#113 - Du 15 novembre au 08 d�cembre 2008

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Pynchon, l'interview lumi�re


Thomas Pynchon, demi-Dieu cach� de la litt�rature depuis pres d'un demi-siecle et dont le r�solument immense Contre-jour (Ed. Seuil) nous a �bloui,r�v�le � Zone les secrets de la cr�ation dans une interview exclusive. Incroyable mais vraie ? Non. Croyable mais fausse. Bienvenue dans la lumi�re.

Il y a des �crivains qui fuient les m�dias, d'autres qui s'en repaissent, alors que votre identit� reste un myst�re pour beaucoup. Vous �tes peut-�tre la derni�re �nigme vivante sur cette Terre. Une sorte de trou noir...

C'est int�ressant que vous �voquiez les trous noirs. Vous n'�tes pas sans savoir que le monde risque de s'�vanouir sous peu dans un de ces paradoxes spatio-temporels ?

Euh...

En ce moment ont lieu en Suisse - pays le moins soup�onnable de vouloir d�truire le monde, ils ont donn� plus de banquiers que de dictateurs � la plan�te - des exp�riences de physique fondamentale au LHC [Large Hadron Collider, le successeur du Synchrotron, inaugur� au moment o� ces lignes paraissent, NDLR]. Une sorte de gigantesque partie de stock car : cet instrument de pr�s de 27 km de diam�tre provoque intentionnellement des collisions microscopiques entre les �l�ments les plus fondamentaux de la mati�re, pour in fine trouver la particule ultime, qui r�sumera toute recherche en physique fondamentale men�e depuis une centaine d'ann�e. Le Graal des physiciens bient�t � port�e de lentille... Incroyablement vaniteux de la part de l'Humanit�, non ? H� bien figurez vous que certains pr�disent lors de ces exp�riences la formation de mini trous noirs, capables sur le papier l'aspirer la plan�te enti�re et de la recracher on ne sait o� quelque part entre ici et maintenant et un futur proche dans les environs d'une �toile sans nom. Alors avant que les physiciens tirent la bonde, je vous conseille de faire vite : � l'heure o� je vous parle, nous sommes, comme le chat de Shra�dinger, tous en sursis. Dommage que je n'ai peut-�tre pas le temps de l'�crire, cette histoire a quelque chose d'ultime.

Je vais peut-�tre sauter les questions sur la vie priv�e en ce cas... Vous �tes parfaitement s�r pour cette histoire de fin du monde ?

Non mais qui le serait ? Les statistiques sont des amantes capricieuses. Ca me rappelle d'ailleurs la saillie d'un critique am�ricain - je crois que c'�tait Arthur Salm - qui disait en substance : "Pynchon a simplement choisi de ne pas �tre une figure publique, une attitude qui d�tonne si puissamment avec la culture contemporaine que si Pynchon et Paris Hilton se rencontraient un jour- l'imaginer je l'admets d�passe l'entendement- l'explosion mati�re/antimati�re qui en r�sulterait vaporiserait tout ce qui existe d'ici � Tau Ceti." Il est toujours rassurant de savoir que l'on tient le destin du monde dans la paume de la main... Si les Suisses ne me devancent pas, bien s�r. Nous vivons dans un mode qui a invente sa fin. Le XX�me si�cle a transform� le corps humain en une passoire � rayonnement �lectromagn�tiques : X, gamma, Infrarouges, Ultraviolet... La m�decine et la d�couverte de la radioactivit� ont ramen� l'ensemble du corps � la somme de ses parties, qu'elles soient organiques ou subatomiques. Depuis Hiroshima, nous sommes tous devenus les ombres port�es du feu nucl�aire - comme ces victimes japonaises dont on n'a retrouv� qu'une trace de suie apr�s l'onde de chaleur qui les a souffl�. La probabilit� de la fin du monde nous a tout de m�me frol� � plusieurs reprises ces derni�res dizaines d'ann�es.

Je vois dans votre notice biographique que vous avez particip� � l'�poque de la Guerre froide � l'�criture de la notice des Minuteman, de gigantesques missiles � ogive nucl�aire d�velopp� par les USA en r�ponse � l'escalade russe. En un sens, vous avez plus fait en tant
qu'�crivain pour la paix dans le monde que Salman Rushdie avec ses pamphlets contre l'extr�misme.


