Contre l'oubli

Chroniques
En 2011, et depuis plusieurs années, on parle de « relapse », de relâche dans les nouvelles générations quant à l‘utilisation du préservatif… Pourtant le VIH est toujours là et, si la peur et l’ignorance l’emportent trop souvent, on peut encore et toujours parler d’amour. Et informer, surtout. Lire Sang damné d’Alexandre Bergamini, c’est faire face à tout cela à la fois…

La peur est irraisonnée, l’ignorance trop répandue, les clichés associés solidement arrimés. Vivre aujourd’hui avec le VIH n’est plus la même histoire qu’il y a vingt ans… Et si l’annonce d’une séropositivité reste un drame personnel, on est bien loin d’une époque où la révélation était synonyme d’infamie. Mais les systèmes actuels de prévention restent bien insuffisants, c’est une réalité… Partout le doute subsiste, on prend des risques, on se questionne, on nous répond à moitié. Evidemment : on est toujours dans le domaine de la honte…
Sang damné, c’est l’histoire d’une confession, une plongée dans l’intime. De 1968, année de naissance d’Alexandre Bergamini, jusqu’à nos jours, on suit un récit personnel sur l’errance, le rapport aux garçons, la sincérité, l’affection, la douleur, l’incompréhension trop souvent rencontrée… Un formidable parcours de vie, en somme, et un manifeste contre l’oubli, aussi : émaillé d’articles et de sources fiables sur un sujet finalement peu visité de la sorte en littérature. En cela, on échappe au romanesque pour s’immiscer dans l’autofiction, voire le journalisme, et en même temps, la poésie est partout, sous forme de petits poèmes savamment introduits dans le texte. Une littérature de complétude et de sens…

Condamné amour

On avait beaucoup aimé Retourner l’infâme et Cargo Mélancolie… Alexandre Bergamini est un poète comme il en subsiste finalement très peu, avec un lyrisme qui côtoie la brutalité du réel et de réelles trouvailles stylistiques disséminées ici et là.  On pense parfois à Cyril Collard, à ses Nuits fauves bien sûr mais surtout à son Condamné amour, qui avait marqué notre adolescence… On se rappelle son écriture amère et crue, et à l’époque qui allait avec. Mais le contexte et les narrations n’étaient pas les mêmes, aujourd’hui tout le monde s’en fout : à croire parfois que certaines luttes n’ont servi à rien… Dans les médias, la prévention est quasi inexistante, ou trop souvent incomplète ;  dans le système médical français, de sérieuses inégalités se font sentir. Et pendant ce temps, sur internet, dans les forums de discussions, de nombreux jeunes et moins jeunes se posent encore et toujours les mêmes questions, dans une dénégation totale des modes de transmission…
Au fil du texte de Bergamini, on assiste au pire : des amis se meurent, des amants disparaissent, la santé du narrateur se dégrade. L’écart se creuse, inexorablement, depuis la mort de ce frère qui a construit la peur de vivre… Mais le poète, que ce soit en vers ou en prose, en est convaincu : les eaux du Léthé, fleuve de l’oubli, n’emporteront jamais avec elles les promesses de l’avenir.

Sang damné
Alexandre Bergamini
Le Seuil
17 € -  236 p

Last modified ondimanche, 28 août 2011 19:21 Read 1726 times