#114 - Du 05 janvier au 20 janvier 2009

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Sous le soleil exactement


Des adolescents plongent d�une corniche �prouvant � chaque saut la ma�trise de leur peur. Un myst�rieux personnage les espionne � travers ses jumelles. Ces sc�nes se r�p�tent quotidiennement sous un soleil �clatant et une chaleur �touffante. Le d�cor du dernier roman de Maylis de K�rangal Corniche Kennedy est ainsi plant�. Zone l'a rencontr�e.

Pourquoi l�histoire se d�roule-t-elle � Marseille ? Que symbolise cette ville pour vous ?

Je n�ai pas d�histoire particuli�re avec Marseille. Je suis n�e � Toulon et j�ai pass� toute mon enfance au Havre o� je suis rest�e jusqu�� mes dix-huit ans. La position du littoral est donc le seul �l�ment qui peut relier Marseille et le Havre. J�aime les th�matiques tr�s g�ographiques. Les rivages repr�sentent une ligne, une esp�ce de soudure. Cette image est tr�s biographique, elle est m�me biologique chez moi. La ville de Marseille n�est en d�finitive jamais cit�e dans le livre car ce n�est pas un livre marseillais. C�est un livre de la corniche. Et des corniches, on en trouve dans le monde entier. Je voulais �crire un texte de plein air, tr�s solaire. Je connaissais la corniche Kennedy, je savais que des enfants y sautaient. Mais ces adolescents auraient tout aussi bien pu se trouver � Acapulco. Ce motif est en effet assez courant. J�avais envie d��crire un roman d�adolescence et de le situer dans un espace tr�s ample. Ainsi le fond et la forme se retrouvaient tr�s bien. Je voulais parler de l�adolescence sur le littoral. Il se trouve par ailleurs qu�avant de commencer le livre, j�avais lu un article sur ces gamins qui sautaient de la corniche Kennedy � Marseille. Je pense que ce livre est surtout tr�s m�diterran�en, mais plut�t au sens pasolinien. Le projet g�ographique est au coeur du livre. Il est une fa�on de conqu�rir l�espace. Tout y est chor�graphi�. Il y a une continuit� entre les lieux et les corps. J�ai voulu capter le g�nie du lieu. Je pense que le livre tient par cette esp�ce du traitement du lieu tr�s frontal. Cette ville avait pour moi quelque chose de tr�s archa�que tout en �tant une grosse cit�, tr�s industrielle, un peu bord�lique. Finalement, j�y suis beaucoup plus all�e depuis que j�ai �crit le livre.

Les personnages principaux de Corniche Kennedy sont des adolescents. L��nergie et la libert� de cette p�riode d�teignent-elles sur l�auteur ?

J�ai maintenant vingt-cinq ans de plus que mes personnages. L�adolescence comme motif m�int�resse surtout en ce qu�elle repr�sente un arrachement. L�arrachement - m�me s�il est symbolique - � la famille. C�est un temps pendant lequel les amis deviennent pr�gnants, un temps de l�ext�riorit�, le moment de l�expansion. L�adolescence est bien entendu un moment passionnant en soi. Je suis fascin�e par son c�t� excessif et f�brile, son hyper mobilit�. Elle est trop souvent trait�e comme un moment de d�pression. Je pr�f�re la voir comme un temps de l��nergie. Mais ce n�est pas le sujet du livre. Je n��cris pas sur l�adolescence, mais � depuis � l�adolescence. J�utilise ce temps de conqu�te, de reconfiguration. L�adolescence m�int�resse car elle est trouble et cela m��meut. Il y a alors une projection hors de soi. J�aimerais inscrire le geste de l��criture le plus longtemps possible depuis l�. Le temps de l�adolescence comme temps de l��criture se traduit techniquement par le pr�sent. Ces adolescents sont dans l�immanence. Le pr�sent de mes phrases essaie de tout ramasser, le son, les mati�res. Je ne peux plus mettre � deux points � la ligne � . J�ai voulu transcrire une oralit�. Je r�gle mes dialogues en termes de d�bit. J�ai fait des r�glages de vitesse. Le d�bit adolescent s�articule autour de questions telles que savoir quand ralentir ou acc�l�rer. Je ne peux pas m�improviser adolescente. Je joue avec le rythme plut�t qu�avec un vocabulaire.

Cette bande d�adolescents fonctionne comme une micro-soci�t�. Quelles sont les r�gles qui la r�gissent ?

