#113 - Du 15 novembre au 08 d�cembre 2008

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Vila-Matas nous donne des nouvelles


Deux ans tout juste apr�s la sortie de Docteur Pasavento, l�auteur de l�indispensable Abr�g� d�histoire de la litt�rature portative publie un recueil de nouvelles. De passage � Paris, il nous a donn� rendez-vous au bar de son h�tel, rue Vaneau, un lieu qu�il conna�t bien pour l�avoir longuement �voqu� dans son dernier roman : � Il m�a sembl� que l��trange et profond silence de la rue Vaneau occultait une sorte d�horreur infernale et sourde de mondes au bord du cri, mondes tr�s r�prim�s et muets, pr�ts � exploser. � Rencontre avec un �crivain d�j� culte.

Avec Explorateurs de l�ab�me vous revenez � la nouvelle, un genre qui a largement contribu� � votre succ�s. Pourquoi un tel choix ?

Apr�s Docteur Pasavento, le dernier titre de ma trilogie � m�talitt�raire �, je me suis retrouv� dans une impasse. J�avais l�impression d��tre dans un ab�me dont il me fallait sortir et je me suis dit qu�en retournant � la nouvelle, je pourrais peut-�tre renouer avec une forme d��criture que j�avais un peu oubli�e. Ce fut en effet tr�s positif. D�autres perspectives se sont ouvertes, j��tais moins obs�d� par la litt�rature que dans mes pr�c�dents livres et en particulier dans Docteur Pasavento.

Dans la nouvelle intitul�e Sang et eau, vous �crivez que le � tempo � est diff�rent selon qu�on travaille sur une nouvelle ou un roman. Avez-vous rencontr� des difficult�s � retrouver ce � tempo � ?

Oui, le roman laisse le temps de faire durer les situations alors que les nouvelles exigent d��tre plus vif, plus rapide. Au commencement, j�avais encore tendance � faire des histoires qui se prolongent, mais par la suite, j�ai retrouv� la formule de la nouvelle. En v�rit�, ce livre n�est pas tout � fait un recueil de nouvelles. Le march� exige qu�il soit pr�sent� comme tel, mais je dirais plut�t qu�il s�agit d�un livre autour du th�me du vide. Il y a des communications entre les diff�rentes histoires et ces communications cr�ent une certaine unit�.

Dans la plupart de vos livres � et c�est encore le cas dans celui-ci � le lecteur est tent� de vous confondre avec le narrateur. Quelle part d�Enrique Vila-Matas subsiste chez ses narrateurs ?

C�est une question un peu complexe. Par exemple, lorsque je parle de probl�mes de sant�, les lecteurs pensent que je parle de moi parce que j�ai effectivement quelques probl�mes. Mais pour moi, tout cela n�est pas vrai. Dans mes textes comme dans mes pr�faces, ce sont des narrateurs qui s�expriment.

Pourquoi avoir choisi le th�me du vide ?

J�avais trouv� le titre du livre avant tout le reste. En commen�ant � �crire, je me suis rendu compte que toutes les histoires du monde avaient un rapport avec le vide. Le vide est la m�me chose que son contraire, le plein. Si je parle de la religion, je ne parle que de la religion, alors que si je choisis de parler du vide, je peux parler de tout.

Dans Parce qu�elle ne l�a pas demand�, le narrateur dit avoir tent� de p�n�trer dans ce que vous appelez � l�incertain au-del� � de son �criture. Avez-vous une id�e pr�cise de ce que pourrait cacher cet � incertain au-del� � ?

Peut-�tre que dans cet autre monde, la litt�rature n�existe pas. Peut-�tre n�y a-t-il que la vie. Mais la vie sans litt�rature ne m�int�resse pas. Je pr�f�re rester avec ma litt�rature que de la c�der � la vie.

On vous a parfois reproch� votre go�t pour les textes � m�talitt�raires �. Pourriez-vous �crire un livre qui s�attache davantage aux souvenirs qu�aux r�f�rences ?

Il y a beaucoup de souvenirs dans mes nouvelles. Certains sont invent�s, d�autres r�els, mais il y a un fond de vrai partout. Pour moi, toutes les histoires communiquent avec d�autres exp�riences litt�raires. Je pourrais raconter des histoires normales, mais je pense qu�elles seraient banales. Si par exemple je racontais une histoire d�amour, je saurais que cette histoire a d�j� �t� racont�e mille fois depuis Rom�o et Juliette. Mes histoires sont li�es � la litt�rature, mais il faut faire attention, car toutes mes citations ne sont pas r�elles. Il n�est pas rare que je les modifie. Souvent elles sont presque identiques aux phrases originales, mais leur sens change du tout au tout. C�est un v�ritable proc�d�. Certains �crivains font des jeux de mots pour construire leurs phrases, moi je modifie les citations. Cela me donne un �lan et me permet d�avancer dans la narration. Je transforme �galement la vie r�elle. Le plus important dans tout �a c�est le point de vue du narrateur. Je modifie tout en fonction de ce point de vue. C�est comme une machine dans laquelle je mettrais quelques petites choses de la vie et une phrase de Pascal ou d�un autre auteur. La machine se chargerait ensuite de tout faire passer pour le point de vue du narrateur.

