La boucle est baclée

Featured
Chroniques

35 années que ça dure ! 35 années pendant lesquelles on a ri, pleuré et frémi pour les personnages hauts en couleurs des Chroniques de San Francisco. Mais le 8e volume vient confirmer ce que le précédent laissait penser : toutes les sagas ont une fin.

 

Alexandre Dumas, Charles Dickens, Honoré de Balzac et Armistead Maupin ont un point commun : avoir été feuilletoniste à leurs heures. Si l’on peut douter que l’auteur américain passe lui aussi à la postérité, il aura au moins eu le mérite de remettre au goût du jour ce genre très apprécié par les lecteurs de journaux au XIXe siècle mais que certains dénigraient, le trouvant trop commercial. En 1976, les lecteurs du San Francisco Chronicle découvrirent ainsi Mary Ann Singleton, provinciale fraîchement débarquée de Cleveland : « She’s 25, single and mad for S. F. » Ils ne la quitteront plus, comme des millions de lecteurs à travers le monde. L’émancipation selon Armistead Maupin, qu’elle soit sociale, intellectuelle ou sexuelle, a nourri des années de roman-feuilleton – cinq épisodes par semaine –, six volumes de ces Chroniques de San Francisco entre 1978 et 1990, une série TV entre 1994 et 2001, un 7e volume en 2008 et, cette année, une comédie musicale… assortie d’un 8e opus ! Lorsqu’on a soi-même participé à faire du 28 Barbary Lane un havre légendaire où tout un chacun aurait aimé séjourner, comment ne pas se jeter sur la suite des aventures de Mary Ann et sa bande ? Mouse, jardiner homosexuel aussi facétieux que généreux, Anna, mère poule transsexuelle adepte du joint, ou encore D’orothea, mannequin lesbienne devenu noire parce que c’est plus vendeur, nous y attendaient.

Les Chroniques en leur automne

Mais la joie de retrouver ces personnages s’estompe vite au fil des premières pages de Mary Ann en automne. Déjà sérieusement égratignée à la lecture du précédent tome, Michael Tolliver est vivant, elle nous collait pourtant encore à la peau tant les six premiers volumes des Chroniques avait marqué les esprits. Libération sexuelle, amours qui se cherchent, vies qui se construisent, carrières professionnelles qui se dessinent… Que l’on soit homosexuel, hétérosexuel, bisexuel, transsexuel, misogyne, romantique, dragueur, punk, libertin, ouvrier ou médecin, tout un chacun pouvait se retrouver dans le miroir sociétal que tendait Armistead Maupin. Mais les héros ont vieilli… et nous aussi. Tous au moins sexagénaires, Mary Ann affronte un divorce et un cancer, Mouse la peur de la mort, tandis qu’Anna, octogénaire, s’y prépare sereinement. Beaucoup plus sérieux, ce tome en devient plus ennuyeux parce qu’il semble ne pas l’assumer : l’auteur oscille en permanence entre maturité et futilité et le lecteur ne peut plus s’identifier à ces adultes qui ne se sont pas étoffés au fil du temps, encore moins aux jeunes personnages qui commencent à graviter autour (et pourraient assurer le 9e tome ?). C’est peut-être là les limites de la sitcom littéraire. Comme s’il s’en était rendu compte, Armistead Maupin secoue le bocal avant les cent dernières pages et y injecte de l’aventure, genre un pédophile mort-vivant et une SDF violée dans sa prime jeunesse sur le point d’être dévorée par une bactérie… Rebondissement ultime : ils ont un lien ! Et la boucle est bâclée. Ce qui faisait la légèreté et la force des Chroniques devient incongru et nous fait désormais craindre la suite, sur laquelle l’auteur a déjà annoncé qu’il planchait.

Anne-Laure Mercier

Mary Ann en automne

Armistead Maupin

Traduit de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch

Éditions de l’Olivier

322 p. – 21 €

Last modified ondimanche, 28 août 2011 19:21 Read 2165 times