Portraits et aphorismes

Chroniques
Pourquoi faire compliqué, la population se scinde en deux : ceux qui connaissent Bernard Frank et ceux qui ne le connaissent pas. La mission acceptée de ce livre est d'établir une sorte de passerelle, véritable main tendue vers une population en voie de disparition. Les idolâtres de Frank ne vont pas apprécier, les innocents se calmer et si tout cela pouvait nous créer un peu d'apaisement, un retour à la justesse des choses, ah... C'est une nouvelle mode aussi, distiller en substance. On ne vous fourgue plus l'intégrale des intégrales qui plomberait plus d'un motivé mais plutôt des pensées, des aphorismes, des attouchements quoi. Et se faire peloter par une phrase de Frank, c'est l'adultère assuré. Portrait et aphorismes n'est donc pas une gâterie pour gens pressés, ou amateurs de ruelles.

Bernard Frank a pratiquement tout écrit entre 22 et 26 ans. Oeuvre à laquelle nous ajoutons des livres écrits à la paresseuse Le siècle débordé (1970) et Solde (1980). La première brique du mythe procède justement de ce dessèchement subit, d'une gloire trop sûre pour durer. Au début des années 50, Sartre le reçoit en le jugeant plus intelligent que lui, et il refuse les offres gallimardesques. Un livre culte, Les rats, un essai sur Drieu la Rochelle, La panoplie littéraire, un bijou, L'illusion Comique, et l'on s'égosille à crier au génie. Seulement le génie s'est enfoui dans l'alcool et le jeu. Et puis, le génie n'avait pas besoin de gloire. Celle de Sagan suffisait pour deux, dixit Frank.

Une des particularités charmantes de Frank est d'avoir signé des contrats chez presque tous les éditeurs de France. Contrats qu'il n'honore jamais, forcément. Les projets s'endorment avec l'encaissement des chèques. véritable voleur d'à-valoir, en petit pervers, il ne cesse de ressasser dans ses chroniques tous les livres qu'il doit à Flammarion, Grasset, Laffont, et cette Lettre ouverte aux gens qui m'ennuient qu'il a promise à Francis Esménard, PDG d'Albin Michel, avant de soupirer qu'au bout du compte personne ne l'ennuie vraiment à part lui-même. Tout ça pour dire que Portraits et aphorismes est tout sauf un travail de grand écrivain se penchant sur ses grandes phrases. Il n'est pour rien dans ce livre, un peu comme tout ce qui lui arrive ? Ca doit même le faire ricaner que l'on ait découpé son oeuvre en phrases et thèmes. Ca fait cohérent, et c'est du luxe pour un écrivain que personne n'a compris (et surtout pas les éditeurs qui continuent à le payer gentiment pour du rien en projet). Et c'est vrai qu'au travers de ce livre que l'on doit à l'amie-de-toujours Stéphanie Leclair se dégage avec force une oeuvre, une pensée, comme on aime dire. Les femmes, les juifs, l'alcool, la politique, personne n'a eu autant de bons mots. Une phrase au hasard : "Les ennuis sont le meilleur antidote à l'ennui". Le ton y est toujours précis, l'ironie bougonnée. C'est presque un guide de survie à Mauriac.

Donc joie pour les découvreurs et, pour ceux qui adorent, juste de quoi se rappeler le pourquoi de leur engouement ; c'est souvent le problème des enthousiasmes, on ne sait plus pourquoi.

David Foenkinos

Portraits et aphorismes
Bernard Frank
Ed. Cherche Midi
180 p / 13 €
ISBN: 2862748358
Last modified ondimanche, 28 août 2011 19:39 Read 1369 times

More in this category:

« Aria N. Crier gare »