Si la litt�rature est une maladie � comme vous l��criviez dans Le Mal de Montano �, vous paraissez fortement contamin�. Que faites-vous pour y rem�dier ? Essayez-vous seulement d�y rem�dier ?

Je pense que vous, vous pensez que j�ai cette maladie. Peut-�tre que c�est vrai. Je ne suis pas atteint du Mal de Montano, mais j�ai tout de m�me une passion inexplicable pour la litt�rature. Par exemple, je regarde rarement de films � la t�l�vision parce que je c�toie la fiction tout le jour et voir encore une autre histoire le soir, cela me d�range un peu. Mais si le film comporte un �l�ment litt�raire, alors je le regarde. J�ai �galement une passion myst�rieuse pour les photos en noir et blanc. Elles me plaisent beaucoup. Un peu comme Modiano. Quand je vois une photo en noir et blanc, ce que j�aime ce n�est pas la photo, mais le noir et blanc. Avec la litt�rature, c�est la m�me chose. C�est une addiction que je n�explique pas vraiment. Je crois que la litt�rature m�int�resse parce que j�ai l�impression qu�elle donne un sens � la vie, une piste pour l�expliquer, l�exprimer.

La litt�rature serait-elle un � pharmakon � (� la fois un poison et un rem�de) ?

Je l�envisage surtout comme un rem�de parce que je ne suis pas sp�cialement malade � cause d�elle. Quand je suis dans une situation difficile, je pense � une situation similaire dans la litt�rature. Cela me permet d��viter l�angoisse.

Pourriez-vous faire autre chose qu��crire ?

Je suis principalement �crivain, bien que je fasse beaucoup d�autres choses. Mais quand j��cris, je suis compl�tement concentr�. Je travaille surtout le matin, trois ou quatre heures, pas plus. C�est une activit� fatigante mentalement et physiquement... Le reste du jour, je pense � ce que j�ai �crit. Quand je voyage, je prends seulement des notes. Si je suis � Barcelone et que je n��cris rien, j�ai l�impression d�avoir perdu mon temps, d�avoir fait quelque chose de mal et je culpabilise. Je me sens un peu comme un coll�gien qui n�aurait pas fait son devoir. C�est comme si j�avais pass� une journ�e enti�re sans rien penser.

Vous semblez davantage focalis� sur la vision des �crivains dont vous parlez que sur leur travail de la langue. Quelle importance accordez-vous au style en tant que lecteur et en tant qu�auteur ?

Je travaille beaucoup cette question lorsque j��cris. Les jeux sur la langue m�int�ressent, mais ce n�est pas exactement ce que je fais. Ce qui ne m�int�resse vraiment pas, ce sont les histoires d�aujourd�hui. En ce moment, je travaille sur Joyce pour mon prochain roman. Je pense aller � Dublin pour participer au � Bloom�s Day �. L�anniversaire du mariage de mes parents tombe le m�me jour : le 16 juin. Cela rejoint votre pr�c�dente question� La litt�rature et la vie sont une fois de plus li�es...

Vous �crivez tant�t � la premi�re personne tant�t � la troisi�me. En quoi est-ce diff�rent et quel usage pr�f�rez-vous ?

Cela d�pend. C�est plus une question pratique en fait. Dans � Le Jour dit �, l�histoire de cette mort annonc�e, le lecteur aurait connu le d�nouement si j�avais parl� � la premi�re personne : si je peux encore raconter mon histoire, c�est que finalement je ne suis pas mort. En r�gle g�n�rale, je me lib�re difficilement de la premi�re personne. J�ai beaucoup aim� le livre d�Antoni Casas Ros, Le Th�or�me d�Almodovar. J�ai d�ailleurs commenc� une petite correspondance avec cet auteur. J�envie sa situation d�anonymat. C�est quelque chose d�impossible pour moi parce que mon visage est connu. Son premier roman est vraiment int�ressant, on ne sait pas si ce qu�il raconte est vrai ou pas� mais bon, il me semblerait difficile de lui poser la question par �crit�

Paris est pr�sent dans Explorateurs de l�ab�me. Vous l�aviez longuement �voqu� dans Paris ne finit jamais. Quel lien entretenez-vous avec cette ville ?

Un lien tr�s fort. Au cours des derni�res ann�es, j�y suis venu quatre � cinq fois par an. J�ai renou� des amiti�s et j�ai �cart� la nostalgie des ann�es o� j�ai v�cu ici. C�est un nouveau Paris qui se pr�sente � moi. Et puis le contact avec cette ville est aussi un contact avec ma jeunesse. Quand je me prom�ne pour aller, par exemple, au caf� de Flore, j�ai l�impression de vivre ici. C�est une ville que je connais tr�s bien et que je vois comme une extension de Barcelone. Ma formation litt�raire est fran�aise et pour moi, Le Mal de Montano est un livre fran�ais. Les lecteurs anglais l�ont mal per�u, ils n�ont pas vraiment compris que je puisse m�langer l�essai et le roman.

