#113 - Du 15 novembre au 08 d�cembre 2008

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  Mort d'Harold Pinter  
  Julien Santoni a du talent  
  Plus fort que Perec  
  Thomas L�lu, employ� chez Monoprix !  
  Le Wepler � Pagano  
  Pour finir, le prix du Pamphlet 2008 !  
  D�c�s de Fran�ois Caradec  
  Bilan des prix litt�raires 2008  
  Premiers romans prim�s  
  Goncourt au poil  

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Marie-Catherine Vacher, Miss America


Ils sont quelques-uns � construire des ponts litt�raires entre la France et l�Am�rique. Gr�ce � eux, nos biblioth�ques s�enrichissent chaque jour de p�pites made in USA. Mais qui sont vraiment les �diteurs fran�ais de litt�rature am�ricaine contemporaine ? Et en quoi consiste exactement leur travail ? Marie-Catherine Vacher, �ditrice chez Actes Sud depuis pr�s de vingt ans et ambassadrice des Etats-Unis dans cette m�me maison, nous d�voile quelques secrets de fabrication. Rencontre.

Comment devient-on �ditrice chez Actes Sud ?

J�ai commenc� chez Actes Sud par un stage qui s�est transform� en embauche en mars 1989. Pour l�anecdote : je fais partie de ce que les � anciens � de la maison (dont je suis !), appellent la � promotion Berberova � : Actes Sud venait de conna�tre un succ�s sans pr�c�dent avec cet auteur et se trouvait en mesure d��largir son �quipe. Dans un premier temps, j�ai travaill� en collaboration avec Bertrand Py, le directeur �ditorial d�Actes Sud. Bien que la litt�rature traduite soit le fer de lance du catalogue de la maison, le souci d�y cr�er un espace �ditorial favorable � la d�fense et � l�illustration de la litt�rature fran�aise nous a conduit, Bertrand Py et moi-m�me, � cr�er la collection � G�n�rations � o� furent publi�s un certain nombre d�auteurs dont, entre autres, Philippe de la Genardi�re, ou les premiers romans de Marc Weitzman ou d��ric Reinhardt. La collection a pris fin quand nous avons trouv� plus pertinent de rassembler tous les auteurs, fran�ais et �trangers, sous une seule et m�me couverture, � hors collection �, � la seule enseigne d�Actes Sud. Aujourd�hui je dirige la collection � Lettres anglo-am�ricaines �, avec des auteurs tels que Don DeLillo, Russell Banks et Paul Auster, auxquels sont venu s�ajouter William T. Vollmann, Percival Everett, Marylinne Robinson, entre autres. Par ailleurs, je continue � publier des textes de non-fiction : Une histoire de la lecture d�Alberto Manguel, No Logo et La Strat�gie du Choc (2008) de Naomi Klein ou encore Pourquoi �tes-vous pauvres ? (2008) de William T. Vollmann. Je publie �galement un certain nombre d�auteurs fran�ais (Anne-Marie Garat, J�r�me Ferrari, Jean-Paul Goux,�) ou d�expression fran�aise (Lyonel Trouillot).

Comment d�cririez-vous votre m�tier ?

Je dirais qu�il est en pleine mutation ! C�est un travail qui requiert un engagement de tous les instants et une certaine dose d�humilit�. Il est n�cessaire de pouvoir s�appuyer sur une � culture litt�raire � aussi solide que possible en continuant � se rendre disponible pour � l�in�dit � : c�est donc un m�tier dont la pratique enseigne � rester souple, mobile, mais qui en m�me temps requiert une grande discipline int�rieure. Pour paraphraser Pierre Bourdieu : � L��dition est un sport de combat � ! Je me vois un peu comme l�� agent � de mes auteurs : je suis leur � archiviste �, une sorte de m�moire de leur �uvre dans la maison d��dition. Je suis �galement un horizon d�attente, notamment quand ils sont en cours d��criture et qu�ils n�ont plus ou pas encore d�actualit� en termes de publication. L�une des plus grandes le�ons que je tire de toutes ces ann�es, c�est qu�il faut, � un moment, cesser de vouloir publier des auteurs � qui vous ressemblent �, ou qui ressemblent � l�id�e que vous vous �tiez faite de la litt�rature. Aujourd�hui, je suis davantage capable de respecter l�alt�rit� de l��crivain : j�ai une vive r�pulsion vis-�-vis de ce que j�appelle les � livres d��diteurs �, ceux sur lesquels s�est exerc� une influence �ditoriale trop � muscl�e �. J�estime que mon r�le consiste � permettre � un geste cr�ateur de s�accomplir dans toute sa pl�nitude. J�ai un peu fait mienne cette formule d�Olivier Cohen, employ�e dans une tribune du Monde : � L��dition est un m�tier impur �. Cela me para�t tr�s juste et je constate, qu�avec le temps, il m�est de plus en plus p�nible de voir des livres auxquels je tiens sombrer dans le � triangle des Bermudes � de la m�vente, de l�indiff�rence ou de l�absence de toute recension litt�raire digne de ce nom�

