On ne na�t pas femme ou homme, on le devient� Certains, m�mes, ne sont ni l�un ni l�autre. Et ce qui est bien, quand on �crit, c�est qu�on peut �tre les deux. Bienvenue dans la r�volution des genres�

Le genre humain ne sera vraiment apais� que lorsque la � guerre des sexes � aura prit fin. Cela peut para�tre utopique, mais il s�agit bien de cela : d�une bataille qui dure depuis des lustres, et qui fait peu de bruit. Car cette guerre-l� est tacite, silencieuse, et elle fait de nombreuses victimes ; mais les soldats se montrent peu, et les bombes explosent � l�int�rieur des corps. On ne voit pas tout le sang qui s'en �coule. Ni les frustrations et les vies qui tournent court, comme �a, dans l�oubli. Tout se fait dans l�intimit� des chaumi�res, dans les conflits de jeunes mari�s, ou au sein des traditions les plus rid�es.
C�est un fait : la soci�t� a toujours oppos� masculinit� et f�minit�, dans un syst�me de codes psychorigides et in�branlables. La binarit� est partout : dans le commerce, la publicit�, l��ducation, la s�duction� Sortir des sentiers battus constitue un crime risible, une aberration hilarante. La vie devrait pourtant se vivre comme dans un cabaret� Un cabaret o� chacun pourrait montrer sur sc�ne. Pour montrer ce qu�il est, de ses facettes les moins �videntes � la configuration la plus concr�te de sa personnalit�.

Vous voyez le genre�

Le Carrousel, dans les ann�es 50/60, �tait un cabaret comme il n�y en aura plus jamais : un lieu fantasque, o� les ailes se d�ployaient dans toute leur envergure. C�est aussi un lieu o� travestis et transsexuelles ont suscit�, pour la premi�re fois, un fort int�r�t m�tin� de s�duction. A cette �poque, la fascination pour ces � oiseaux de nuit � �tait une r�elle r�volution, et la c�l�bre Coccinelle s�est mise � briller, entre provocation amus�e et m�diatisation outr�e.
Il y avait donc Coccinelle, mais il y avait Bambi, aussi. Dans Marie, parce que c�est jolie (aux �ditions Bonobo), son autobiographie romanesque, on retrouve tout cet amour du � devenir soi �. Devenir femme, devenir artiste de cabaret, puis enseignante du Fran�ais dans un coll�ge� La voix est douce, le style riche, l�histoire intense et savamment distill�e. En �coutant la voix sage de Bambi � ou plut�t de Marie-Pierre Pruvot, qui est aujourd�hui retrait�e �, on comprend que la lutte est toujours la m�me : les codes sociaux n�ont pas chang�, devenir gar�on ou fille rel�ve toujours d�une politique de cloisonnement, et il faudrait presque une horde d��crivains rageurs pour essayer de d�construire un peu les genres. Heureusement, il y a Virginie Despentes.
Issue d�une autre g�n�ration, et avec une toute autre voix, Despentes nous prouve qu�elle, dans un cabaret, elle aurait pu assumer tous les r�les : physio, ma�tre de c�r�monie, et peut-�tre m�me l�ensemble des artistes r�unis� Son King Kong Th�orie (aux �ditions Grasset) est tout simplement un manifeste contre les marionnettes sociales, et contre les hypocrisies ambiantes : il n�y a d�ailleurs aucune performance dans cet essai, sinon un spectacle constant du vrai et de la lucidit�. Despentes se place dans le � hors genre �, elle survole hommes et femmes, ne prend jamais vraiment parti et parle sans fards de ce qui coule dans les veines de notre soci�t� binaris�e.
A quand une r�volution des genres ? A quand une expression compl�tement libre de ceux-ci ? A leur fa�on, nos deux auteurs se rejoignent. Leurs livres disent la m�me chose : �tre soi-m�me, �a passe forc�ment par la case jugement. Pour toujours ? Pas si s�r�

Marie, parce que c'est joli, Marie-Pierre Pruvot,
Ed.Bonobo,276 pages, 19 euros.
King Kong Th�orie, Virginie Despentes,
Ed.Grasset, 156 pages, 13,90 euros.

Julien Canaux