America, come home !

Reportages
Que se passait-il à Vincennes le week-end du 1er octobre ? Une invasion ? Plutôt un débarquement en règle d’outre atlantique. Troisième édition du festival America oblige, écrivains des deux Amériques ont investi les alentours du terminus de la ligne 1 du métro pour nous inviter à découvrir leurs oeuvres. Et accessoirement, dissiper quelques malentendus.

Qui l’eut cru, c’est bien grâce aux Américains – géographiquement parlant, ni le Canada ni le Mexique ne manquant à l’appel – que le petit monde parisien de l’édition s’est vu transporté le temps d’un week-end à Vincennes. Pourquoi Vincennes d’ailleurs ?
« Parce que j’y habite », répond sans calcul Philip de la Croix, président et co-fondateur du festival, dont c’est la troisième édition. Le choix des auteurs invités s’est fait apparemment sans plus d’arrière-pensées. « Notre sélection est forcément subjective, c’est la vision que nous avons de la littérature américaine qui est représentée à Vincennes », avoue-t-il. Tout cet édifice repose donc sur une certaine idée de la littérature… et de l’indépendance intellectuelle. 60% d’autofinancement, 40 % d’aides et… 100 % de bénévolat de la part de l’organisation. Ainsi qu’un jury de célèbres anonymes qui tiennent à le rester – pression des éditeurs oblige – composé de traducteurs ou de journalistes spécialisés, entre autres. Voilà la formule.

Qu’on se rassure néanmoins : sans strass, America ne ressemble pas pour autant à une fête patronale. Il y avait la salle des congrès, l’hôtel de ville et un petit pas plus loin, le Magic mirror, un chapiteau en dur qui accueillait notamment une série de lectures en VO par les auteurs. A l’honneur cette année, le Canada. De quoi désinhiber les anglophones niveau LV2 quant à leur accent, sans oublier qu’il y avait les Mexicains ! Pas de quoi faire une véritable tour de Babel mais déjà un brassage de cultures et quelques échanges éloquents. Rien de mieux que le café littéraire pour s’en convaincre. Et du cinéma, sans qui le rayonnement de la culture US ne serait pas grand-chose. Au second niveau de l’hôtel de ville, confortablement attablé devant un verre, on était libre d’écouter, quasiment toutes les heures, trois ou quatre écrivains réunis autour d’une thématique commune.
L’ambiance était plus au négoce sous les chapiteaux qui tenaient lieu de mini salon du livre, offrant un choix du grand fond de littérature américaine proposée par les éditeurs français. On regrettera en revanche l’absence de leurs collègues américains. De quoi permettre aux festivaliers de faire leurs emplettes et même se faire dédicacer un livre par un des nombreux auteurs présents lors de la soirée du samedi. On y vit notamment Chuck Palahniuk marquer d’un tampon « prison library » une page sur trois de son dernier roman Haunted (A l’estomac, en VF). La nuit américaine, comme l’ont baptisée les organisateurs… Même si les écrivains n’étaient pas à Vincennes pour faire du cinéma.

Pour l’amour de l’Art

« Je rappelle que les auteurs ne sont pas payés pour venir ici alors que le moindre séminaire ou lecture publique aux Etats-Unis est rétribuée. L’esprit du festival n’est pas de leur offrir ce standing, je crois que tous l’ont compris. La plupart de ceux qui ne sont pas là le sont pour des impossibilités matérielles. John Irving a eu un empêchement familial et Jim Harrison est malheureusement très malade », note Philip de la Croix. Quoiqu’il en soit, les auteurs n’ont tout de même pas dormi sous les ponts. En marge de l’inauguration officielle à l’hôtel de ville, c’est dans la résidence de l’ambassadeur des Etats-Unis, un luxueux palais de la rue du faubourg Saint-Honoré, qu’ils ont été reçus en marge du festival. Honorés d’autant plus qu’un métro spécial leur avait été affrêté en leur honneur, desservant seulement la station Concorde : non stop depuis Vincennes, champagne et musique en sus ! Malgré ces quelques paillettes, qu’est ce qui pousse un auteur américain à venir en France ? Philip de la Croix a sa petite idée : « Ca les bluffe d’être considérés comme des artistes ». Et, malgré la reconnaissance internationale, ils sont moins globe trotters que l’on pourrait penser « Quelqu’un comme David Wallace(l’auteur de Big fish, magistralement adapté par Tim Burton, NDLR) n’était pas venu en France depuis 25 ans », ajoute le président du festival. Quoi qu’on puisse en penser la France reste l’étalon-mètre de la reconnaissance artistique.

"So romantic", soupirent alors touristes comme écrivains ? Plus compliqué que cela : la politique s’en mêle quelque peu. « C’était étonnant, témoigne le président d'America, en 2002-2003, la plupart des écrivains qui venaient ici voulaient
prendre la nationalité française. C’est moins le cas maintenant, mais il faut bien avouer que l’Amérique de Bush n’est pas intellectuelle. Le risque d’être instrumentalisé existe évidemment, j’en suis conscient mais je me préfère en casque bleu qu’en Rambo!
. Le temps de la littérature n’est en effet pas le temps de la politique et l’art a apparemment le don d’aplanir les différends : « Pour les écrivains new-yorkais, la question ne se pose pas, mais d’autres écrivains originaires d’autres états sont étonnés qu’on ne les déteste pas ! »

Different strokes

De politique, il fut donc question, en particulier du côté du club de la presse. En ce dimanche après-midi, il affichait complet avec 300 personnes : Nancy Huston, Margaret Atwood et Ken Kalfus y questionnèrent l’Amérique. Ou comment faire le deuil, littérature aidant, et passer le cap du 11 septembre. Il aura fallu cinq ans : Extrêmement fort et incroyablement près, de Jonathan Safran Foer ou le récent film d’Oliver Stone World trade center n’osent que maintenant traiter frontalement du nine-eleven. Alors que ces images de mort ne faisaient que nous frôler auparavant.

Les Français ont en revanche bien senti les vents de sarcasmes qui ont suivi le début de la guerre en Irak. Histoire d’amitié contrariée. « Certains imbéciles peuvent bien vider quelques bouteilles de vin, nous n’avons jamais brûlé un seul de leurs livres », remarque Philip de la Croix. Sur bien des points, littérature française et américaine joue aux sœurs ennemies : artistes maudits contre artisans médits. Les ricains, si originaux et subversifs, sont souvent le produit de master classes, d’ateliers à talents. Le style s’apprend, se façonne. Et se vend, bien sûr. Le paradoxe ne se résume pas à la confrontation chambre de bonne contre Best western mais les pratiques américaines ne manqueraient pas de choquer en France. Certains écrivains, Tom Clancy ou Michael Crichton pour ne pas les citer, délèguent tout ou partie de la documentation de leurs technothrillers à une société spécialisée, qui leur fournit clés en main du plus petit détail jusqu’à la trame générale de leur futur blockbuster. Amitié contrariée et paradoxale, donc. Mais amitié tout de même ! On ne va pas se fâcher en attendant la Troisième…

Laurence Bourgeon & Laurent Simon

Laurent Simon



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Last modified onlundi, 15 juin 2009 22:59 Read 4188 times