Pourriez-vous nous parler de votre collaboration avec les maisons d��dition am�ricaines ? Leur fonctionnement vous semble-t-il diff�rent de celui des maisons fran�aises ?

J�ai en v�rit� peu de collaboration au sens � direct � du terme avec les publishers, � l�exception de quelques excellentes maisons que sont, � Minneapolis, Coffee House Press et � New York, Seven Stories Press, Archipelago Books, The New Press� La diff�rence qui pourrait exister entre les pratiques en France versus les Etats-Unis, est que la notion de � maison � d��dition conserve encore tout son sens de ce c�t�-ci de l�Atlantique, que la relation avec les auteurs y comporte une dimension de proximit� plus affirm�e. En France, l��diteur est � la fois une sorte de porte-parole de l�auteur et un � chef de produit �. Or, dans certaines grandes structures am�ricaines, l��diteur est surtout un � chef de produit � : il intervient davantage en aval qu�en amont de la publication. Peut-�tre cette configuration explique-t-elle que la relation de l��diteur � l�auteur soit souvent plus � d�passionn�e � aux USA qu�elle ne l�est chez nous�

Outre les auteurs phare, d�j� � install�s � dans votre catalogue, comment choisissez-vous les nouveaux entrants ?

Je tiens � mettre l�accent sur le r�le jou�, dans la d�couverte de maints auteurs, par les traducteurs, dont les centres d�int�r�t, la connaissance de telle ou telle litt�rature, ont souvent contribu� � la constitution du catalogue d�Actes Sud tel qu�il se pr�sente aujourd�hui. Mon r�le consiste � user de notre autonomie pour lutter contre les diktats des tendances r�pertori�es. Ayant la chance de faire partie d�une maison dont le catalogue fait autorit� en mati�re de litt�rature �trang�re, j�ai la possibilit� d�y accueillir des textes inattendus. Un tel atout permet des excursions hors des sentiers battus, un privil�ge dont je suis tr�s consciente et dont il convient d��tre digne en manifestant toute l�audace et la conviction n�cessaires� Les nouveaux entrants seront bient�t Patrick DeWitt avec Ablutions, Dana Spiotta avec Eat the Document ou Steve Erickson avec Zeroville, des �crivains absolument diff�rents les uns des autres. Ils ne font partie d�aucune chapelle, ne repr�sentent aucune tendance � globale �, mais font entendre une voix singuli�re, irr�ductible � une analyse � cat�gorielle �. Hubert Nyssen, le fondateur des �ditions Actes Sud, avait, il y a quelques ann�es, propos� le slogan � Editer, c�est d�couvrir �. Modestement, je me permettrais d�ajouter un codicille qui pourrait s��noncer comme suit : � Editer, c�est durer �, tant il est vrai que le temps est la grande affaire : durer pour imposer les auteurs, durer dans sa passion et sa conviction, durer pour donner le temps au temps. H�las, � l�heure actuelle, compte tenu de la mutation de l�activit� et des nouvelles difficult�s �conomiques qui vont croissant, une telle profession de foi risque sans doute de devenir de plus en plus difficile � tenir.

Quel regard portez-vous sur l'�dition de fiction contemporaine am�ricaine en France ?

