interview de Vikas Swarup

Interviews
Votre roman a rencontré un véritable succès public en Inde. Vous y attendiez-vous? Comment l’expliquez-vous ?

Lorsque je me suis mis à écrire ce livre, je ne pensais pas du tout qu’il plairait à des lecteurs aussi bien au Brésil qu’à Barcelone et à Seattle ou Sydney parce qu’il s’agit d’une histoire très indienne. Mais bien sûr il tourne autour de « Qui veut gagner des millions ? », qui constitue un phénomène global. Peut-être le fait que le fonctionnement de ce jeu soit connu dans tant de pays rend le livre particulièrement accessible aux lecteurs. Néanmoins, même dans mes rêves les plus fous je n’aurais pu imaginer qu’il livre serait traduit dans 28 langues! Le succès mondial de ce livre s’explique, j’imagine, par le fait que, bien qu’il se déroule en Inde, les thèmes et émotions dont il traite sont universels et le message sous-jacent est valable pour toute communauté ou culture, à savoir créer sa propre chance, l’opprimé surmontant ses démons et finissant par gagner !

Vos personnages font souvent référence aux films dits « Bollywood ». Dans sa structure et son contenu même, votre roman emprunte nombre d'éléments aux scénarios du genre (saga, héros pauvres et pleins de rêves parvenant à les réaliser, histoires d'amour). Cet univers a-t-il été pour vous une source d'inspiration?”.

Oui, un parfum de Bollywood imprègne tout le roman. Parce que les films hindi constituent une part de la culture populaire indienne à laquelle personne ne peut échapper. On ne peut conceptualiser une matrice indienne sans se référer à Bollywood. Les films hindi les plus typiques ont traditionnellement été considérés comme du divertissement, source d’évasion, ce qui en explique sans doute l’attrait qu’ils peuvent avoir pour les masses. Ils sont presque devenus une réalité alternative pour les pauvres. C’est ainsi que, tout au long du livre, des personnages opposent et alternent entre vie réelle et vie virtuelle.

Vous avez beaucoup voyagé et résidez à présent de nouveau en Inde. Avec ce recul, comment percevez-vous l'évolution de la société indienne? La galerie de personnages que vous créez est en effet extrêmement inégalitaire. Etes-vous résigné face à cet état de fait ou bien notez-vous des améliorations?

Lorsque l’on vit en Inde et à l’étranger, les perceptions changent quelque peu et l’on tend à tout comparer. Oui, il y a des écarts au sein de la société indienne, à la fois sociaux et économiques, mais ils s’amenuisent. Les nombreux programmes d’ « affirmative action » entrepris par le gouvernement ont conduit à un dépannage social de grande ampleur. Le pays fait de réels progrès. Le problème, tel que je le vois, est l’apathie. En atteste un passage du livre: lorsque Ram Mohammad Thomas aborde l’administrateur de son “chawl” (résidence partiellement communautaire), lui demandant d’intervenir avant que Shantaram ne fasse quelque chose d’affreux à sa femme et sa fille, on lui dit: : <i> “Nous les Indiens avons cette sublime faculté de voir la souffrance et la misère autour de nous sans que cela nous affecte.” </i> L’apathie peut réellement exister dans un pays d’un billion d’habitants, mais l’on observe également des signes d’une incroyable compassion et solidarité, à l’image de celle qui s’est développée au moment de la catastrophe du tsunami en 2004. Je pense que si tous les Indiens commencent à penser et considérer leurs compatriotes plus nécessiteux, nous changerons d’autant plus vite le visage de l’Inde.

Laurence Bourgeon



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Last modified onmercredi, 01 juillet 2009 22:10 Read 1198 times