Ces adolescents apparaissent au lecteur � travers le prisme du regard de Sylvestre Op�ra. Ils sont �rotis�s par ce voyeurisme. Gr�ce � ses jumelles, il d�sire ces jeunes. Il est lui aussi encore dans un trouble adolescent. � la fois dans l�ordre et agent du d�sordre, il les laisse faire. Il applique des consignes, mais n�y croit pas tellement. Seulement, il a un bureau et il fait partie d�une forme d�institution. Les adolescents, quant � eux, �voluent dans une sorte de magma. Ils ont des vies beaucoup plus compliqu�es que les adultes du r�cit. La plupart sont un peu seuls. Ce groupe n�est pas tr�s �galitaire. Il y a un chef, Eddy. Il regarde tout le temps si les autres le voient dans un �tat de faiblesse. Cette bande est un peu f�odale. N�anmoins, ils sont dans une communaut� de langue et d�espace. Les origines des pr�noms sont m�lang�es. Ce ne sont pas des Arabes ou des petits Fran�ais de Marseille ensemble. On se fout un peu des origines. Finalement, ce qui diff�rencie vraiment les enfants, c�est d�o� ils sont capables de sauter (le Do it , le Face to face ). Cela divise, scinde la communaut� de la bande. �a la reconfigure sur un mode beaucoup plus stratifi�. Et puis, il y a le rapport gar�ons/ filles. La mixit� est un peu dure � mettre en branle. Les gar�ons surjouent la virilit�, les filles, l�hyst�rie f�minine. Sauf Suzanne. Elle est massive. Elle fait un peu transfuge. Elle parvient � faire le lien entre les gar�ons et les filles. Elle va op�rer les m�mes gestes, les m�mes mouvements que les gar�ons. Mais elle reste la jeune fille bourgeoise. En d�finitive, elle introduit un peu la lutte des classes dans cette petite soci�t�.

� la lecture de Corniche Kennedy , on pense aux films de Gus Van Sant et en particulier � Parano�d Park . L�univers de ce r�alisateur vous int�resse-t-il ?

Je n�ai pas vu Parano�d Park . J�avais vu Elephant et Last Days . J�ai �t� tr�s marqu�e par Elephant , par la fa�on dont Gus Van Sant filme dans la fluidit�. En continu. Il semble se tenir tr�s pr�s des corps. �a me trouble �norm�ment. J�ai l�impression qu�on est toujours dans la m�me vitesse. On se sent d�une certaine fa�on entrav�. Mais � l�inverse, lorsque j��cris, j�aime que le rythme change, on ne reste jamais longtemps dans la m�me vitesse.

Dans un de vos pr�c�dents livres, vous mettiez en sc�ne un trio d�adolescentes d�couvrant Blondie et Kate Bush ( Dans les rapides , paru aux �ditions Na�ve en 2006). Quelle pourrait �tre la bande son de Corniche Kennedy ?

On est loin de l�univers rock de Debbie Harry dans Corniche Kennedy . Il y a quelques chansons dans le livre. Par exemple, Loubna chante � I feel like a natural woman �, la version de Beyonc�. La bande son serait plut�t celle-l� : Missy Elliott, Shakira, Beyonc�. Une musique sensuelle et rythm�e entre le rap et le hip hop. Ces adolescents �coutent des tubes qui d�goulinent de dollars et d�esprit de la � gagne �. Mais je pense qu�il y a surtout les bruits qui les entourent: le bruit de la mer, des bagnoles sur la corniche, un bruit un peu industriel.

� travers le personnage du jockey, vous introduisez une figure d�autorit� qui n�est pas sans rappeler un syst�me politique tr�s actuel. Les sauts des adolescents peuvent-ils �tre consid�r�s comme des actes contestataires ?

Il y a en arri�re-plan une fable politique �vidente. D�ailleurs, j�aurais peut-�tre pu d�velopper un peu le personnage du jockey, approfondir ses rapports avec Sylvestre Op�ra ou le maire. La critique du pouvoir reste un peu en sourdine car les figures de l�ordre sont plut�t des silhouettes. En face, les enfants incarnent le pouvoir subversif de la jeunesse. Ils subvertissent l�espace, la langue, les lieux. Ils le font de fa�on tr�s ludique. Je ne voulais pas en faire des revendicateurs. Mais au fond, ne serait-ce que de glander dans une posture non productive, c�est d�j� charger la barque. Ils ne font pas peur, mais ils font chier. Ils sont l�, ils ne foutent rien. Ils sautent, c�est dangereux. M�me ils n�ont aucun message clairement formul�, ce qui est politique, c�est leur puissance.

Photo: S�bastien Dolidon

Propos recueillis par Camille Paulian


 
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