Ake Edwardson
Ake Edwardson DR

Le polar inespéré

Chroniques

Connues dans le monde entier, les enquêtes du commissaire Erik Winter ont pris fin avec la parution du Dernier hiver. Les éditions Lattès sortent en France un inédit, le cinquième des dix opus de la saga : Le Ciel se trouve sur Terre. Tous les ingrédients qui ont fait le succès de l'écrivain Åke Edwardson y sont réunis.

Dans le dixième et dernier opus de la saga policière d'Erik Winter, Le dernier hiver (paru en France en 2010), nous avions laissé le célèbre enquêteur plus mort que vif. Et nous pensions ne plus jamais avoir de ses nouvelles. Les Editions Lattès nous font la surprise de traduire et de publier le cinquième volet de la série, encore inédit en France : Le Ciel se trouve sur Terre. Les amateurs ne seront pas déçus... À l'instar des autres polars d'Åke Edwardson, l'intrigue du Ciel se trouve sur Terre est parfaitement construite, sans raccourci ni zone d'ombre. Pour les autres, rien n'interdit de découvrir l'écrivain suédois avec cet inédit.

Le cadre de l'enquête est toujours le même : Göteborg, deuxième ville de Suède. Des incidents apparemment sans gravité se multiplient : des enfants déclarent à leurs parents avoir été enlevés quelques heures durant la journée. Ces faits sont enregistrés par trois antennes locales et, par défaut de centralisation des données, aucune enquête n'est lancée. En parallèle, plusieurs étudiants rapportent avoir été attaqués de nuit, dans les rues de Göteborg, avec une arme non identifiée. Un climat d'angoisse et de confusion croît sourdement, sans que l'alerte rouge ne soit donnée : aucun crime, aucun viol, n'a encore été commis. Jusqu'à ce que la machine s'emballe... Un petit garçon est retrouvé blessé et des étudiants manquent à l'appel. Le flair d'Erik Winter lui souffle que les deux affaires sont liées.

 La passion du fait divers

 Le domaine réservé d'Åke Edwardson, c'est l'exploration du fait divers. Plus que la description de la violence, ses causes et ses conséquences. Comment elle est générée et assimilée par la cité, comment elle marque l'individu, quel traitement en est fait par les instances judiciaires. Violence latente et sourde qui aimante le lecteur dès les premières pages. Attention cependant : les enquêtes du commissaire Erik Winter ne s'adressent pas aux lecteurs paresseux. Entre les trois antennes policières, le groupe d'étudiants, celui des enfants et celui des parents des enfants, il faut trouver ses repères... Et apprécier le récit quasi-documentaire que fait le Suédois d'une enquête judiciaire. Pas de cascades improbables, ni de Deus ex machina échevelé. Sobriété et véracité sont les maîtres mots du Suédois.

Le charme de la série repose essentiellement sur le personnage d'Erik Winter. Loin de certains polars américains, dans lesquels la technologie et l'expertise médico-légale servent de guide dans la conduite de l'enquête, le moteur de l'intrigue repose ici essentiellement sur l'intuition du commissaire. Ce flair qui éclaire et épaissit tout à la fois le mystère donne au texte une dimension quasi-fantastique. Hormis ses surprenantes intuitions, Erik Winter n'a rien d'un super héros. Ces collègues, non plus. Les flics d'Åke Edwardson sont « juste des hommes », avec en plus de la bouteille, des doutes à la pelle et une sacrée dose de bonne volonté.

Sur ce rythme lent d'enquêtes qui patinent menées par des hommes qui tâtonnent, l'intrigue va avancer par les dialogues - dans l'écriture desquels le Suédois excelle - un jeu éprouvé de questions-réponses entre Winter et son second : Ringmar. C'est cette technique de ping-pong verbal, qui leur permet d'explorer toutes les hypothèses et d'éclairer peu à peu les mobiles et la méthode du crime.

 « Going into the millenium with hope »

 Une intrigue bien ficelée, des dialogues d'une très grande efficacité, des personnages qui nous accrochent et auxquels on s'attache... Quoi donc encore ? De l'empathie. Ce que Åke Edwardson interroge dans ce roman - peut-être encore davantage que dans les autres volets de la série -, c'est la chaîne des responsabilités. Comment en arrive-t-on au crime ? Il s'agit de comprendre, non pas de dédouaner. Le discours rédempteur n'est pas le propos du Suédois. Mais la psyché humaine soumise à la violence - en prise avec les échos insupportables des traumatismes de l'enfance - et l'effrayant effet domino qui s'ensuit.

Le passé de journaliste de l'écrivain n'est jamais très loin... Plusieurs sujets brûlants d'actualité sont abordés dans ce roman, comme la fiabilité du témoignage des enfants - déjà interrogés dans un autre opus de la série, Chambre n°10, qui a également le mérite d'éclairer d'un regard nouveau la relation entre police et médias. Åke Edwardson dépeint une société malade, mais laisse filtrer quelques étincelles d'humanité : le refus de ses personnages de renoncer à comprendre. Dans une récente interview*, l'écrivain explique que sa série avait pour but « d'entrer dans le nouveau millénaire avec espoir », et que c'est pourquoi le « divertissement cynique » n'y a pas droit de cité.

À présent que la saga est intégralement publiée en France, on ne peut qu'inviter le lecteur à relire dans le bon ordre ses dix volets, et à découvrir ainsi la cartographie évolutive de Göteborg, d'Erik Winter et de ses hommes. Deux raisons supplémentaires pour ceux qui ne connaissent pas encore les enquêtes du célèbre commissaire de s'y atteler sans plus tarder : l'écrivain a annoncé qu'il souhaitait donner une suite à la série et Arte devrait diffuser cet hiver quatre épisodes télévisés directement inspirés de ses plus grands succès.

 * Cercle polar : émission du 29 octobre 2011

Le Ciel se trouve sur Terre
Åke Edwardson

Traduit du suédois par Marie-Hélène Archambeaud
Ed. Lattès
428 pages - 20,90 €

Last modified onmardi, 15 novembre 2011 09:31 Read 3303 times