My love supreme

Chroniques
" Tout commence un jour de 1973 " : la première phrase de la quatrième de couv' annonce la couleur. Recueil de 1973, souvenirs de 1973, mots de 1973 d'un adolescent des banlieues.

Mais si tout commence, ici rien ne se termine. On découvre une enfance qui se construit comme elle peut, une adolescence un peu niaise et pas plus troublée que ça. Bref un gamin comme les autres, qui chaparde au Centre Commercial, qui s'extasie au Mac Do, et dont le sexe curieux envisage ses premières excursions aux alentours. Pour voir.

Car c'est bel et bien " pour voir " que Philippe Di Folco écrit, pour voir le passé, pourvoir au présent qui manque cruellement de quelque chose d'impalpable. Ce quelque chose, ce sont les années insouciantes et enfuies, celles qui donnent leur substance au roman, tissé au fil d'une nostalgie démesurée, touchante. Enivrante, quand ne reste qu'une fine poussière : celui qui raconte, qui vit, ne dira rien du maintenant. Tout est fini. Rien ne se termine, puisque tout s'est terminé il y a déjà longtemps. A la fin des premiers songes.

Pas de narration, mais une série de chapitres qui dévoilent la sempiternelle nostalgie. On part avec lui sur les traces des compagnons de crèche et de lycée. On redécouvre avec ses amis Fati et Francis les carnets intimes jalousement cachés, le bric à brac hétéroclite et symbolique. Qu'ils inhument avec force de fierté et de larmes. Et toujours cette image qui hante : qu'est devenue Nadia Spiessens ? Morte, peut-être ; qui sait. Cette icône au sourire évaporé, presque oublié, est le seul lien conducteur au récit du passé dans le présent : sans doute la seule chose qui compte vraiment parmi les vestiges.

Ceci n'est pas une peinture sociale des années désoeuvrées et inquiètes, pas plus qu'une ode à la jeunesse et aux premiers émois. On aurait de la difficulté à qualifier ce qu'est exactement ce récit autrement qu'en en parlant comme d'une boîte à trésors qu'on entrouvre avec précaution. Qui mérite d'être lu pour cette écriture brève et parfois lyrique qui vous prend à la gorge. Poétique, qui vous fait regretter Coltrane et compagnie. Qui intrigue lorsqu'il compare le trio à Jules et Jim perdus dans la galaxie intersidérable du Centre Co' (quelle est la nature de leurs relations exactement ?!). Qui fait indéniablement marrer lorsque l'auteur est surpris accouplé à un aspirateur spécialement acheté à cet effet (c'est du moins ce qu'il croit).

Le livre étonne, et le charivari de souvenirs, qui se jette à notre visage sans retenue, ne lasse à aucun moment : trop épars et décalé. Ce retour aux origines, cette volonté de prouver que la vie a été (en attestent les documents qui parsèment le livre " douze documents qui tendent à prouver que j'ai bien existé ") charrient une dose de noirceur sans cynisme qui nous pilote, l'air de rien. On retient son souffle devant le déroulement presque épique de cette tragédie intime, un tantinet masturbatoire. Mais c'est ce tantinet-là qui lui donne aussi tout son charme.

Jessica Nelson

My love supreme
Philippe Di Folco
Ed. Denoël
179 p / 12 €
ISBN: 2207252035
Last modified ondimanche, 28 août 2011 19:21 Read 2015 times

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