Cécile Coulon
Cécile Coulon DR

Le peuple se meurt

Chroniques

Quatrième ouvrage de la jeune romancière Cécile Coulon, Le roi n'a pas sommeil surprend d'emblée par son classicisme, le choix d'une langue épurée et elliptique et des personnages tout droit sortis de La bête humaine.

À croire que la revendication d'un héritage romanesque dix-neuviémiste n'est pas pour déplaire au comité de lecture des éditions Viviane Hamy car l'on trouvait déjà trace de cela dans Ouest de François Vallejo, publié il y a quelques années. Mais laissons là cette digression au profit du remarquable roman de Cécile Coulon qui, en exergue, s'en réfère à Steinbeck, dont Les Raisins de la colère furent en leur temps surnommés « le Germinal américain. »

L'origine du mal

D'entrée de jeu, le narrateur, omniscient, pose les jalons d'une histoire tragique. La scène d'ouverture nous met en présence de Thomas, menotté, dans la rue principale d'Haven, bourgade jamais clairement située, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Puis, comme dans une saga romanesque classique, on inscrit le personnage dans son héritage. L'histoire de son père, Paul Hogan (à ne pas confondre avec le fameux acteur australien qui incarna le non moins célèbre Crocodile Dundee), nous est contée. Elle démarre avec la mort des parents de celui-ci et se poursuit avec la rencontre de Mary, femme discrète et aimante, qui deviendra la mère de Thomas. Chez Paul, déjà, quelque chose cloche. L'obsession de sa terre le contraint à travailler plus dur que les autres pour préserver une propriété bien au-dessus de ses moyens. Et c'est en classant les fiches des détenus de la gendarmerie que Paul met du beurre dans les épinards. La description des horreurs commises autour de lui, par ses semblables, le dégoûte-t-elle ? Ou ne parvient-il plus à en effacer les images qui le hantent un peu plus chaque jour ? Toujours est-il qu'il est la victime d'un destin en marche. Et Mary, spectatrice muette et impuissante, assiste à la contamination de son fils unique. Thomas, l'enfant chétif, prononce ses premiers mots sous la menace d'un serpent enroulé autour d'une poutre. Tout est là : la faute originelle et le mal qui se répand. Les hommes de la famille Hogan ne pourront échapper à la malédiction divine.

En filigrane, on devine dans l'univers de Cécile Coulon les thèmes bibliques chers à Terence Malick - notamment dans Les moissons du ciel - , mais également à Stewart O'Nan dont les personnages d'un mal qui répand la terreur constataient, comme les animaux malades de la peste, que la contamination du mal se solde toujours par l'incapacité à comprendre et donc à vivre. Et toute la force et l'originalité de l'auteur résident dans l'acceptation romanesque de poser les jalons de la tragédie sans jamais chercher à donner des éléments qui permettraient de l'appréhender ou de la supporter. Le roi n'a pas sommeil est un roman court, mais terriblement dense qui ne cesse d'habiter son lecteur tant le destin de ces hommes fragiles, en marge de la société, émeut et terrifie tout à la fois. Car cette menace qui pèse dans Le roi n'a pas sommeil n'est-elle pas également la métaphore d'une société qui ne laisse aucune chance aux laissés-pour-compte et qui finit par les faire ployer sous le poids de sa force ?

Le roi n'a pas sommeil

Cécile Coulon

Éditions Viviane Hamy

141 p. -18 €

Last modified onsamedi, 03 mars 2012 13:26 Read 2417 times