Un regard plein de bienveillance ! Plus s�rieusement, je trouve que l'effort conjugu� des diff�rents �diteurs fran�ais dans ce domaine donne probablement l'une des vues les plus compl�tes au monde de la sc�ne litt�raire contemporaine am�ricaine. Malgr� d'in�vitables � effets de concurrence �, il me semble que les �diteurs de litt�rature am�ricaine en France font partie d'une esp�ce de communaut� dont il est stimulant de se sentir partie prenante, quelle que soit la diversit� des temp�raments et des choix �ditoriaux en pr�sence. A cet �gard, le caract�re f�d�rateur du � Festival America � imagin� par Francis Geffard me semble �tre un bon indicateur de la connivence existant entre nous tous.

Comment travaillez-vous avec les auteurs que vous publiez ? �tes-vous en contact r�gulier avec eux ou collaborez-vous principalement avec leur �diteur am�ricain ?

Avec certains, j�ai construit une relation sur la dur�e. Avec tous, je m�efforce de cr�er un lien, de maintenir au mieux ce dernier en dehors des p�riodes de publication de leurs livres et en d�pit de la distance g�ographique. Nous ne sommes pas les �diteurs � premiers � des auteurs que nous traduisons : le � travail � avec les auteurs am�ricains n�est donc �videmment pas de m�me nature que l�accompagnement qui est le n�tre vis-�-vis des auteurs fran�ais. Mon travail consiste plut�t, une fois le texte retenu et les droits de traduction acquis, � essayer de trouver le traducteur le mieux � arm� � pour rendre compte de ses sp�cificit�s, pour interpr�ter au mieux la partition compos�e par tel ou tel auteur et pour rendre justice � la voix qui est la sienne. Il m�incombe ensuite d�effectuer une scrupuleuse lecture de la traduction, avant de d�fendre le titre � en interne � (repr�sentants en librairie, service commercial et service de communication) et en � externe �.

Travaillez-vous de fa�on r�guli�re avec un petit groupe de traducteurs ? Comment les s�lectionnez-vous ? Sont-ils des auteurs � part enti�re ? Quels rapports entretiennent-ils avec les auteurs ?

Certains auteurs � historiques � de la maison ont leur traducteur � attitr� �, mais ce groupe n�est en aucun cas � restrictif �. Depuis quelques ann�es, j�essaie de donner leur chance � de jeunes traducteurs, pour la plupart issus de l�excellente formation � la traduction litt�raire dispens�e sous la direction de Jean-Pierre Richard � Charles V (Universit� de Paris VII-Diderot). Ayant pris quelques-uns de ces �tudiants en stage, j�ai essay�, chaque fois que c��tait possible de leur mettre ensuite � le pied � l��trier � en leur confiant une traduction. Je s�lectionne les traducteurs en fonction de leur ma�trise du fran�ais, de leur culture g�n�rale, de leur � oreille musicale � aussi. La plupart des traducteurs me semblent entretenir de bons rapports avec les auteurs, certains d�entre eux ont construit de v�ritables relations d�amiti�, c�est notamment le cas des � couples � Russell Banks/Pierre Furlan, Percival Everett/Anne-Laure Tissut et Claro/Vollmann. De mani�re g�n�rale, le traducteur entre en contact avec � son � auteur, �change avec lui sur le texte (l�e-mail aidant beaucoup � la facilit� et � la multiplication de ces �changes). J�ai naturellement � c�ur de faire en sorte que le traducteur puisse rencontrer l�auteur qu�il traduit chaque fois que ce dernier vient en France � l�occasion de la sortie de son livre. Cette relation est capitale.

Pour la premi�re fois, un candidat afro-am�ricain est devenu pr�sident des Etats-Unis. Quelle importance l��lection de Barack Obama rev�t-elle pour les auteurs am�ricains ? Vous semblent-ils particuli�rement politis�s ?

