#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

Actu Entretiens Zoom Portraits Extraits

  Interalli�s J - 4  
  Le D�cembre pour Zone  
  Cusset , Goncourt des lyc�ens  
  Renaudot pour Mon�nembo  
  Goncourt pour Rahimi, la P.O.L position  
  Le Flore pour Garcia  
  Mort de l'�crivain am�ricain Michael Crichton  
  Femina et Medicis: c�t� �trangers  
  Melnitz et Vollmann meilleurs �trangers  
  Blas de Robl�s M�dicis�  

inscription
d�sinscription
 
Rencontre avec Jean-Hugues Lime


Premier roman ?

Pas du tout [l'auteur n'est pas choqu� par mon inculture, ouf ]! J�en ai publi� bien d�autres. Dans un ton et avec des th�matiques diff�rentes il est vrai, par exemple mon thriller, avec cette histoire du serial killer (Journal d�un assassin). Il est vrai que je me suis aussi situ� entre l�essai et la com�die pour d�autres fictions� mais on a tout de m�me donn� l�intitul� � roman � � mes ouvrages.

Oui, mais premier roman historique en tout cas�Vous donnez dans un genre bien particulier avec Le roi de Clipperton.

C�est l�avantage de la litt�rature ! Pouvoir explorer mille et une facettes de mille et une mani�res, avec un genre renouvel� � chaque fois. C�est comme une arborescence fantastique qui ne s�arr�te pas, qui ne fixe que peu de limites.

Pourquoi l�histoire de Clipperton, cet �lot que personne ne conna�t ?

J�ai effectu�, en 1978 dans le cadre de mes �tudes d�officier � la Marine Nationale, un grand voyage � bord de La Jeanne d�Arc, et nous avons fait escale sur Clipperton. La plus petite possession fran�aise dans le monde. Le r�cit des aventures de cette garnison oubli�e m�a fascin�.

Pourquoi pas Robinson Cruso� ?

Cette histoire a d�j� �t� tellement trait�e� Il me semblait que Clipperton poss�dait une originalit� pas encore exploit�e litt�rairement, toujours dans la m�me exploration de l�abandon et de la solitude humaine. Le Roi de Clipperton se situe en fait dans la tradition du livre de Defoe, dans une lign�e un peu hybride� je pensais pouvoir apporter quelque chose d�autre � la tradition.

Un long travail de documentation au pr�alable ?

J�ai tent� de rassembler tous les documents que je pouvais � ce sujet. Rapports de voyageurs, archives, et surtout articles parus dans la presse mexicaine de l��poque. J�ai �galement trouv� des interviews et r�cits d�officiers am�ricains qui ont d�couvert les rescap�s�
Mais on sait peu de choses : la garnison s�est install�e, on les a oubli�s pendant la guerre, et on a retrouv� uniquement des femmes et des enfants bien des ann�es apr�s. Entre les deux, on ne sait pas vraiment ce qui s�est pass� Les femmes rescap�es n�ont jamais t�moign� � proprement parler, elles sont revenues et se sont �vapor�es au Mexique. Rentr�es dans leurs familles, probablement. Le nouveau r�gime ne souhaitait pas s�attarder sur l�affaire apparemment.
Les enfants du Capitaine Arnaud ont �t� interview�s cependant, jusque dans les ann�es 60. Mais ils �taient si jeunes que leurs souvenirs �taient bien vagues.

Vous avez donc invent�.

C�est le travail du romancier, non ? De cr�er des personnages d�envergure, de les doter de personnalit�s bien tranch�es, de les faire s�affronter, se perdre et se rejoindre� Je me suis servi de r�cits et anecdotes cont�s par des personnes confront�es � l�abandon et � la solitude dans d�autres circonstances, et je les ai superpos�s dans mon roman.

Excitant, de se servir d�une base r�elle et de se permettre de la modeler � sa guise ?

On se sent Dieu tout puissant� Oui, c�est assez g�nial.

A quel moment avez-vous le plus l�ch� la bride � votre imagination ?