Je me garderai bien de porter un jugement sur Salman Rushdie, qui est un ami, ni ne confirmerai cette rumeur qui remonte au temps o� je travaillais en tant que r�dacteur chez Boeing � Seattle. Le monde daignera peut-�tre malgr� tout se souvenir de la notice technique
baptis�e Toghetherness que j'ai �crite dans Aerospace safety [En d�cembre 1960 p6-8, pour les amateurs, NDLR]. Si vous avez lu mon premier roman V qui d�crit, entre autres, l'attaque de Londres par les V2 nazis pendant la seconde guerre mondiale, vous n'ignorez pas que les missiles balistiques sol-sol sont un sujet d'inspiration comme un autre.

Un des personnages de V arrive d'ailleurs � pr�voir le point de chute des V2 pendant le Brennschluss londonien parce que l'arriv�e des missiles lui provoquent des �rections. Erotiser des engins de mort, vous allez un peu loin, non ?

Pas plus loin que les gens qui lustrent leur voiture tous les dimanches.

En tant qu'artiste, vous n'�tes nulle part et, dans le m�me temps, vous vous insinuez partout : un r�alisateur de films pornos californien porte m�me le nom de l'un de vos personnages, Benny Profane, un des protagonistes de V, et vous �tes li�s avec quelques groupes de musique tr�s underground, comme Lotion ... M�diatiquement, �a s'appelle une gestion de la p�nurie, non ?

Ou moins romantiquement, un attrait pour la tranquillit�. Au risque de me r�p�ter, je pense que le terme de reclus est une nom de code entre journalistes et qui signifie n'aime pas parler aux reporters. J'ai pour la juger toute la distance qui me s�pare de cette humanit� m�diatique et je tiens � garder intact ce cordon sanitaire. L'actualit� tant r�elle que virtuelle n'est que l'�cume des choses, je travaille quant � moi sur la tectonique de l'inconscient collectif, les temps g�ologiques de la modernit�. Ou plut�t de la post-modernit� puisque c'est l'�cole litt�raire � laquelle j'appartiens - et que j'ai d'ailleurs plus ou moins cr��e, d'apr�s mes ex�g�tes. Il est d'ailleurs �tonnant �tonnant de voir � quel point la d�testation du marketing dans laquelle je me tiens ressemble fort � une communication r�ussie. Sans bouger le petit doigt m�diatiquement parlant, j'ai l'impression de susciter autant d'envie et d'interrogations que si j'avais un �quipe enti�re de spin doctors pour travailler � mon image : �a en dit long sur la comp�tence des communicants. Enfin, je me comprends.

"Bient�t ils vont s'en prendre � tout, pas seulement aux drogues mais � la bi�re, aux cigarettes, au sucre, au sel, au gras, ce que tu veux, tout ce qui serait susceptibles d'�tre agr�ables aux sens, parce qu'ils ont besoin de contr�ler tout �a. Et c'est ce qu'ils vont faire." (In Vineland, 1989). Comme Don deLillo, connu pour avoir pr�dit le 11 septembre, vous vous �tes fait une sp�cialit� dans les visions soci�tales ?

Il ne fallait pas �tre grand devin pour voir dans le conservatisme reaganien les pr�misses de la dictature sanitaire dont nous constatons l'�mergence actuellement dans tous les pays du monde qui ont les moyens financiers et informationnels de r�genter les corps de leurs citoyens. L'Esprit �tant d�j� contingent�, l'argument du beau, du bon et du sain est imparable. Avec l'augmentation de l'esp�rance de vie, on s'ennuiera plus longtemps, voil� tout.

Vos romans ont des cadres mais pas aucunes limites spatiale ni temporelles, vous avez invent� une sorte de "pan-�criture" que beaucoup de vos suiveurs ont ensuite imit�. Humour affleurant sans cesse, profusion de d�tails, de lieux et de personnages : on frise l'hyst�rie ! Ce n'est pas trop � la fois ?

