Une boîte curieuse
Le vif du sujet, maintenant : « No man’s land » de Philippe Besson, traite de la guerre. Arnaud Cathrine transplante cette incompréhension dans le couple. Au-delà du talent, rien que le glissement entre les deux thématiques est saisissant. C’est le genre de joliesse, d’originalité créatrice que peut créer REMIX#1. A contre-pied, la version de Jean Claude Pirotte n’est que poésie, n’empreinte que des sensations de l’originel.
Retour au prosaïsme avec « Une mauvaise sueur » de Charles Pépin, précautionneusement remixé par Philippe Djian et Héléna Villovitch. Inspiration plus formelle cette fois-ci. Héléna Villovitch ne quitte pas la mauvaise sueur et la rancit même encore, en choisissant les yeux d’un autre personnage de l’œuvre matricielle. Philippe Djian ,lui, plonge en avant. 20 ans après, sa nouvelle a un arrière-goût d’autobiographie.
« Djezer zarka » par Mickaïl Sebban est distance. Distance de deux surfeurs israéliens oublieux de la politique, ici l’assassinat d’Itzahk Rabbin… Mikhaïl Agi lui fait subir les outrages du porno, les personnages n’en ont que foutre, cette fois-ci. Enfin « Djezer Zaria » n’existe que dans le film dont l’héroïne de Chloé Delaume se sert pour éponger sa rupture.
« Les chimères » est le récit d’une décomposition intérieure. La moisissure cultivée par Philippe Chouraki, est repiquée par un Régis Clinquart en une version prostituée et un Ilan Duran-Cohen corrosif. Comprenne qui lira.
Enfin, « je te lâcherai pas, petit 16/9 » ou l’Atlas moderne, le héros soutenant le monde enfermé dans sa télé sur le point de choir. Transposé sur le principe un rien fainéant du jeu des sept erreurs par Guillaume Dustan, la télé devient une femme pour Frédéric Roux. Misogyne mais excitant.
La chair de sa chair
Le remix littéraire a ceci de réjouissant qu’il est nouveau donc tentant, et branché donc nécessaire. Intéressante démarche que d’étendre ce principe musical à la littérature, royaume de solitaire que les surréalistes et leurs cadavres exquis essayèrent de désenclaver en leur temps. Les tours d’ivoires ont maintenant leurs journées portes ouvertes ! Car Remix est un écorché du processus de création. Le public peut fouler du pied des lieux interdits, des ateliers de la réalité : l’esprit des Écrivains. Les légistes dans l’âme s’essaieront à l’autopsie avec gourmandise.
Mais ce nouveau genre est une arme tranchante. Les auteurs découvrent ses bottes, hésitent et trébuchent parfois, comme des apprentis. Plus qu’une écriture à six mains, il s’agit d’œuvres séparées comme une « cover » a son existence propre, une fois la digestion aboutie. Le talent tient, comme en musique, à la substance de la petite nouvelle par rapport à sa génitrice.
Le plus grand hommage que l’on puisse rendre à ces OLNI est d’en dire qu’elles sont trois et non une trinité. Qu’elles se sont extirpées de leur matrice. Car au-delà du résolument « in » , le remix se révèle être d’une beauté curieuse, entre monstre et chimère. Un miroir de fête foraine, un plaisir d’enfant curieux. Toute honte bue par l’écrivain -celle de ne pas créer ex-nihilo -il ne reste que le talent et ses oeuvres. C’est bien le plus important.
Laurent Simon
Zone Littéraire correspondant
Remix #1
Collectif
Ed. Hachette Litterature
110 p / 6 €
ISBN: 2012357423