Je ne me suis pas permis de l�cher. Quand on veut construire un roman, �crire une histoire coh�rente et qui a du sens, mieux vaut ne pas perdre un certain contr�le� Je crois que le probl�me du romancier n�est pas de se l�cher mais de se retenir ! Facile de pondre six cent pages de n�importe quoi, qui va dans toutes les directions ! Bien raconter une histoire, c�est la ma�triser � chaque instant.

Vos officiers sont l� pour r�colter, pardonnez-moi l�expression, de la merde d�oiseau. Du guano, engrais pr�cieux et recherch� � l��poque. V�ridique ?

Ah oui ! Je n�ai rien invent� sur les motifs de leur pr�sence sur l��le. Et le cours du guano s�est r�ellement effondr� historiquement. Alors �tait-ce au moment exact o� ils se trouvaient sur l��le, et cela a-t-il contribu� � ruiner leur moral, je n�en sais rien. Mais l�encha�nement �tait plausible, renfor�ait mon drame.

Belle structure en boucle. Vous commencez en 1921, lorsque l�on s�aper�oit de l�abandon, puis on raconte l�histoire de cet abandon, quelques vingt ann�es auparavant, et on en revient aux retrouvailles�

C�est assez classique. Ce qui l�est moins, c�est la retrouvaille de th�mes qui motivent l�introduction, comme l�honneur national et du patriotisme que j�ai tourn�s un peu en d�rision. Par exemple je trouve stupides les d�penses faites par un pays pour envoyer un cargo de deux cent mille hommes dans le but d�affirmer une pr�sence strat�gique dans un endroit perdu du monde� La France ne sait pas que Clipperton lui appartient, mais les officiers de l�ambassade sautent de joie en l�apprenant� et aucun d�entre eux ne sait probablement pas o� l��le se situe exactement. Tous ces enjeux de pouvoir, je les trouve un peu ridicules.

Toute tentative de construction semble vou�e � l��chec dans votre roman.

En effet. Sans pr�tention, je souhaitais donner un petit-arri�re plan philosophique � ce roman. La garnison du Capitaine Arnaud souffre et cr�ve, et le minuscule bout de terre ne revient m�me pas � la nation d�origine de la garnison... D�sesp�rant non ?

Chacun de vos personnage est mis en opposition avec un autre.

La virilit� d�Alvarez contre la l�chet� d�Arnaud est l�opposition la plus flagrante. Je tiens � ces jeux de miroirs et de contrastes, ils permettent de donner tellement plus de relief aux protagonistes !

Pourquoi faites-vous sombrer Alvarez dans la folie, le seul homme qui avait un potentiel de h�ros ?

Il passe par une multitude d��tapes int�ressantes � mon sens. Ce n�est qu�un brave et simple soldat qui se distingue par sa bravoure, qui n�est en fait que le fruit de son inconscience et de son irresponsabilit�. Il va basculer dans une esp�ce de lyrisme, entrer en osmose avec l��le et quitter � sa mani�re le monde des hommes. Mais je ne le con�ois pas comme un homme fou.

Il a tout de m�me une attitude vis-�-vis des femmes qui rel�ve de la d�mence, de l�ali�nation !

Oh, il est plus simplement fascin� par Alicia, femme du Chef. Il se sent domin� par elle, par son c�t� m�re, ma�tresse, amoureuse... Il a l�occasion de devenir tout puissant lorsque son �poux dispara�t, mais n�ose pas la s�duire ou la soumettre car elle impose le respect et d�gage une force peu commune. Alors je l�accompagne jusqu�au bout de cette probl�matique, lui fait adopter des comportements extr�mes. C�est �a qui est int�ressant avec un personnage que l�on a cr��, non ?

Il va donc jusqu�au bout�

Certainement. Tout ce qui lui aura manqu�, finalement, c�est un peu de tendresse. Il n�y a que les crabes qui le comprennent, dans cette histoire !

D�ailleurs, l�homme est incapable de les dominer, ces crabes !

