de valeur, de réalité, et même d'intérêt. C'était aussi un préambule qui s'inspire du naïf propre à la jeunesse et au manque d'expérience ; la préparation d'un itinéraire un peu initiatique avant d'arriver au cinéma. L'autodérision de ces états un peu euphoriques que l'on vit à ses débuts, lorsque l'on apprend que son court métrage a enfin été sélectionné…

Vous décrivez justement le long métrage comme un parcours de nature divine : en passant par la genèse, les tables de la loi, la mise à l'épreuve…

Je l'ai vraiment vécu de cette manière. Depuis quelques années j'avais une vie assez douce, et cette aventure a été très dure ! Mon écriture dans cet ouvrage est physique comme le cinéma est éprouvant, et elle est illustrée, symbolisée, au propre comme au figuré. D'ailleurs au début cela devait être une BD, puis c'est devenu ce récit illustré par des images comiques, que j'ai écrit pendant le tournage même, et où j'ai également trouvé le titre.

Et l'apprentissage : l'évolution de la relation Moi-les Autres ?

Cela a été un échec. Je suis pourtant philosophiquement très attaché à la création de projets artistiques à plusieurs, mais là le ratage avec toute une partie des gens a été total. Un Mortimer m'a en revanche m'a pas mal aidé, et n'est pas le mafio corse dont on l'a parfois traité… Malgré des élans créateurs parfois interrompus pour des causes financières, des " si le film est trop long on ne pourra pas vendre de pop corn ", je suis parvenu à réaliser le film que je souhaitais réaliser. Donc un bilan satisfaisant malgré l'échec évoqué sur le plan relationnel, et l'échec commercial. D'ailleurs mon objectif ne se situait pas ce niveau-là, tout ce dans quoi je me lance est une aventure et une expérience avant tout artistique, qui me permet en même temps de continuer à faire ce qui m'importe réellement.

Une conclusion tout à fait positive donc ?

Le mystère de la création. Malgré les douleurs dont l'enfantement peut être accompagné, et le pognon perdu par le producteur…



Jessica Nelson


Vincent Ravalec
Ed.
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Last modified onmardi, 21 avril 2009 23:24 Read 5319 times