Carole Fives
Carole Fives DR

Les amoureux solitaires

Chroniques

Lio, en nuisette blanche, au milieu d'une pluie de bulles de savon, chantant à tue-tête Amoureux solitaires, a-t-elle conscience en la prononçant de la gravité de la phrase dont Carole Fives va se servir pour le titre de son premier roman?

Dans la France des années 80, lorsque l'on pouvait encore fumer dans les trains et y placer sa bouteille d'eau dans un filet, lorsque les imitations de Giscard par Thierry le Luron accaparaient les malheureux téléspectateurs d'Antenne 2, trois voix déroulent le récit d'une même histoire : la séparation d'un couple. Le père, la mère et la fille en racontent chacun leur version. Seul le fils, le cadet, reste silencieux. L'histoire est banale : pour les vacances, un homme rejoint sa femme et ses deux enfants en bord de mer. Se sentant soudainement incapable de supporter davantage la personnalité dépressive de sa femme, il prend la décision de la quitter. Cette séparation, qui va durer dix-sept ans avant de se solder par un divorce, illustre à merveille les dissensions croissantes qui peuvent exister entre deux individus qui ne font plus partie d'un couple. Le père, sérieux, besogneux, peut-être même un peu ennuyeux face à la mère, sous médicaments, volage, aux tenues vestimentaires apparemment criardes et discutables.

Tout cela pourrait simplement ne représenter que le gâchis de quelques années s'il ne restait entre eux deux enfants. Et c'est précisément là que va se nicher l'originalité de ce premier roman. Carole Fives, s'émancipant du genre de la chronique banale d'un couple séparé dans le décor un peu frelaté des années 80, va finalement prendre le lecteur à témoin de la séparation des deux enfants en faisant entendre une longue tirade un peu hystérique de la sœur. Et ce dont parle finalement la romancière, ce n'est pas tant de la séparation d'un couple marié que de celle d'un couple formé par un frère et une sœur. Les complexes de Jocaste et d'Œdipe laissent place à celui d'Antigone: « Nous étions semblables à ces êtes hybrides dont parlent les philosophes, mi-mâles, mi-femelles et qui pour avoir osé s'attaquer aux dieux ont été séparés. Comme eux, je recherche cet amour-là, qui de deux êtres tente d'en faire un seul. Je te cherche dans tous les livres, dans le sourire de mes amis, les yeux de mes amants. »

Quant au fils, sa voix ne se fera entendre que bien plus tard, dans une lettre adressée à la sœur. Il lui aura fallu partir à l'Est pour envoyer valdinguer l'histoire de chacun, le Nord du père et le Sud de la mère. Sans pour autant convaincre qu'existe bien une recette pour que nos vies aient l'air d'un film parfait.

Que nos vies aient l'air d'un film parfait
Carole Fives

Le Passage
119 p. - 14 €

Last modified onjeudi, 20 septembre 2012 10:05 Read 2182 times