L��lection de Barack Obama a rev�tu une immense importance pour tous les �crivains am�ricains que je connais, sans exception. Russell Banks nous avait d�ailleurs parl� d�Obama depuis tr�s longtemps. Paul Auster, une semaine avant l��lection, me faisait part, au t�l�phone, de l�obsession dans laquelle il se trouvait plong� par rapport � cette �ch�ance. Le lendemain des r�sultats, tous m�ont �crit des mails faisant �tat de leur joie, de leur soulagement, tous disaient avoir dans� dans les rues ! Oui, les �crivains am�ricains me semblent particuli�rement politis�s : peut-�tre parce qu��tre un intellectuel en Am�rique et un intellectuel � de gauche � en particulier ne va pas de soi en dehors de New York, de la c�te Est et de certaines villes de la Californie. �tre �crivain, aux Etats-Unis, ne gratifie d�aucun � bonus � et ne rev�t pas le m�me caract�re � prestigieux � qu�ici. Bien souvent, j�ai en effet entendu des �crivains am�ricains s��tonner de la d�f�rence, voire de la � d�votion � qu�il est d�usage de manifester � l��gard du statut envi� d�� �crivain � en France�

Plusieurs personnalit�s �trang�res ont �voqu� le d�clin de la culture fran�aise, quel est selon vous le sentiment des Am�ricains sur cette question ? Comment jugeriez-vous la production fran�aise en regard de la production am�ricaine ?

J�ai soigneusement �vit� d�aborder cette question avec mes auteurs qui sont de toute fa�on des gens bien trop subtils pour mettre mal � l�aise leur �diteur fran�ais en tenant de quelconques propos sur le d�clin d�une culture dans laquelle ils disent s�honorer d��tre accueillis par l�entremise de la traduction de leurs livres� Ce que je retiens des �changes qui ont pu avoir lieu � fleurets plus ou moins mouchet�s, c�est une certaine perplexit� de la part de nos amis am�ricains vis-�-vis de � l�exception fran�aise � dans tous ses �tats. Cette perplexit� m�a parfois sembl� m�tin�e d�une pointe d�envie, par rapport � la � libert� de ton � et � la capacit� de r�bellion qui pouvaient se manifester au sein de la culture fran�aise. En tout cas, je n�ai jamais rencontr� de ces Am�ricains qui pr�tendent que la France n�est plus qu�un mus�e d�gageant de puissantes exhalaisons de naphtaline. Pour ce qui est de la question des � productions litt�raires compar�es �, ma r�ponse d�coule un peu de ce qui pr�c�de. Je suis farouchement oppos�e � cette manie de l�auto-flagellation dont il semble parfois de bon ton de faire preuve en France. Je dirai d�abord que les Etats-Unis sont un vaste pays et que la vitalit� �poustouflante de sa production litt�raire ne cesse de me remplir d�une sinc�re admiration. Je suis notamment stup�faite de l�audace dont font montre, l�-bas, certaines structures �ditoriales qui publient des textes que l�on n�oserait peut-�tre plus publier en France. En m�me temps, je suis convaincue que la litt�rature fran�aise est vivante, pour peu que nous, les �diteurs, encouragions sans rel�che nos auteurs � le manifester. Certains manuscrits am�ricains sont marqu�s au coin de l�atelier de creative-writing, en ce qu�il peut avoir de st�rilisant. Je ne suis pas s�re que tous les romans familiaux situ�s dans le Minnesota ou le Texas profond soient beaucoup plus int�ressants que ceux qui pourraient avoir pour cadre le Berry ou l�Alsace. Et si je trouve assez bienvenu de critiquer l�attachement � n�vrotique � (sic) de l��crivain fran�ais � la figure de la Muse inspiratrice, rien ne prouve que l�atelier d��criture donne naissance � des chefs-d��uvre�

Qui sont les jeunes auteurs am�ricains qui risquent de faire parler d�eux au cours des prochaines ann�es ? Le nouveau Paul Auster existe-t-il ?

Ma boule de cristal ne r�pond plus ! Tr�s franchement, je suis incapable de citer des noms� J�ai quand m�me envie d�insister sur l�un d�entre eux : A.M. Homes. Chez elle, tout me sid�re : la richesse des registres dont elle use, son incroyable intelligence, la profondeur de ses vues et de sa puissance cr�atrice, sans oublier son� humour ravageur ! Nous avons r�cemment publi� son roman Ce livre va vous sauver la vie et allons continuer avec The Mistress�s Daughter, un texte autobiographique sublime sur l�adoption, puis un texte plus ancien, The End of Alice. Homes est un �crivain qui me surprend � chaque nouveau livre : libre, sans compromis, totalement engag�e dans son �uvre� Je fonde sur elle les plus grands espoirs.

Propos recueillis par Ellen Salvi


 
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