J�aime cette id�e de l��tre humain qui ne peut ma�triser les forces de la Nature, qui est confront� � l�hostilit� d�un environnement qui le d�passe. Il se casse les dents sur elle, est oblig� de revenir sur l��ternelle fanfaronnade qui consiste � penser que l�on peut r�guler et juguler la Nature� C�est elle qui finit par absorber ceux qui viennent en conqu�rants.

Logique donc que le piano import� sur l��le finisse en morceaux�

Une mise en contraste que je trouvais int�ressante. La d�licatesse et l��l�gance de cet objet, m�l� � la sauvagerie et � la violence des lieux�

Qu�auriez-vous fait � la place du Capitaine Arnaud, dans cette �le ?

Je serais devenu cingl�. Enfin non, j�aurais d�sert� � la premi�re occasion. Je serais reparti avec le bateau lorsque l�opportunit� lui fut donn�e. J�ai failli d�serter de la � Jeanne d�Arc � d�ailleurs� je ne l�ai fait qu�en esprit finalement.

Quelle est l��preuve la plus dure que vous ayez fait subir � vos personnages ?

La bataille d�Alicia avec ce poulpe g�ant dans les mar�cages. C��tait angoissant � �crire !

Vous vous �tes fait peur ?

Il faut se faire peur ! Il faut se mettre en situation !

La tornade qui d�terre les morts est �galement impressionnante�

Oui c�est vrai. C�est comme si le Pass� revenait les narguer, alors qu�ils pensent avoir surmont� des �preuves en d�pit des plumes (des hommes) qu�ils y ont laiss�. Ils pensent en avoir fini, et vlan ! les morts remontent � la surface et rappellent l�horreur de toute la situation qu�ils vivent, ont v�cu et vivront encore.

Donner comme titre � votre roman Le roi de Clipperton, n�est-ce pas accorder trop d�importance � Alvarez, alors que la composante f�minine est tout aussi primordiale, notamment dans la deuxi�me partie ?

C�est vrai que les femmes ont la part belle� Mais Clipperton, c�est avant tout une histoire militaire, donc masculine. M�me si les femmes ont �galement jou� des r�les tr�s importants dans cette p�riode de guerre, un peu � l�image d�Alicia, si jeune et si femme � la fois. Embarqu�e dans l�aventure � vingt et un ans en tant que � femme de �, donc simple figurante, elle acquiert une place de choix, prend de l�ascendant et de l�ampleur et acc�de au rang de caract�re principal.

Vous n�auriez pas souhait� d�velopper cette partie o� les femmes sont seules dans l��le ?

Je ne voulais pas que l�histoire tra�ne trop. Il fallait une acc�l�ration � ce moment pr�cis du r�cit, car le d�but et la mise en place sont suffisamment longs. Les �v�nements devaient s�encha�ner, sinon je serais tomb� dans le pi�ge de raconter l�ennui et la lassitude en ennuyant et en lassant le lecteur. Toute la difficult� de l�entreprise se trouvait l� : comment cr�er un climat d�attente sans emmerder le lecteur.

C�est quelque chose que vous craignez-vous m�me, l�ennui ?

Enorm�ment. Je m�ennuie tout le temps ou presque, sauf quand j��cris. Lorsque j��cris, je m�immerge totalement dans un monde o� il est impossible de subir le temps. Le roman est l�exutoire de tous les possibles, alors que la vie n�est que frustration permanente�

Qu�est-ce qui vous est le plus difficile � supporter, hormis l�ennui ?

Tout ! Seulement on se fait � tout aussi� Tant qu�on a un �chappatoire, la possibilit� de cr�er, alors on est pas encore perdu�

Propos recueillis par J. L. N.


 
Tristan Garcia
Thomas Pynchon
Jean-Marc Roberts
Richard Powers
Enrique Vila-Matas
William Gibson
Lise Beninc�
Julien Blanc-Gras
Bernard Soubiraa
Claro
  ARCHIVES
 
contact | © 2000-2008  Zone littéraire |