Travaillez-vous sur ordinateur ou � la plume ?

En ce moment, j��cris directement sur ordinateur, mais apr�s je fais une impression pour retravailler mon texte. Parce qu�il y a des r�p�titions que je ne distingue que sur le papier. Je fais beaucoup d�impressions�

Y a-t-il un moment o� vous savez que vous ne devez plus toucher � votre travail ?

Heureusement parce que sinon ce serait infini. Il y a toujours un moment o� je dois me convaincre que c�est suffisant. Je ne relis jamais mes livres, je trouve cela trop dangereux : j�y verrais sans doute des choses qui ne me plairaient pas. Comme je travaille beaucoup, il n�est pas rare que j�oublie ce que j��cris. Par exemple, il m�est d�j� arriv� de lire une phrase sur internet et de la noter parce qu�elle me plaisait avant de me rendre compte qu�elle �tait de moi�

Travaillez-vous aux c�t�s de vos traducteurs et en particulier d�Andr� Gabastou, votre traducteur fran�ais ?

Nous travaillons un peu ensemble. Andr� Gabastou me conna�t, c�est le meilleur traducteur que j�ai. J�ai parfois quelques probl�mes avec les traducteurs des autres langues, surtout avec les citations parce que je ne connais pas leurs r�f�rences exactes. Un jour, Andr� Gabastou m�a racont� qu�il avait pass� des heures � la Biblioth�que Nationale pour chercher une phrase de Paul Val�ry. Quand il l�avait finalement trouv�e, il s��tait rendu compte que la premi�re partie de la phrase �tait de Val�ry, la seconde de moi. Il en avait alors conclu que c��tait peut-�tre mieux de traduire la phrase comme je l�avais �crite. Mes traducteurs me demandent souvent si les citations sont invent�es. Alors parfois, pour leur �viter de longues recherches, je leur dis qu�elles le sont. Une fois, j�avais chang� une phrase un peu compliqu�e de Marguerite Duras. En Espagne, certains livres la citent encore comme une phrase de Duras, alors qu�elle est de moi. J�ai toujours un peu modifi� le sens des choses, c�est comme �a que je travaille.

La lecture est-elle indissociable de l��criture ?

J�aime beaucoup le titre de Julien Gracq : En lisant, en �crivant. Je crois �tre un lecteur qui �crit. C�est une bonne d�finition. Quand je lis, j�ai une envie irr�pressible d��crire.

Certains lecteurs pointent-ils du doigt des choses que vous n�avez pas vues en �crivant ?

Mes romans les plus importants sont des romans qui ne sont pas achev�s et que les lecteurs compl�tent. Apr�s Bartleby et compagnie, j�ai re�u beaucoup de courriers qui me donnaient d�autres exemples de � Bartleby �. Je sais qu�il en manque beaucoup : c�est un livre infini que j�ai termin� avant l�heure parce que je ne pouvais faire autrement. Mais certains lecteurs souhaitent le continuer. Ils �crivent en quelque sorte un livre bis.

On conna�t votre go�t pour les doux excentriques de la soci�t� shandy (les Larbaud, Duchamp, Cendrars et consorts que vous pr�sentiez dans votre Abr�g� d�histoire de la litt�rature portative) et les � agraphiques � (votre livre de chevet est Artistes sans �uvres de Jean-Yves Jouannais) quel regard portez-vous sur le production contemporaine ?

J�ai �crit une pr�face pour Artistes sans �uvres qui devrait bient�t para�tre. Ce livre est � l�origine de Bartleby et compagnie. J�avais d�j� l�id�e de d�part avant de le trouver : il m�a donn� une impulsion pour me lancer dans mon propre livre. Mais pour revenir � votre question, beaucoup d�auteurs me plaisent. Je cherche des �crivains comme Larbaud ou comme Casas Ros. Les auteurs tr�s connus me semblent moins int�ressants que les marginaux. J�aime ceux qui sont un peu de c�t�, ceux qui me font d�couvrir des choses insoup�onn�es. Je leur trouve plus de l�g�ret�, plus de gr�ce. Par exemple, Stevenson n�est pas un �crivain aussi important que Thomas Mann, mais il a, selon moi, une gr�ce que n�a pas Thomas Mann. J�appr�cie �galement des auteurs plus traditionnels comme Modiano. C�est un �crivain tr�s fran�ais, tr�s parisien et pourtant, en ce moment, il compte de nombreux fans en Espagne. J�en fais partie. Je vais d�ailleurs profiter de mon s�jour pour aller voir sa maison d�enfance, au 15 quai Conti.

Pouvez-vous nous parler de vos projets ?

J�ai publi� en Espagne au mois de septembre un journal litt�raire recoupant mes articles parus dans El Pa�s au cours des derni�res ann�es. C�est un journal litt�raire, mais pas intime : je ne raconte pas ce que je vis, mais ce que je lis. Je travaille �galement sur un nouveau roman dont le th�me g�n�ral est l�attente. J��cris sur des personnes qui attendent quelque chose�

Propos recueillis par Ellen Salvi


 
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