Peut-�tre mais certainement infime par rapport � ce qui nous entoure. Regardez de quelle fa�on l'humanit� est chang�e par l'afflux de donn�es, nous y baignons et elles finiront par nous r�sumer mieux qu'une m�taphore ne pourrait le faire. Je me contente de volumes, certes immenses � l'�chelle d'un livre, mais limit�s mat�riellement par la taille de l'ouvrage, si gros soit-il. Les 1000 pages de Mason&Dixon; ou de Contre jour ne sont qu'une br�ve histoire d'un temps fini et romanesque. Vous parlez de pan�criture mais est-ce que Google n'est pas en train de tuer tout suspens ? Avec de telles quantit�s de donn�es - nous parlons ici de p�taoctets - [des milliards de millions d'octet, NDLR] il n'y a plus de trous � combler : l'ellipse n'existe plus, il suffit d'observer en int�gralit� les grands ensembles � l'oeuvre ! Guerres, modes, univers... Plus de besoin d'histoire ou de th�orie pour comprendre le monde, le behaviorisme suffit. Tout n'est que flux. Est-ce que la fin de l'Histoire, que les scientifiques ont pr�dit d�s la chute du mur de Berlin, n'est pas aussi la fin de toute narration ou en tous cas sa mutation en quelque chose de neuf ?

Chose extraordinaire, aucun film n'a �t� tir� de vos romans � l'heure actuelle. Les sc�naristes sont ils trop timides ou vos �uvres sont elles par essence inadaptables ?

Mais j'esp�re bien �tre inadaptable, jeune homme. L'image ne me sied pas. Je pr�f�rerais �tre adapt� en musique : un album concept double face comme on en faisait dans les ann�es 70. Ou une pompe � la main gauche de Thelonious Monk, impossiblement rythm�e et supr�mement m�lodique. Je lui dois d'ailleurs l'incipit de mon dernier roman Contre-jour : "Il fait toujours nuit, sinon on n'aurait pas besoin de lumi�re". Magnifique.

Tenez, � propos d'obscurit�... Dans Mason & Dixon, vous �crivez : "If America was a person,� and it sat down,� Lancaster town would be plunged into a Darkness unbreathable" (Trad: si l'Am�rique �tait une personne et s'asseyait, la ville de Lancaster serait plong� dans une irrespirable p�nombre"). Puis en 2006, dans votre dernier opus Against the day (Contre-jour, Ed. Seuil) : " If U.S. was a person, and it sat down, Columbus, Ohio would instantly be plunged into darkness "... Vous ne r�pondez donc pas � la vraie question : O� se trouve l'anus des USA ?

Si l'aigle am�ricain �tait bic�phale, comme celui des Tsars de toutes les Russies, il ne serait pas exclu qu'il poss�de �galement deux rectums. Mais si vous me poussez � trancher, je pencherais plut�t pour Mianus, � Greenwich dans le Connecticut.

Votre derni�re "apparition" remonte � une �pisode des Simpsons ("Diatribe of mad housewife") o� votre avatar portant un sac papier avec un point d'interrogation sur la t�te s'�crie � l'encontre des passants : "Pynchon a aim� ce livre autant qu'il aime les photos", � propos d'un roman qu'a �crit Marge. C'est la seule trace auditive que l'on ait de vous � ce jour !

Mes intonations sont surement en lieu s�r dans quelque Babel gouvernementale, aux disques durs de taille "borgesienne" ... Mais puisque vous semblez vraiment parano�aque, je vais vous donner un peu de grain � moudre : savez vous que c'est mon anc�tre William Pynchon, � peine d�barqu� de l'Essex par bateau, qui a fond� Springfield en 1636 ? Ce m�me Springfield o� vit toute la famille Simpson. Alors est ce que mon apparition dans le dessin anim� est un vraiment un hasard ? Je vous laisse cogiter. Toute co�ncidence prend un sens: la parano�a est le mode d'acc�s le plus gratifiant � la r�alit�, la th�orie a minima de la realite, c'est pour cela qu'elle a autant de succ�s chez les schizophr�nes et les hommes politiques. Mais m�me ce penchant, si absolu et entier soit-il, peut se retourner sur lui-m�me. car sa nature binaire implique in fine de trancher : soit tout est li�, soit rien ne l'est... il faudra que les hommes finissent par se d�cider un jour ou l'autre. Si il est un jour prouv� que ce qui nous entoure est le fruit du hasard et non le r�sultat d'une volont� sup�rieure - qu'elle soit divine ou gouvernementale - alors pour les parano�aques et les religieux, ce sera le d�but de la fin.

Zone vous remercie, M. Zelazny.

Bien tent�. Mais notre seul point commun est d'�tre n� � cinq jours d'intervalle en 1937. Cherchez encore.

Propos recueillis - selon toute probabilit� - par Laurent Simon

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